Nouveau système de musique théorique - Rameau
Le Nouveau Syst�me de Musique Th�orique, dont le titre complet est nouveau Syst�me de Musique Th�orique o� l'on d�couvre le Principe de toutes les r�gles n�cessaires � la Pratique ; pour servir d'Introduction au Trait� de l'Harmonie, fut publi� par Rameau en 1726.
En voici la pr�face :
PREFACE.
Si la Basse-Fondamentale propos�e dans le Trait� de l'Harmonie, parait aux Musiciens, un objet digne de leur attention ; que n'en pr�sumeront-ils pas, lorsque par leur propre exp�rience ils seront convaincus qu'elle leur est naturelle, qu'elle leur sugg�re tout ce qu'ils imaginent en Musique, & qu'en un mot, son principe subsiste dans leur voix m�me ?
Il y a effectivement en nous un germe d'Harmonie, dont apparemment on ne s'est point encore aper�u : il est cependant facile de s'en apercevoir dans une Corde, dans un Tuyau, &c. dont la r�sonance fait entendre trois Sons diff�rents � la fois ; (1) puisqu'en supposant ce m�me effet dans tous les corps Sonores, on doit par cons�quent le supposer dans un Son de notre voix, quand m�me il n'y serait pas sensible ; mais pour en �tre plus assur�, j'en ai fait moi-m�me l'exp�rience, & je l'ai propos� � plusieurs Musiciens, qui, comme moi, ont distingu� ces trois Sons diff�rents dans un Son de leur voix ; de sorte qu'apr�s cela, je n'ai pas dout� un moment que ce ne f�t-l� le v�ritable Principe d'une Basse-fondamentale, dont je ne devais encore la d�couverte qu'� la seule exp�rience.
Ce principe ainsi trouv�, m'a engag� � de nouvelles recherches, dont j'ai cru devoir faire part au Public. Je n'ay pu me dispenser pour lors d'emprunter le secours de quelques op�rations Math�matiques ; mais je crois les avoir mises tellement � la port�e de tout le monde, que les moins exp�riment�s dans la science des Math�matiques, n'auront pas de peine � y concevoir ce qui est n�cessaire pour l'intelligence de cet Ouvrage.
Toute la difficult� de mes op�rations Math�matiques ne consiste, en effet, qu'� savoir ce qu'on entend par la diff�rence d'1.� 3., & par le rapport d'1� 3. ; d'o� se tire la Proportion Arithm�tique 1. 3. 5., la Proportion G�om�trique 1. 3. 9., la Progression triple 1. 3. 9. 27. 81., &c. & la Progression quintuple, 1. 5. 25. 125. 625. &c. ; ce qui est tr�s simple, & ce qui est expliqu� de mani�re � ne pouvoir s'y tromper.
La Proportion Arithm�tique 1. 3. 5. nous est rendue par l'Harmonie qui r�sulte de la r�sonance d'une Corde, selon l'explication qu'on en trouvera.
La Proportion G�om�trique 1. 3. 9., dont les exposants 1. 3. sont tir�s de la Proportion Arithm�tique, & par cons�quent de l'Harmonie qui r�sulte de la r�sonance d'une Corde, indique les trois Sons fondamentaux qui constituent un Mode, prescrit les repos qui peuvent se pratiquer dans ce Mode, & indique non seulement le Son fondamental qui doit terminer ces repos, mais encore celui dont l'Harmonie peut �tre alt�r�e, par l'addition d'un Son dissonant.
On doit entendre par Son fondamental, le Son dominant d'une Corde, ou de tout autre corps Sonore, qui porte son Harmonie, telle qu'on la distingue dans cette Corde.
Le Progr�s successif des Sons fondamentaux d�termine celui des Sons qui composent leur Harmonie, & qu'on peut appeler, les Sons sup�rieurs.
On s'aper�oit pour lors d'un Progr�s naturel aux Tierces, qui constitue celui des Dissonances.
Les progressions qui naissent des Proportions pr�c�dentes, servent � faire trouver les raisons de tous les Intervalles possibles en Musique ; & nous apprennent (ce qu'on n'avait encore pu r�soudre) en quoi consiste le Temp�rament qu'observe une voix seule en chantant un Air ; celui que plusieurs voix observent entr'elles ; & celui qu'on doit observer dans la partition des Instruments de Musique.
Je me borne � dire simplement ici les avantages que j'ai tir� de ces Progressions, laissant aux Curieux le soin de chercher jusqu'o� elles pourraient les conduire dans la sp�culation.
On
trouve ensuite une Table des Intervalles & de leurs
Raisons, qui, jointe � celle des Progressions, peut servir
� d�brouiller tous les diff�rents
Syst�mes
qui nous ont �t� propos�s jusqu'� pr�sent, soit pour en
juger encore plus sainement qu'on ne l'a pu faire, soit
pour y reconna�tre des erreurs de calcul, qu'on peut bien
n'imputer qu'� l'impression.
On trouve encore la division du Ton majeur en neuf Comma, & deux Semi-Comma, d'o� l'on pourra conjecturer qu'il �tait assez inutile de diviser ce Ton majeur en Comma �gaux, (comme quelques Auteurs l'on fait) du moins par rapport aux avantages qu'on peut en tirer pour la Musique.
Je n'ai pas pouss� plus loin mes d�couvertes dans la Th�orie de la Musique, parce qu'il ne m'en a pas fallu davantage pour m'instruire de ce qui regarde la pratique de cet Art. On peut voir cependant comment le R. P. Castel a saisi le Principe propos�, & jusqu'o� il pr�tend le porter, lorsqu'il s'en sert pour d�montrer son Clavecin oculaire, dans le Mercure du mois de F�vrier 1726.
Comme mon Ouvrage est principalement consacr� aux Musiciens, je joins � tous les Exemples le nom des Sons ou Notes, & le plus souvent les Notes m�mes, pour qu'ils puissent faire la comparaison de ces Notes avec les nombres Harmoniques qui les accompagnent & surtout, pour qu'ils y reconnaissent le Principe que je m'y suis propos� ; & m�me, apr�s avoir expos� les Syst�mes Diatoniques & Chromatiques, qui prescrivent l'ordre des Sons que nous parcourons naturellement, soit dans un Mode, soit en passant d'un Mode � un autre ; j'abandonne ces Nombres Harmoniques, & je ne m'explique plus qu'en terme de pratique.
Je fais voir pour lors que la M�lodie & l'Harmonie nous sont naturelles.
Que la M�lodie na�t de l'Harmonie.
Que la dissonance est n�cessaire pour entretenir dans chaque Modulation la m�me liaison qu'on remarque dans chaque phrase d'un discours, & m�me pour y conserver aux Consonances leur progr�s le plus naturel.
Que la Septi�me est la seule Dissonances Harmonique.
Que la Sixte majeure, quoique naturellement consonante, peut cependant �tre encore regard�e comme une Dissonance premi�re dans son esp�ce, mais seulement dans un certain cas, o� elle est destin�e pour telle ; & que la Quarte aussi bien que toutes les autres Consonances peuvent devenir Dissonantes, soit par l'accident de la Septi�me, soit par la comparaison qu'on en a fait pour lors avec certains Sons graves qui ne sont pas fondamentaux ; �tant � remarquer que dans le cas de cette comparaison, les Consonances repr�sentent simplement la Septi�me, & qu'elles ne sont pas, en effet, Dissonantes.
Qu'il y a un certain rapport de Modulations qui peuvent se conformer � celui des diff�rentes phrases, des diff�rents sentiments, des diff�rentes passions, ou des diff�rents caract�res r�pandus dans le corps d'un Ouvrage qu'on veut mettre en Musique.
Que la force de l'expression d�pend beaucoup plus de la Modulation que de la simple M�lodie.
Que nous trouvons naturellement la Basse-fondamentale de tous les repos ins�r�s dans un chant ; & que m�me, � l'aide de quelques r�flexions, nous pouvons trouver sous tous les chants possibles la m�me Basse-fontamentale qui les a sugg�r�s.
Qu'on peut exceller dans la Pratique de la Musique sans en savoir la Th�orie.
Que sans une certaine sensibilit� qui nous est naturelle pour l'Harmonie, on n'est jamais parfait Musicien.
Qu'avec cette seule sensibilit� on n'est jamais en �tat de la procurer aux autres aussi promptement que cela se pourrait : On n'est point exempt d'erreurs, & l'on est toujours born� quant au fond.
Que les r�gles qu'on nous a donn�es jusqu'� pr�sent de la Composition & de l'Accompagnement �loignent tellement du but, qu'on n'y arriverait jamais, si la sensibilit� � l'Harmonie ne s'emparait � la fin des oreilles de ceux qui se conduisent par ces r�gles (2).
Que le seul & unique moyen de gagner promptement cette sensibilit�, consiste dans l'Accompagnement du Clavecin ou de l'Orgue.
Qu'on n'a point encore trouv� les Principes de cet Accompagnement ; qu'on ne les trouvera jamais sans la connaissance de la Basse-fondamentale ; & que m�me avec cette connaissance, il faut encore avoir celle du Doigter, proportionnellement � l'ordre & au progr�s des Accords ; d�s qu'on veut s'en servir pour gagner promptement la sensibilit� � l'Harmonie.
Que c'est apparemment la difficult� qu'on a eu justement jusqu'� pr�sent de r�ussir dans cet Accompagnement, qui en a rebut� la plupart des Musiciens ; quoiqu'ils doivent bien sentir l'utilit� qu'ils en pourraient tirer.
Qu'un Accompagnement bien dig�r� doit procurer en peu de temps la facilit� de Pr�luder, & doit par cons�quent aider � former non seulement l'oreille � l'Harmonie, mais encore le g�nie & le go�t ; de sorte que c'est-l� le seul moyen de former promptement un bon Compositeur, & m�me un bon Organiste.
Enfin, je vais voir, que, faute d'avoir connu la Basse-fondamentale, la raison & l'oreille n'ont encore pu s'accorder dans la Musique : Non que cette remarque puisse diminuer le m�rite de nos grands Musiciens ; je crois au contraire, qu'elle doit servir � le relever, puisque malgr� les mauvais principes qu'ils ont re�us de leurs premiers Ma�tres, ils ont port� leur Art � un tr�s haut degr� de perfection. Si cependant quelques jaloux de la r�putation de ces premiers Ma�tres, voulaient se mettre en devoir de la d�fendre ; je les prie de s'en expliquer hautement, & de ne pas se contenter de dire leurs raisons � des personnes qui ne sont pas en �tat de les combattre, ni peut-�tre m�me de les concevoir : Une dispute sur un pareil sujet ne peut �tre que tr�s instructive, & il est de l'int�r�t de tous les Musiciens qu'on la rende publique.
Au reste, je donne dans cet Ouvrage un pr�cis de la Basse-fondamentale, qui doit servir � l'�claircissement des r�gles r�pandues dans le Trait� de l'Harmonie ; & j'y fraie, en un mot, bien des routes, qui pourront mener loin ceux qui voudront les suivre, soit dans la sp�culation, soit dans la pratique de la Musique.
(1) - Cette exp�rience est cit�e par diff�rents Auteurs (retour au texte).
(2) - Il n'y a pas un Musicien qui ne sente en lui-m�me cette v�rit� (retour au texte).