Bavardages et petits secrets
En créant Yoko en 1968, je l’ai lancée d’emblée dans la science fiction spatiale par la découverte du monde souterrain des Vinéens auxquels, au long de trois albums, je me suis efforcé de donner une genèse plausible. Yoko y a tissé des liens d’amitié privilégiés avec Khâny, responsable du contrôle biologique d’une population défiant le temps par une mise en léthargie contrôlée… La base était établie : extra-terrestres à la peau bleutée, vivant sous nos pieds, dans un sommeil artificiel, avant le retour vers leur planète d’origine : Vinéa… qui, contre toute prévision, avait survécu à la destruction.
Désireux de diversifier les aventures de Yoko, j’ai alterné les genres en passant de la science- fiction spatiale à l’anticipation et les voyages temporels terrestres. Chaque univers ayant ses préférences chez mes lecteurs et lectrices. Mais, celui des Vinéens pouvait m’emmener dans des fantaisies spatiales les plus extravagantes et loin des logiques scientifiques de Yoko… J’ai donc recentré l’intérêt sur la « réalité historique » de la présence des Vinéens sous la Terre. Pourquoi courir avec eux de planète en planète alors qu’ils colonisaient, sous nos pieds, un univers plus proche et interpellant, voire dangereux, pour nous. L’idée d’un récit a germé et il m’est apparu la certitude qu’un album ne suffirait pas à développer un sujet aussi important… J’ai donc opté pour une trilogie comme je l’avais fait pour les premiers récits avec les des Vinéens .
« La servante de Lucifer » en est le premier tome… « Le secret de Khâny » le second … « Le 28ème album , qui n'a pas encore de titre en sera le 3ème (Si les anges me permettent de l’achever )… Bien que complet par lui-même, chaque album s’enchaîne chronologiquement au suivant.
« Le secret de Khâny » est terminé et diffusé depuis le 5 juin 2015 … Je l’ai voulu dédié en premier à Khâny, que mes lecteurs me réclament souvent et que je retrouve avec bonheur. Khâny me manque parfois… Elle est à la base de l’intérêt des lecteurs de la première heure et pourrait au besoin prendre la place de Yoko en héroïne principale… Ses connaissances scientifiques sont supérieures à celles de Yoko et c’est parfois visible dans certaines situations où Yoko doit se faire expliquer, par son amie bleue, les choses qui la dépassent. Bien que je n’aie jamais voulu faire des Vinéens un peuple hyper surdoué, il faut reconnaître que, techniquement, ils ont de l’avance sur nous dans maints domaines y compris certains qui ont de quoi nous faire peur
Si le thème général situe l’avenir des Vinéens bloqués sous Terre, il en est un autre qui relie les trois tomes… C’est le développement par les Vinéens d’ intelligences artificielles : robots perfectionnés et imitations perfectionnées de l’homme que sont leurs androïdes… On en resterait là, dans le domaine de la mécanique et d’intelligences programmées sous contrôle humain si la perfection de leurs réactions ne poussait parfois Yoko à les considérer comme des êtres humains. Là, Yoko est en contradiction avec les Vinéens qui eux n’y voient que des machines pensantes et des auxiliaires d’action. Mais pour Yoko un petit robot, appelé Myna, qui se jette devant elle pour lui sauver la vie dans « Les exilés de Kifa » ce n’est plus une machine mais un être qui agit selon sa « conscience »
Nos rêves « futuristes » sont peuplés de robots qui nous assisteraient en toute matière… Ils construisent des voitures, ils pensent pour nous et trient à notre place des données "ingérables" pour un modeste cerveau humain …Je parle des ordinateurs de plus en plus performants auxquels nous confions souvent nos décisions et sans lesquels les gestions vitales d’un pays voire de la planète sont déjà incontrôlables sans leur assistance … Et si un jour ils pensaient sans l’apport de nos données et devenaient autonomes… Impossible me direz-vous, ils resteront des machines… A condition que l’on ne dépasse pas l’interdit en les créant biologiquement…
Si l’on remplace des éléments déficients par des transplantations ou greffes on cherche aussi à fabriquer des prothèses pour prendre la place de nos coeurs déficients… Demain ce sera d’autres organes… D’autres tentatives… Pourquoi pas obtenus biologiquement… Quel pourcentage l’étique acceptera-t-elle d’artificiel dans un être pour qu’il soit encore considéré comme "humain" ?…
Biologiquement on progresse aussi dans la création de tissus humains et qui sait si cela ne mènera pas un jour à la créations d’être biologiques à l’image de l’homme… Ce n’est pas au programme d’un futur proche…heureusement, nous ne sommes pas encore prêts à produire une merveille de remplacement d’un cerveau humain et de sa complexité non encore contrôlée… Notre conscience n’est pas encore en péril…Mais, puisque nous sommes dans la science-fictions avec les vinéens et leurs connaissances avancées on peut leur attribuer cette possibilité… Ce que j’ai fait en cet album 27…
Car c’est un être entièrement fabriqué biologiquement que Khâny va découvrir caché au milieu d’autres ados Vinéens normaux… J’ai voulu qu’elle ( c’est une ado) soit une ado fragile aux fins de limiter sa puissance .… Pour les Vinéens axés sur la survie de leur race, elle n’est que le résidu d’une expérience qui n’a pas eu de suite positive mais Khâny, plus humaine (un cadeau de Yoko, qui sait ?) rejette cette conclusion… La petite créature se meurt et Khâny au péril, de sa vie, va la sauver à l’insu de tous… Jusqu’au jour où la petite lui échappe pour suivre une voie bien dangereuse autant pour elle que pour les communautés terriennes et vinéennes. Il y a donc nécessité absolue pour Khâny de la récupérer sur Mars où elle s’est enfuie et de convaincre Yoko de l’y aider.
La réaction de Yoko était intéressante de suivre au fil de son voyage vers Mars jusqu’au moment du face à face avec celle qu’elle croit être un monstre… Il était aussi important d’isoler Yoko avec cette nouvelle venue qui souffre de son origine et veut se sacrifier pour gagner le droit d’exister… Jamais Yoko ne s’est trouvée en pareille situation… Mentalement et physiquement… J’avais là un sujet fort qui me permettait de pousser Yoko à la réflexion et au choix…
Quant à la planète Mars, comme tout le monde, elle m’a fasciné depuis mon enfance… L’année dernière elle était très visible dans le ciel étoilé et je la contemplais en promenant mon chien…Je me suis même pris à lui parler d’elle… Mon chien, malgré qu’il s’appelle Newton, n’a jamais levé le museau, estimant que ce n’était pas son affaire…
Rejoindre Mars et s’y promener, est une utopie encore irréalisable par les hommes et je gage que le jour où ils réaliseront cette prouesse technique, ils ne trouveront pas sur Mars l’optimisme que les idées « science-fiction des hommes » lui attribuent… Depuis que Curiosity, petite merveille technique s’est posé sur Mars, pour l’analyser et y forer un trou de 6 cm de profondeur… pour nous révéler que, sous son manteau de rouille, la roche était grise, Bien qu’émerveillé par la mise en place de ce rover et des ses performances autonomes étonnantes je reste persuadé que Mars est un univers mort qui pourrait entraîner vers un destin identique tout être humain imprudent qui, pour la gloire éphémère d’un pays, prendrait le risque d’un tel voyage terriblement coûteux et complexe… Mais j’ai un jour lu la guerre des mondes de Wells et les « martiens et leurs canaux restent un rêve de jeunesse qui peine à s’effacer… Alors je chasse parfois la réalité pour ne garder que le rêve…
J’espère, après toutes ces craintes et considérations, que l’optimisme et le don de soi que Yoko offre en cette aventure vous la fera aimer… J’ai réussi la mener à terme et vous l’offrir… Merci de votre confiance.
Roger Leloup… et … Yoko Tsuno