L'eau à traiter
- ️François de Dardel
L'eau à traiter
et quelques limites recommandées pour les installations d'échange d'ions
Introduction
En traitement d'eau par échange d'ions, la composition de l'eau affecte le fonctionnement d'une installation. Il est donc impératif de connaître avec précision la qualité d'eau à traiter.
Il faut connaître les éléments suivants :
- La salinité (voir aussi la page séparée sur les détails de l'analyse d'eau)
- Les matières en suspension et la turbidité
- La température
- Le pH
- Les matières organiques dissoutes
- D'autres impuretés, telles que le fer, le manganèse l'aluminium, l'huile, les polyélectrolytes, etc.
Nous examinerons ici les effets de tous ces paramètres et tâcherons de fixer des limites pratiques pour chacun d'entre eux.
Salinité de l'eau à traiter
C'est la chose la plus importante à connaître pour estimer les performances d'une installation d'échange d'ions. C'est aussi la première chose à vérifier si les performances du système se détériorent. Vous ne pouvez pas vous fier à une analyse faite il y a des mois, voire des années. Quelques-uns des effets d'un changement de salinité :
Type de changement | Effet |
---|---|
Salinité accrue | Cycles plus courts, volume produit en baisse ; parfois, qualité d'eau moins bonne. |
Salinité réduite | Cycles plus longs, volume produit en augmentation. On peut parfois réduire la fréquence des régénérations. |
Changement dans la composition de l'eau (p.ex. moins de bicarbonate, plus de chlorure) | Modification de la qualité de l'eau traitée. Les volumes de résine peuvent être déséquilibrés, le dégazeur a moins (ou plus) de CO2 à éliminer. |
Augmentation de la proportion de silice | Peut conduire à une fuite en silice plus haute et exiger une modification des conditions de régénération. |
L'image ci-dessous est une représentation schématique d'une analyse d'eau avec ses cations et ses anions. Une bonne analyse d'eau doit être équilibrée.
Voir aussi la description détaillée de l'analyse d'eau, avec les unités de concentration à utiliser et une table des ions le plus fréquemment trouvés dans l'eau.
Si l'analyse de l'eau varie selon les saisons, il faut refaire une estimation des performances de l'installation, et éventuellement réajuster les conditions opératoires en fonction des variations saisonnières. Si vous n'analysez pas l'eau vous-même, donnez un échantillon à tester à un laboratoire réputé. Si l'eau que vous traitez est de l'eau de ville, la municipalité devrait pouvoir vous en donner une analyse précise et détaillée.
Pour l'estimation des performances d'une installation, ou pour optimiser celle-ci, il est recommandé d'utiliser d'abord l'analyse de l'eau la plus probable, puis de refaire le calcul avec des analyses saisonnières pour avoir une bonne idée de la longueur des cycles dans toutes les conditions. Toutes les analyses d'eau doivent être réelles, pas des maxima, minima ou moyennes.
Les performances attendues d'une installation existante doivent être remises à jour sur la base des conditions d'exploitation réelles. Il vous faudra rassembler les données correspondantes :
- Analyse d'eau (après pré-traitement)
- Types et volumes de toutes les résines
- Méthode de régénération (co-courant, contre-courant, lits compacts etc.)
- Quantités et concentrations des régénérants
Limites de salinité
L'échange d'ions est la meilleure technologie pour des concentrations basses, celles que l'on rencontre dans la plupart des eaux de surface et un grand nombre d'eaux de forage. Une salinité élevée, en revanche, peut conduire à des cycles très courts, et dans les cas extrêmes, l'eau nécessaire à la régénération peut dépasser le volume d'eau traité. Comme limite, on peut fixer une valeur-guide de l'ordre de 20 meq/L, avec quelques exceptions. Pour les eaux de salinité plus élevée, l'osmose inverse est une technique qui a fait ses preuves.
L'eau de mer ne peut pas être déminéralisée par échange d'ions, car les résines seraient saturées en moins de 3 volumes (bed volumes).
Matières en suspension et turbidité
Idéalement, l'eau qui alimente une colonne d'échangeurs d'ions devrait être parfaitement claire et exempte de matières en suspension. Il est important de s'assurer que les filtres mécaniques placés en tête de l'installation fonctionnent correctement. Une filtration imparfaite conduisant à un excès de matières en suspension sur les résines peut causer :
- des passages préférentiels dans le lit de résine conduisant à des cycles anormalement courts ;
- des pertes de charge trop élevées, causant parfois une baisse du débit, et exigeant des détassages répétés de la résine.
Traditionnellement, on mesure les matières en suspension par filtration sur un filtre de 0.45 µm, et le résultat est exprimé en masse après séchage. La quantité tolérée de matières en suspension varie selon la technologie d'utilisation et selon la longueur du cycle. Dans le cas où les résines peuvent être facilement détassées, une quantité plus élevée de matières en suspension est acceptable.
- Les colonnes régénérées à co-courant sont détassées avant chaque régénération, et ne sont donc pas trop sensibles aux matières en suspension, du moins quand les cycles ne dépassent pas une journée, et plusieurs mg/L de MS sont habituellement acceptables.
- En revanche, si le cycle est long, les matières en suspension accumulées sur la surface du lit peuvent créer des problèmes de perte de charge même lorsque la valeur dans l'eau d'entrée est faible.
- Les colonnes régénérées à contre-courant ne sont pas détassées à la fin de chaque cycle — pour ne pas déranger la stratification du lit — et la perte de charge devrait être contrôlée fréquemment pour déterminer quand un détassage s'avère nécessaire.
- Les lits compacts sont plus sensibles aux matières en suspension, car ils ne peuvent pas être détassés in situ. En général, la quantité de matières en suspension devrait être nettement inférieure à 1 mg/L.
- Dans les système de type Upcore, les matières en suspension se déposent sur la surface du lit de résine, et une partie est éliminée lors de chaque régénération.
- Dans les systèmes de type Amberpack et lits flottants, les matières en suspension pénètrent dans la partie inférieure du lit, qui est légèrement fluidisée, et s'accumulent à cet endroit. Une certaine quantité de solides est tolérée en raison d'une migration progressive vers le haut du lit, mais rien ne peut être éliminé jusqu'au moment où la résine est transférée dans une colonne externe de soulèvement.
Limites pour les matières en suspension
Il n'y a pas de chiffre absolu ici. Le plus raisonnable est de calculer la charge de matières en suspension entrant durant chaque cycle et d'exprimer le résultat per mètre carré de section de la colonne. Quelques suggestions :
Système | Charge maximum par cycle |
---|---|
Co-courant | 6 kg/m2 |
Split-flow | 6 kg/m2 |
Contre-courant compacté à l'air ou à l'eau | 2 kg/m2 |
Condensats | 2 kg/m2 |
UpcoreTM et analogues | 0,5 kg/m2 |
AmberpackTM et analogues | 0,2 kg/m2 |
ADITM, ADNTM | 0,1 kg/m2 |
Limites de turbidité
La turbidité n'est pas un paramètre fréquemment utilisé pour les systèmes échangeurs d'ions. Il vaut mieux se référer au tableau ci-dessus, qui se rapporte aux matières en suspension. Pour les systèmes à lits compacts (Amberpack et analogues) ne comportant pas de tour de soulèvement, il a été démontré qu'une valeur de 1 NTU était déjà excessive.
Température
La température de l'eau à traiter et celle des régénérant peut affecter les performances du système.
Les effets d'un changement de température sont :
- À basse température, la capacité utile de toutes les résines diminue.
- Il y a une exception à la règle ci-dessus : à température élevée, la capacité d'une résine fortement basique pour l'élimination de la silice décroît jusqu'à devenir quasiment nulle si la température dépasse environ 60°C.
- Les résines fortement basiques styréniques de type 2 (comme l'Amberjet 4600) et acryliques (comme l'Amberlite IRA458) ne doivent pas être utilisées ou régénérées à plus de 35°C. Des températures plus élevées peuvent conduire à des problèmes de rinçage et à une perte de capacité forte, laquelle causerait une augmentation de la fuite en silice et un raccourcissement des cycles.
- Les résines échangeuses de cations peuvent fonctionner à des températures élevées, même supérieures à 100°C, mais la présence d'oxygène et de traces de métaux peut occasionner une oxydation progressive de la résine.
Limites de température
Voir la table présentant les limites pour toutes les résines échangeuses d'anions.
Les échangeurs de cations résistent à 100°C, voire davantage. Se rapporter aux fiches techniques des fabricants pour plus de détails.
pH
Les résines échangeuses d'ions peuvent tolérer sans dommage toute valeur de pH de 0 à 14, à condition d'éviter de forts chocs osmotiques dus à un changement trop rapide de concentration ou de pH.
Néanmoins, les résines ne peuvent fonctionner que dans certaines limites de pH. Les échangeurs de cations ne fonctionnent pas à pH très bas, ni les échangeurs d'anions à pH très haut, car ils seraient régénérés en permanence et incapable d'échanger d'autres ions.
De même, les résines ne sont pas conçues pour travailler dans des solutions de concentration très élevée en phase de saturation. C'est pourquoi la table ci-dessous ne devrait pas inclure de pH supérieur à 12 ou inférieur à 2, ce qui correspond à 10 meq/L de NaOH ou d'acide respectivement.
Limites de pH
Type de résine | pH |
Faiblement acide (WAC) | 6 à 14 |
Fortement acide (SAC) | 4 à 14 |
Faiblement basique (WBA) | 0 à 7 |
Fortement basique (SBA) | 0 à 9 |
Matières organiques
Des molécules organiques présentent dans l'eau peuvent interférer avec l'échange d'ions. L'effet principal de certaines matières organiques naturelles est un empoisonnement irréversible des résines échangeuses d'anions.
Les matières organiques peuvent causer les problèmes suivants :
- Baisse du pH (< 6) de l'eau traitée lorsque des matières organiques passent à travers le système.
- Conductivité élevée de l'eau traitée.
- Augmentation de la fuite en silice.
- Augmentation du temps de rinçage et du volume d'eau requis à cet effet.
- Diminution des cycles.
La méthode traditionnelle de mesure des matières organiques (DCO) est une oxydation au permanganate de potassium et son résultat est exprimé en mg/L de KMnO4.
Il n'y a malheureusement pas de corrélation directe entre cette méthode et celle plus récente de mesure du Carbone organique total (COT). L'expérience a toutefois montré qu'un facteur approximatif s'applique dans beaucoup de cas pratiques, du moins en France, où 1 mg/L de COT est environ égal à 5.5 mg/L de KMnO4.
Limites pour les matières organiques
Voir la table qui combine les limites de matières organiques pour les résines échangeuses d'anions avec celles de température.
Autres contaminants
D'autres impuretés de l'eau d'appoint peuvent interférer avec l'échange d'ions. Les plus courants sont mentionnés avec leur effet, leurs limites recommandées et comment les éviter.
Effets | Prévention/Traitement | Limites |
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Fer et manganèse | ||
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Limites pour Fe
Adoucissement et dénitratation : 1 mg/L Démineralisation HCl : 15 mg/L Démineralisation H2SO4 : 0,5 mg/L Traitement de condensats : 0,1 mg/L (jusqu'à 2 mg/L au démarrage) |
Aluminium | ||
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Limites pour Al
L'aluminium n'empoisonne pas les résines tant qu'il ne constitue qu'une petite proportion de la charge cationique totale. |
Baryum | ||
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Limites pour Ba
Lorque Ba constitue plus de 0.1 % du total des cations, H2SO4 ne doit pas être utlilisé. |
Huile et graisse | ||
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Limites pour l'huile
Pratiquement zéro 0,05 mg/L maximum |
Oxydants, chlore ou ozone | ||
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Limites pour les oxydants
Voir la table qui donne les limites recommandées. |
Polyélectrolytes | ||
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Limites pour polyélectrolytes
Pas de valeur générale. La prudence est recommandée. Dans le doute, exiger du fournisseur de polyélectrolyte qu'il confirme que son produit est sans danger pour les résines. |
Amberpack, Upcore, ADI et ADN sont des marques de DuPont