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Histoire de la Transylvanie / 1. Du Royaume de Hongrie jusqu’à la Principauté de Transylvanie


Table des matières

La Transylvanie et la désintégration de l’Etat hongrois médiéval

Le 29 août 1526, la Hongrie subit, à la bataille de Mohács, une défaite totale face à l’Empire turc. Le roi Louis II (1516-1526) mourut au cours des combats. Après cette victoire, Soliman Ier prit Buda, la capitale, et fit, peu après, évacuer la ville. Cela créa en Hongrie une vacance du pouvoir. Deux personnages se montraient fort actifs pour remplir ce vide. L’un était Ferdinand de Habsbourg, archiduc d’Autriche, beau-frère de Louis II et frère cadet de l’empereur Charles Quint, qui exigeait le trône pour lui-même en se réclamant d’un accord dynastique passé en 1515. Sa personne symbolisait l’aide espérée, dans la lutte contre les Turcs, de l’Empire germanique.

L’autre postulant était Jean Szapolyai, voïvode de Transylvanie depuis 1511. Il n’était pas d’origine princière, son père qui, par la grâce du roi Mathias, était devenu l’un des plus grands propriétaires fonciers du pays, l’élevait, pendant la longue période où Vladislas II (1490-1516) était sans enfant, comme l’héritier présumé du trône. En 1526, la majorité des grands du pays et l’ensemble de la petite noblesse lui étaient déjà favorables. Les Ordres toujours déçus par l’aide étrangère, voyaient en lui un sauveur du pays.

Le 10 novembre 1526, Szapolyai se fit élire roi de Hongrie par la Diète réunie à Székesfehérvár et, le lendemain, il se fit couronner sous le nom de Jean Ier. Il se fixa comme but de remettre l’Etat hongrois sur pied. Il régnait avec fermeté mais les succès incontestables de sa politique intérieure furent rapidement anéantis par l’échec de sa politique extérieure. Il essaya de s’entendre avec les Habsbourg pour lutter ensemble contre les Turcs, mais Ferdinand qui, depuis octobre 1526, était devenu roi de Bohême et qui fut également élu roi de Hongrie, à Pozsony en décembre 1526, par une poignée de fidèles, ne voulait pas négocier, bien que son frère, Charles Quint, dût engager, justement à partir de l’été 1526, une nouvelle guerre contre une coalition des pays européens dirigée par la France. Cette alliance aurait accepté Szapolyai en son sein mais lui, talonné par les Turcs, voulait justement éviter une situation de guerre.

Ce furent les succès inattendus remportés en Italie par l’armée mercenaire de l’Empereur qui amenèrent un tournant décisif: celle-ci, au cours de l’été, prit Rome et contraint le pape Clément VII, le principal allié du roi François Ier, à signer la paix. Ainsi Ferdinand avait-il maintenant les mains libres et, craignant que la Hongrie, affaiblie, ne conclût un arrangement avec le Sultan {f-242.} mettant ainsi en danger imminent l’Autriche et la Bohême, il décida de partir lui-même à sa conquête.

En juillet 1527, une armée mercenaire allemande passa la frontière hongroise. Les attaquants, auxquels se joignit peu à peu une noblesse hongroise hésitante (la peur d’une guerre sur deux fronts rendait tout le monde indécis) prirent Buda sans résistance puis, le 27 septembre, près de Tokaj, ils vainquirent, dans une bataille sanglante, l’armée de Szapolyai. Le roi Jean se réfugia dans son ancienne province de Transylvanie mais, au cours de l’hiver, cette base, qui semblait être sûre, se retourna elle aussi contre lui: Georg Reicherstorfer, un homme de confiance de Ferdinand, habile et sans scrupules, souleva contre le roi Jean d’abord Brassó puis les autres villes saxonnes. Entre-temps, Péter Perényi, qui avait été nommé voïvode de Transylvanie par Szapolyai, passa également dans l’autre camp et il livra même la Sainte Couronne aux Habsbourg. Ferdinand Ier fut couronné avec elle le 3 novembre 1527.

Ce qui restait des partisans de Jean continuait, en Transylvanie, à résister avec résolution mais leur maître subit, en mars 1528, une nouvelle défaite près de Kassa, d’où il s’enfuit sous faible escorte en Pologne.

Au cours de ces campagnes militaires, les Turcs avaient plusieurs fois proposé leur aide à Szapolyai; d’autre part, une fois Ferdinand installé au pouvoir, les beys de la région frontalière multiplièrent leurs incursions dans le Sud du pays. Le roi Jean se rendit alors compte que Soliman Ier n’allait pas permettre que la plus puissante dynastie d’Europe s’installe en Hongrie, pays voisin. Or, les expériences des dernières années laissaient prévoir que des deux ennemis, les Turcs seraient les plus forts.

La conscience chrétienne et la haine portée contre les Turcs, à la suite des hostilités séculaires, rendait toute décision fort délicate. Ce fut probablement le soulèvement de la Transylvanie, à la fin de l’année 1527, qui fut la goutte qui fit déborder le vase. Cette partie du pays, même indirectement, joua donc un rôle important à ce tournant fondamental de la politique hongroise: vers la fin de l’année 1527, Jean le` envoya le Polonais Hieronyme Łaski à Constantinople afin qu’il y demande l’aide du Sultan. La mission aboutit avec une rapidité étonnante. Après des tractations de quelques semaines, le Sultan fit la promesse écrite de ne «jamais abandonner Szapolyai dans quelque détresse qu’il se trouve».*

Entre-temps, les Habsbourg avaient causé une amère déception aux Hongrois. Le nouveau gouvernement manquait d’argent et se trouvait dans un état d’inactivité. Charles Quint, en conflit armé avec la France pour la possession de Naples, ne pouvait l’aider non plus. Si bien que Szapolyai, dès qu’il fut informé des préparatifs de guerre des Turcs, retourna en Hongrie afin que les Turcs ne soient pas seuls à la reconquérir.

Au printemps de 1529, toute la Plaine hongroise est de nouveau passée aux mains du roi Jean. La campagne turque, lancée au cours de cette même année, est arrivée devant les murs de Vienne et, bien que l’armée turque ait dû, après des combats prolongés jusqu’à la fin de l’automne, faire demi-tour, la moitié de la partie est de la Transdanubie – y compris Buda – ainsi que la Grande Plaine hongroise ont dû être cédées au roi Jean. Une époque de guerres désordonnées s’en est suivie avec des attaques répétées des Turcs (dont une {f-243.} nouvelle campagne contre Vienne, fut arrêtée à Kőszeg en 1532). Mais les forces engagées sont finalement presque égales et la ligne de front établie en 1529 est peu modifiée: la partie est de la Hongrie septentrionale passe elle aussi sous l’autorité du roi Jean. La Hongrie – trois ans après la bataille de Mohács – est pratiquement coupée en deux.

La Transylvanie se trouvait dans la partie est du pays démembré, mais cela ne voulait pas dire son ralliement automatique aux côtés de Szapolyai.

Pourtant le gouvernement de Ferdinand Ier ne s’était montré ici ni meilleur, ni plus efficace que dans les autres parties du pays. Dans les villes saxonnes, les hommes de Reicherstorffer faisaient régner la terreur: même Markus Pemflinger, le juge royal de Szeben, connu pour son inébranlable loyauté envers les Habsbourg, se fit malmener par eux. Péter Perényi n’arrivait à s’entendre ni avec les Saxons ni avec la noblesse hongroise. Ferdinand voulait bien y envoyer des troupes, mais seulement à condition que leur entretien soit financé par les Transylvains qui ne voulaient pas de ce genre d’aide.

Entre-temps, Szapolyai avait réussi à couper la Transylvanie du reste du pays. Le prince de Moldavie, Petru Rareş, sur l’ordre des Turcs, fit irruption en Terre sicule puis, le 22 juin 1529, à Földvár (près de Brassó), il battit l’armée de Bálint Török, fidèle à Ferdinand. Le reste de la résistance fut mis au pas, au cours de plusieurs campagnes militaires de moindre importance, par le gouverneur de Jean Ier, István Báthori de Somlyó (1530-1534) qui, plus tard, fut nommé voïvode. Ce furent les Saxons qui restèrent le plus longtemps fidèles aux Habsbourg mais Brassó, dès l’été 1530, rouvrit ses portes à l’armée hongroise-moldave-turque. Segesvár se rendit en janvier 1531 et, au début de 1532, le dernier grand magnat transylvain fidèle aux Habsbourg, István Maylád, passa dans le camp de Jean. La résistance se limitait désormais à la seule ville de Szeben, mais le processus de soumission fut retardé par une série d’événements singuliers: à la fin de 1530, au cours d’une assemblée de la Diète réunie à la hâte à Buda, Jean Ier nomma gouverneur du pays Alvise (Lodovico) Gritti, banquier et homme de confiance du Grand Vizir Ibrahim, et fils naturel d’Andrea Gritti, le doge de Venise. Il attendait de lui d’intensifier l’aide turque, d’équilibrer les finances et de porter une solution à la crise politique.

Mais Gritti était bien plus ambitieux que quiconque eût pu l’imaginer. Il voulait devenir le maître absolu de toute la Hongrie, d’abord avec l’aide du Sultan puis, plus tard, en jouant simultanément la carte de Vienne et celle de Constantinople. Après avoir, pendant plusieurs années, tâté le terrain politique, il se décida, au printemps de 1534, à franchir le pas décisif; il se mit à la tête d’une armée turque et partit à la conquête du pouvoir. Il arrivait du côté de la Transylvanie et il passa la frontière près de Brassó. Peu après, il fit traîtreusement assassiner un des partisans les plus populaires et plus puissants de Jean Ier, Imre Czibak, l’évêque de Várad.

La noblesse de Transylvanie et du Bihar prit immédiatement les armes, et Ferenc Patócsy, le neveu de Czibak, ainsi que Gotthárd Kun, le commandant de l’armée transylvaine du roi Jean, se mirent à la tête du soulèvement. S’étant retiré dans la ville de Medgyes, Gritti fut bientôt cerné par une armée importante. Le voïvode de Moldavie, Petru Rareş, appelé à l’aide, changea soudain de camp et se mit du côté des révoltés: le 28 septembre, les habitants de Medgyes ouvrirent les portes aux révoltés qui massacrèrent le gouverneur ainsi que sa suite turque.

Le roi Jean se trouvait devant une décision difficile au moment où les combats commencèrent: s’il abandonnait Gritti, il s’attirait la colère du Sultan, s’il l’aidait, ses propres sujets se retourneraient contre lui. Après un temps {f-244.} d’hésitation, il se décida pour la première solution et, une fois le drame de Medgyes consommé, il se prépara à subir la tempête. Il alla jusqu’à la dernière limite: par l’intermédiaire des ses ambassadeurs, il proposa à l’Empereur Charles Quint, au cours de l’été 1535, son renoncement à la couronne. Puis ses craintes s’avérèrent sans fondements: le Sultan fit enquêter sur les circonstances de la mort de son sujet mais le zèle de tirer l’affaire au clair diminuait au fur et à mesure que pâlissait la bonne étoile du Grand Vizir, et enfin l’exécution d’Ibrahim, en mars 1536, mit un terme à l’affaire.

Ainsi, le roi Jean put retirer sans remords sa proposition d’abdication, d’autant que l’Empereur ne pouvait accomplir la condition principale, à savoir de pourvoir les châteaux forts de Hongrie de l’effectif nécessaire à leur défense.

L’épisode Gritti se termina sans conséquences politiques majeures. Pendant ce temps, toutefois, la lutte reprit en Transylvanie entre les deux partis. A la fin de l’année 1535, les partisans de Ferdinand tentèrent d’acheminer de l’aide, via Szatmár, à la ville de Szeben, qui résistait toujours, mais leur tentative échoua. Le Ier mars 1536, Szeben fit acte de soumission à Jean Ier. La guerre civile, pour le moment, prit fin en Transylvanie.

Les événements de 1534 ont une conséquence qui ne sera pas sans retombées ultérieures. Le siège épiscopal de Várad, devenu vacant après la mort de Czibak, ainsi que l’une des dignités, celle de trésorier, furent attribués à un homme de confiance de Szapolyai, resté jusqu’ici dans l’ombre, un religieux de l’ordre de Saint Paul, appelé Utiešenović ou «le moine György» (il est connu aussi sous le nom de Martinuzzi, mais ce nom est dû à l’erreur d’un historien). Avec son aide, Jean Ier pourra, au début de 1538, mettre fin aux guerres intestines qui, depuis 11 ans, sévissent en Hongrie.

En 1528, Szapolyai avait perdu la plus grande partie de ses immenses domaines familiaux. En tant que biens de la Couronne, il ne lui restait pratiquement que Buda, Solymos et Lippa. Pendant les guerres, la perception des impôts était devenue difficile (sans parler du fait que chacun des deux souverains ne disposait que de la moitié du territoire imposable) et les plus riches mines et péages de douane restaient aux mains de Ferdinand. Dans le royaume de Jean Ier, la situation d’avant Mohács fut rétablie avec une domination des grands propriétaires fonciers qui était déjà à l’origine de tant de malheurs: un Péter Perényi, un Bálint Török étaient, sur leurs propres terres, de bien plus grands seigneurs que le roi. C’est de l’autre camp, de la bouche des conseillers hongrois de Ferdinand Ier que provient la description amère de la situation: «Les criminels, qui sont innombrables, échappent à leur châtiment en fuyant chez l’ennemi, ceux de l’ennemi viennent chez nous … ce qui peut être la cause de nouvelles guerres et de troubles dans le pays …».*

En fait, c’était là l’époque des retournements sans vergogne où seul l’intérêt personnel comptait. Il faut cependant préciser qu’aucun des deux partis n’était capable de résoudre les graves problèmes du pays, ni même de donner le moindre espoir d’un jour meilleur. Duplicité et inconstance ne sont donc nullement surprenants dans ces conditions.

Dans l’Etat aux frontières incertaines et qui souffrait de difficultés intérieures et extérieures chroniques, la Transylvanie ne put ni augmenter son influence, ni jouer un rôle plus important, même après être véritablement {f-245.} passée sous le sceptre du roi Jean. Les trois «nations» n’étaient pas unies: les Sicules avaient tendance à contester toute autorité, les Saxons, après leur défaite, continuèrent néanmoins à être favorables aux Habsbourg, tandis que la noblesse hongroise des comitats de Transylvanie, encore qu’elle eût le mérite d’avoir vaincu les Saxons, ne put pas faire valoir son poids à l’échelle du pays. István Maylád, maître de Fogaras, mis à part, il n’y avait parmi eux aucun grand propriétaire foncier de poids.

Les antécédents de l’Etat transylvain le roi Jean et le moine György

L’année 1536 fut marquée par de petits succès obtenus par le roi Jean: outre la soumission de Szeben, il réussit à récupérer l’importante ville de Kassa. L’année suivante, Ferdinand Ier envoya ses troupes en contre-attaque. Il put enregistrer, en Haute-Hongrie, quelques petites victoires mais, plus au sud, au bord de la Drave, l’armée de 40 000 hommes de Hans Katzianer perdit la plus importante bataille qui fût livrée en Hongrie depuis Mohács, même pas contre le gros des forces turques, mais face aux armées des beys de la région frontalière.

Le roi Jean était depuis longtemps disposé à négocier et Ferdinand se rendit maintenant compte qu’il ne parviendrait pas à résoudre la «question hongroise» par les armes. Les négociations furent entamées à la fin de 1537, avec l’envoyé de l’Empereur, l’archevêque de Lund Johann Wese; Szapolyai, lui, fut représenté par le moine György: jusque-là il s’était distingué dans les finances, cette fois-ci, il se montra habile diplomate.

La paix fut signée à Várad, le 24 février 1538. Aux termes de celle-ci, les deux souverains pouvaient conserver leur titre de roi de Hongrie et gardaient du pays ce qu’ils en possédaient à cette date. De plus, Szapolyai s’engageait à ce que la partie du pays qu’il possédait passerait, après sa mort, à Ferdinand et que, s’il lui naissait entre-temps un héritier, on le dédommagerait par une «principauté» à créer dans le Szepesség (pays de Zips).

Les deux parties savaient pertinemment que le Sultan n’accepterait pas la situation ainsi créée. Elles tinrent le traité de paix secret et s’en remirent à Charles Quint afin de s’assurer, le cas échéant, son aide si la Hongrie était en danger.

Néanmoins, lorsque, en automne 1538, le Sultan commença une nouvelle campagne en Europe, ce fut en vain que Jean Ier demanda de l’aide. L’Empereur ne voulait faire face aux Turcs qu’en Méditerranée, tandis que Ferdinand Ier envoya seulement quelques milliers de mercenaires qui arrivèrent trop tard. Par chance, Soliman marchait, cette fois-là, contre la Moldavie, mais Szapolyai devait en tirer les conséquences: il dénia le traité de Várad.

Le roi et le moine György entreprirent conjointement la réalisation de cette manśuvre politique compliquée. Ce dernier faisait en sorte d’empêcher par tous les moyens les seigneurs hongrois de prêter le serment secret, comme cela était stipulé dans le traité. Il s’attira ainsi l’attention et aussi la haine générales. Entre-temps, le roi Jean cherchait une épouse et il la trouva en la personne d’Isabelle, une des filles de Sigismond Ier, roi de Pologne. Le mariage, célébré le 2 mars 1539 à Székesfehérvár, constitue un événement d’un contenu politique évident: c’est au nom de l’héritier attendu que le traité de Várad sera rompu, la politique pro-turque suivie, ce dont la nécessité incontournable a été maintes fois prouvée au cours des dernières années.

{f-246.} C’est alors qu’intervient à nouveau la Transylvanie dans le déroulement des événements. Après la grande peur de 1538, les seigneurs de cette région se réunissent en secret sous la houlette des voïvodes István Maylád (1534-1540) et Imre Balassa (1536-1540). Nous avons peu d’informations sur les objectifs du «complot»: il semblerait qu’ils aient voulu, afin de se libérer ainsi du danger toujours imminent de la guerre avec les Turcs, séparer la Transylvanie du royaume de Hongrie. Les grands seigneurs étaient généralement partie prenante. Il leur était néanmoins difficile d’oublier cette tradition vieille de plusieurs siècles que fut leur appartenance à la «nation a hongroise. Par ailleurs, les interlocuteurs étrangers avec lesquels des contacts avaient été pris (du Sultan jusqu’aux Ordres de la Bohême) ne prenaient pas leur proposition trop au sérieux. L’entreprise, dont le dessein était pour le moins vague, s’effondra au moment même où le roi Jean apparut dans la province à la tête de son armée. La presque totalité des participants demandèrent grâce et l’obtinrent. Seul Maylád s’enferma dans son château fort de Fogaras.

Jean Ier arriva malade en Transylvanie et à peine eut-il reçu la nouvelle tant attendue de la naissance, le 7 juillet, de son fils, qu’il dut s’aliter et, le 22 juillet, il mourut dans la ville de Szeben.

Ainsi, la tâche difficile de maintenir unie la fraction du pays placée sous le sceptre de Szapolyai au nom d’un enfant de quelques semaines échut au moine György. La vague de défection – invoquant le prétexte du traité de Várad – déferla immédiatement. Les plus puissants partisans de Szapolyai firent l’un après l’autre acte de soumission à Ferdinand: Péter Perényi, Ferenc Frangepán, brillant diplomate et archevêque de Kalocsa, le voïvode István Maylád étaient à leur tête.

L’évêque de Várad, malgré tout, s’empressa de se rendre à Buda pour faire proclamer roi le bébé par une Diète réunie en toute hâte. Jusqu’à sa mort, il portera le titre de «Jean II, roi élu de Hongrie». Avec ce qui restait de fidèles, Bálint Török et Péter Petrovics, les tuteurs de l’enfant-roi, défendirent Buda avec succès contre les assauts des troupes de Ferdinand, à l’automne de 1540. Ils envoyèrent en même temps, pour y demander de l’aide, le chancelier Werbőczy en ambassade à Constantinople.

Soliman Ier promit gracieusement son aide. Mais, à peine Werbőczy était-il parti avec la bonne nouvelle que survint l’ambassadeur de Ferdinand Ier (c’était encore Hiéronyme Laski) pour rendre les honneurs à la Sublime Porte. Il était venu pour livrer au Sultan le secret du traité de Várad. Vienne pensait, sans aucun doute, que s’il réussissait à brouiller le Sultan avec ses protégés, le parti de Szapolyai se verrait contraint de se soumettre à Ferdinand, ce qui aurait pour conséquence que la Hongrie pro-turque, source de tant de problèmes, cesserait d’exister.

Pour parer à toute éventualité, les armées allemandes et hongroises de Wilhelm Roggendorff et de Péter Perényi mirent de nouveau, à partir de mai 1541, le siège devant Buda. A la fin de juillet, des troupes turques apparurent dans le dos des assiégeants. Après quelques jours de combats sanglants, les chrétiens furent pratiquement anéantis. Et, peu de temps après, arriva sur les lieux Soliman en personne avec toute son armée. Sa présence n’était pas due au hasard: le Sultan voulait régler ses comptes avec les Hongrois infidèles. Les maîtres de Buda avaient toutes les raisons d’être inquiets: la ville affamée n’aurait pu résister aux Turcs.

Le 29 août, le Grand Seigneur invita les dignitaires hongrois à lui rendre les honneurs à l’occasion du 15e anniversaire de la bataille de Mohács. Au moment de la réception, les janissaires «en visite de la ville» occupèrent le siège {f-247.} royal de la Hongrie. On fit savoir au moine György et à Péter Petrovics que les régions situées au-delà de la Tisza et la Transylvanie pourraient rester aux mains du fils du roi Jean moyennant 10 000 florins d’or de tribut annuel.

Ce fut un douloureux tournant de l’histoire de la Hongrie: le pays fut divisé en trois parties, celle du milieu étant devenue une province de l’Empire Ottoman. Pourtant, ce n’était qu’un jalon sur le chemin qui menait à la formation du futur Etat transylvain.

En 1541, une triste réalité se fait jour: les Turcs s’établissent en conquérants et les Habsbourg restent incapables de défendre la Hongrie. La situation reflète la position initiale qui, depuis 1529, détermine la marge de manoeuvre de la politique hongroise: la partie est du pays reste dans le secteur d’intérêt des Turcs, et les habitants de cette région doivent, dans leurs choix politiques, compter avec cette réalité.

Accablé par les accusations de la reine Isabelle désespérée, et entouré de la haine des seigneurs hongrois qui pleuraient la perte de Buda, le moine György entreprit la réorganisation du pouvoir. Au-delà de la Tisza, grâce aux domaines de l’évêché de Várad et à la seigneurie de Solymos-Lippa, le moine était le maître absolu, tandis qu’en Transylvanie, ce furent les Turcs qui nettoyèrent le terrain pour lui: ils firent prisonnier István Maylád, leur ennemi le plus dangereux en l’accusant de trahison et l’enfermèrent à Constantinople pour le restant de ses jours. Le 20 janvier 1542, l’assemblée des trois «nations», réunie à Marosvásárhely reconnaît le moine comme gouverneur de Transylvanie et, à la fin de mars de la même année, une autre Diète (celle de Torda) invite la reine Isabelle à s’installer avec son fils-roi dans la province.

Après la perte de Buda, la partie du pays placée sous la coupe des Szapolyai n’avait plus de capitale réelle. La dernière seigneurie de quelque importance de Szapolyai, Lippa, était trop proche de la zone turque; aussi la cour, qui s’y était réfugiée en automne 1541, ne pouvait-elle y séjourner longtemps. La Transylvanie est devenue tout naturellement le noyau du pays tronqué, et comme l’évêché de Transylvanie se trouvait justement vacant, Isabelle put s’installer dans le palais épiscopal de Gyulafehérvár, tandis que le gouverneur rattacha au Trésor les immenses domaines de l’évêché. Il ne fut pas nommé de nouvel évêque de Transylvanie.

En raison du mécontentement général, l’installation ne se déroula pas en toute quiétude. Bien qu’en octobre 1541, les provinces de la région de la Tisza et la Transylvanie eussent juré, à la Diète de Debrecen, fidélité à la dynastie des Szapolyai, le roi Ferdinand se préparait de nouveau à la reconquête de Buda, et dans son action, il bénéficiait pour la première fois de l’appui de l’Empire. Le 29 décembre 1541, au château de Gyalu, le moine signe un accord avec les ambassadeurs de Ferdinand afin de fonder le nouveau royaume uni de Hongrie sous le blason des Habsbourg: les conditions sont les mêmes, stipulées par le traité de Várad qu’on venait de bafouer.

La campagne de Hongrie que mène l’Empire (été 1542) se solde par un échec cuisant. Charles Quint est occupé par une nouvelle guerre contre la France, tandis que les Turcs, entre 1543 et 1544, occupent, à titre de représailles, un certain nombre de châteaux forts de Hongrie. Ferdinand Ier se décide enfin à renoncer à cette guerre sans espoir. Le 10 novembre 1545, à Andrinople, ses ambassadeurs signent un armistice. La Hongrie est de nouveau abandonnée à son sort.

Le moine György, immédiatement après la déception de 1542, à l’occasion d’une nouvelle assemblée réunie à Torda (le 20 décembre), extorque aux Ordres de Transylvanie un nouveau serment de fidélité. «L’union des trois {f-248.} nations» est renouvelée, tandis que le traité de Gyalu, malgré les protestations des Saxons, est déclaré nul. Au début de 1543, est arrivé à Constantinople le premier tribut envoyé aux Turcs dans l’histoire de la Transylvanie: 10 000 florins. A l’assemblée de Transylvanie, en août 1544, participent, comme représentants à part entière, les délégués des comitats situés dans la région de la Tisza.

Le moine György est arrivé au faîte de son pouvoir. En tant que gouverneur de Transylvanie, il s’approprie une bonne partie des châteaux et domaines autrefois propriétés du voïvodat (Déva, Görgény) et il fait main basse sur la totalité des domaines de l’évêché de Csanád, ainsi que sur la fortune de quelques grandes familles éteintes.

Mais ce pouvoir n’était tout de même pas sans limites. D’abord, il y avait, dans le pays du roi Jean II, deux provinces où ce n’était pas le moine qui exerçait le pouvoir. Dans la région au nord-est de la Tisza, Lénárt Czeczey, capitaine de Kassa, est maître incontesté, tandis que dans les territoires situés entre le Maros et la Tisza, le comes de Temes, Péter Petrovics faisait la loi. En outre, sur les territoires non-transylvains des Szapolyai, il y avait également un grand nombre de vastes domaines privés: les Patócsy à Békés, János Török à Debrecen, Drágffy et Perényi de Máramaros à Kraszna, plus loin, dans les comitats de Zemplén, de Borsod et d’Abaúj, les Balassa, les Losonci, les Bebek et les Homonnai Drugeth exerçaient leur droit féodal.

Enfin – et c’est là l’essentiel – la tradition eût voulu que la reine mère prenne en main les affaires d’Etat. Mais le moine György conservait son poste de trésorier, il gouvernait la Transylvanie en tant que «gouverneur» du roi et enfin, il se créa un titre: il devint le «juge principal» du pays. Les finances, l’administration et le droit se trouvaient concentrés entre ses mains. Les postes des plus importantes dignités de la cour royale hongroise (palatin, juge, chancelier, argentier du roi) n’étaient pas pourvus; il n’a pas été nommé de nouveau voïvode non plus. En Transylvanie, les affaires courantes étaient à la charge d’un vice-voïvode issu de la petite noblesse (János Kemény).

Dès le premier instant, la reine Isabelle supporta difficilement le moine-évêque au caractère difficile et trop économe. La veuve parfois capricieuse, à qui manquait l’expérience de son rival, était inévitablement perdante à chaque confrontation avec le moine inébranlable et résolu, et elle songea même à plusieurs reprises à renoncer au trône et à partir avec son fils.

Les anciens fidèles de la maison Szapolyai, et tout particulièrement Péter Petrovics, un lointain parent, par fidélité dynastique et par crainte pour leur pouvoir (et aussi par orgueil aristocratique face à un homme de basse extraction) penchaient plutôt du côté d’Isabelle. Cependant, la politique menée par le moine György leur convenait, même si ce dernier prenait souvent les décisions contre l’avis de la reine, raison pour laquelle ils étaient contraints d’accepter son pouvoir.

Cette guerre des nerfs entre la reine et le moine-évêque nourrie par une antipathie réciproque était lourde de dangers. La société hongroise, depuis les grands féodaux jusqu’aux bourgeois, des petits nobles jusqu’aux paysans quelque peu lucides, considérait la réunification du pays comme l’objectif premier. Elle acceptait les raisons qui poussaient à l’amitié avec les Turcs, mais elle avait tendance à considérer la domination des Szapolyai comme une affaire de famille. Ainsi, le maître de la partie orientale du pays – qui fut manifestement le moine György – devait subir leur pression en vue de réaliser un but, dont lui-même ne niait pas la primauté, mais qui lui paraissait impossible à atteindre. Il se cramponnait au pouvoir tout en étant incapable de faire accepter tant sa personne que sa politique.

{f-249.} Chute et recommencement

L’équilibre délicat du pouvoir tel qu’il était exercé dans la Hongrie des Szapolyai fut peu à peu rompu par les événements de la fin des années 1540. Le processus s’était entamé au début de l’année 1546 quand les Turcs commencèrent à exiger la remise d’un château du Sud, Becskerek, pour s’assurer ainsi le maintien d’une bonne liaison entre Belgrade et la ville de Szeged, prise en 1543. L’année suivante fut de mauvais augure. Le 31 mars 1547, mourut François Ier, roi de France et grand ennemi de la maison des Habsbourg. Le 24 avril, les armées de Charles Quint remportèrent, à Mühlberg, une victoire contre les princes protestants révoltés, victoire qui parut décisive. Enfin, à Constantinople, l’armistice observé entre les Habsbourg et le Sultan fut remplacé, le 18 juin, par une paix véritable.

La politique pro-turque inaugurée par Jean Ier avait atteint son objectif principal: préserver de l’invasion turque la Hongrie orientale abandonnée à elle-même tout en maintenant son indépendance. Par contre, l’affaire du château du Sud constituait un avertissement qu’à la longue, les Turcs ne manqueraient pas d’avancer, alors que la paix de Constantinople avait neutralisé les forces capables de limiter le libre mouvement de la Porte dans le bassin des Carpates: l’armée des Habsbourg. Cela paraissait d’autant plus évident que Soliman Ier refusait d’inclure des garanties pour Isabelle et son pays dans le traité de paix.

La cour de Gyulafehérvár envoya un message désespéré à Charles Quint «… nulle paix n’est possible avec un ennemi qui non seulement veut … notre soumission mais porte atteinte à notre vie … Jusqu’à présent, il se contentait d’un impôt, mais maintenant il exige toujours plus de places fortes et cherche notre perte».* Les conseillers hongrois de Ferdinand Ier demandaient eux aussi à l’Empereur de ne pas signer la paix en invoquant qu’ils étaient au service de la maison des Habsbourg justement dans l’espoir de la voir chasser les Turcs.

Charles Quint ne pouvait cependant croire que la mort de François Ier et la victoire de Mühlberg fussent à même de résoudre les difficultés de l’Empire. La paix de Constantinople ne fut donc pas dénoncée.

La peur générale aidant, tant Isabelle que le moine György entreprirent de nouvelles manśuvres: la reine se remit à marchander avec Ferdinand sa possible abdication. Le moine, lui, finit par se décider à briser le cercle magique qui, depuis un quart de siècle, déterminait la politique hongroise: il défia l’immobilisme des Habsbourg, tout en pressant Isabelle à se déterminer quant à l’avenir de la dynastie des Szapolyai. Il offrit lui aussi à Ferdinand Ier le trône de Transylvanie.

Le roi, après un an de réflexion, se décide enfin à envoyer des troupes pour défendre sa nouvelle province. Obtenant ainsi un résultat sur le point le plus important, le moine György signe, en septembre 1549, à Nyírbátor, la troisième convention sur l’union des deux Hongries. Isabelle et son jeune fils reçoivent en compensation un domaine en Silésie (ils obtiennent les principautés d’Oppeln et de Ratibor), tandis que le moine György est nommé voïvode de Transylvanie, conservant ainsi son pouvoir effectif dans cette province.

A la nouvelle de l’accord conclu à son insu, Isabelle laisse apparaître ses vrais sentiments. Il n’est plus question de partir, de renoncer: la reine s’ac {f-250.} croche de toutes ses forces au pouvoir de sa dynastie, dénonçant directement au Sultan son «infidèle» gouverneur. Dans le courant de l’été 1550, elle ne le laisse pas entrer à Gyulafehérvár, tandis que Péter Petrovics avance, venant de la région de Temes par la vallée du Maros, vers la Transylvanie. Le gouverneur-évêque réunit néanmoins rapidement une armée et, après six semaines de siège, force la reddition de Gyulafehérvár, puis fait face aux troupes turques et valaques qui, entre-temps, ont attaqué la Transylvanie. A l’occasion de l’assemblée en armes de Torda du 29 octobre, la peur générale fait retourner les gens à son parti. Au cours des semaines qui suivent, le pacha de Buda, Kassem, est contraint par János Török de faire demi-tour et ceux de la Valachie sont battus par János Kendi. Enfin, Ilie, le voïvode de Moldavie, est chassé hors des Carpates par le moine lui-même. Au début de l’hiver, la paix règne à nouveau dans le pays.

Le 30 novembre, après avoir abondamment pleuré, Isabelle se réconcilie avec son gouverneur mais, peu après, en mai 1551, ce sont de nouveau les armes qui parlent en Transylvanie: Isabelle craint pour son pouvoir et pour celui de son fils, Petrovics et ses alliés (comme le grand seigneur de Békés, Ferenc Patócsy) craignent pour leurs domaines qui, depuis 1541-43, se trouvent exposés aux Turcs. La majorité reste malgré tout fidèle au moine qui continue d’śuvrer pour l’union du pays et qui se rend maintenant bien compte, après toutes ces révoltes qui se répètent, qu’il est nécessaire d’éloigner la reine de la Hongrie.

Seulement, entre-temps, la roue de la politique européenne a encore tourné. En 1550, lors de la Diète d’Empire, à Augsbourg, Ferdinand Ier a, pour la première fois de sa vie, une sérieuse altercation avec son frère aîné: l’espoir de recevoir de l’aide de l’Empire s’évanouit définitivement. Le roi, d’ailleurs, en tire les conséquences: au dernier moment, il tente de proroger l’exécution de la convention de Nyírbátor. Mais ses vassaux hongrois, qui vivent dans l’attente de la réunification du pays, le pressent et le contraignent littéralement à l’intervention.

Au cours de l’été de 1551, sous le commandement de Giovanni Battista Castaldo, le «gouverneur militaire» du roi, et de Tamás Nádasdy, grand sénéchal de Hongrie, arrive en Transylvanie une armée de 6 à 7000 hommes. «Pour une armée, c’est peu, pour une ambassade c’est trop», note un observateur acrimonieux.* Dès avant leur arrivée à Gyulafehérvár, les armes du moine ont déjà obligé une fois de plus Isabelle à se rendre: le 19 juin, désespérée, elle signe son abdication du trône de Hongrie ainsi que celle de son fils. Le 26 juillet, la Diète de Kolozsvár reconnaît Ferdinand Ier comme seul maître du pays. La Sainte Couronne qui, depuis 1529, était aux mains de Szapolyai est triomphalement transportée à Pozsony.

Pendant ce temps, le Sultan, informé des maneeuvres militaires en cours en Transylvanie, donne l’ordre à Sokollu Mehmet, beglerbey de Roumélie, de passer à l’attaque. Au début du mois d’août, le pacha est déjà dans le Temesköz et ce, malgré le message transmis par le moine: le tribut annuel habituel a été payé au Sultan. Cela ne l’empêche pas d’occuper Becskerek, Csanád et Lippa. Les succès ont rendu Sokollu plus indulgent: même s’il doit renoncer à Temesvár, il accepte maintenant de «croire» les explications du moine György, à savoir que le traître était le seul Petrovics et que c’est seulement dans les châteaux de ce dernier que l’armée royale est entrée.

{f-251.} Le grand mouvement politique commencé en 1549 aboutit finalement à un résultat globalement négatif. Il est vrai qu’Isabelle a pu ętre chassée, que le pays a été réunifié, que les Turcs ont pu être provoqués, il n’en reste pas moins que le plus important, la mise en branle de l’Empire, n’a pas été réalisé. Le moine voudrait bien faire machine arrière, mais cela s’avère de plus en plus difficile. Sous la pression du roi Ferdinand et de l’opinion publique, il se met à la tête d’une armée pour reconquérir Lippa (outre Castaldo et Nádasdy, Sforza Pallavicini, chef mercenaire, est là, lui aussi) mais il prend bien garde à ce que le détachement turc qui rend le château puisse se retirer indemne.

Ferdinand Ier, dès le début, se méfie du moine-évêque devenu entre-temps cardinal, et finit par se rendre aux fausses affirmations de Castaldo qui l’accuse de préparer une trahison. A l’aube du 17 décembre 1551, Sforza Pallavicini, sur l’ordre du roi, fait assassiner le moine dans son palais d’Alvinc. La Transylvanie est en quelques semaines prise en main par Castaldo et András Báthory qui en est nommé voïvode.

Les Habsbourg étaient, dans le męme temps, occupés à mater la nouvelle révolte des princes protestants allemands et à parer à l’attaque française qui venait au secours de ceux-ci.

Quant au Sultan, on dut se rendre à l’évidence que, même s’il ne parvenait pas à remporter une victoire définitive, c’était encore lui le plus fort. Au cours de la campagne militaire turque de 1552, bon nombre de châteaux forts frontaliers hongrois sont tombés, entre autres Veszprém, Szolnok, Lippa, Temesvár, Karánsebes, Lugos. A l’issue de leur attaque, les Turcs avaient arraché les plus gros morceaux de l’ancien pays des Szapolyai. Soliman somma alors les Transylvains de rappeler Isabelle et son fils, sinon il irait raser leur pays. Castaldo et Báthori ne purent pas empêcher les Ordres d’entamer des négociations directes avec les Turcs: c’est Peter Haller, partisan inconditionnel des Habsbourg et «juge du roi» à Szeben, qui se chargea de l’ambassade. Le moine György avait certes commis une erreur en laissant entrer les Habsbourg en Transylvanie, mais en le faisant assassiner, Ferdinand Ier n’avait rien résolu ...

Tout cela se passe en automne 1552 où, simultanément, l’armée mercenaire mal payée, au lieu de combattre les Turcs, pille les villes et les villages. Se rendant compte de son impuissance, Castaldo se fait rappeler, tandis que Báthori renonce à son titre de voïvode. La noblesse des comitats de la Tisza se soulève pour faire revenir Isabelle et Péter Petrovics qui, en échange de Temesvár, avait reçu le château de Munkács, accourt aussitôt à leur aide.

Ce sont les nouveaux voïvodes de Transylvanie, István Dobó (qui s’était distingué dans la défense d’Eger en 1552), et Ferenc Kendi, grand propriétaire foncier transylvain, qui ont pour tâche d’étouffer le soulèvement. Ils ont de la chance: le Sultan est occupé par la guerre de Perse, raison pour laquelle il interdit au pacha de Buda d’aider le soulèvement. La révolte échoua mais Soliman Ier céda, en 1554, Lugos et Karánsebes à Petrovics qui, entre-temps, s’était enfui en Pologne. En Transylvanie, le rappel des Szapolyai est à nouveau exigé par les chaouchs du Sultan; Ferdinand Ier, au début de l’année 1555, doit payer au trésor de Constantinople le tribut de la province. Tous ses ambassadeurs reviennent avec le message du Sultan: il ne fera pas la paix tant qu’Isabelle ne récupérera pas son pays.

Les principautés roumaines (sur l’ordre des Turcs) se préparent à attaquer; les territoires à l’est de la Tisza se sont à nouveau soulevés sous la conduite de Petrovics. Le 23 décembre 1555, la Diète transylvaine de Marosvásárhely envoie le message à Ferdinand Ier.

{f-252.} «Nous attachions beaucoup de prix à être les vassaux d’un prince chrétien, à être en rapport avec un empereur romain, mais Dieu n’a pas voulu que cela dure … Ce que nous sollicitons auprès de Votre Majesté, c’est ou bien de nous aider avec des forces susceptibles de résister à Soliman ou bien de nous libérer de notre serment.»*

En fait, ils n’attendirent même pas la réponse. Menyhárt Balassa, le commandant en chef des armées transylvaines, fit envoyer, par la Diète de Torda, à la fin de janvier 1556, à la reine Isabelle, qui s’était entre-temps enfuie en Pologne, le message de revenir. Petrovics, venant de Karánsebes, entra à la tête de troupes armées dans le pays. Le 12 mars, une nouvelle Diète, réunie à Szászsebes, prête le serment de fidélité au «fils du roi Jean».

Ferdinand Ier, dans une lettre écrite le 14 juin au Sultan, annonce qu’il rend la Transylvanie aux Szapolyai. Trop tard: Khadim Ali, pacha de Buda, attaque Szigetvár et attire ainsi les armées royales vers la Transdanubie. Les châteaux forts royaux de Transylvanie ouvrent l’un après l’autre leurs portes aux armées de Petrovics et de Balassa; Isabelle et son fils, le 22 octobre, entrent en grande pompe à Kolozsvár. István Dobó défend Szamosújvár jusqu’en novembre 1556, mais il est finalement contraint de se rendre.

Várad ouvre ses portes en avril 1557, les comitats de Gömör, d’Abaúj et de Zemplén passent eux aussi du côté des Szapolyai. Dans la partie est du pays, seuls les châteaux de Gyula, Világos et Jenő restent fidèles aux Habsbourg et ils ne seront pris par les Turcs qu’en 1566.

Ainsi l’été de 1557 voit de nouveau le royaume d’Isabelle s’étendre jusqu’à Kassa et le Pays de Zips. Les hésitants reçoivent un avertissement sanglant la reine fait assassiner, à Gyulafehérvár, le 31 août 1558, Ferenc Bebek, Ferenc Kendi et Sándor Kendi accusés de trahison. A peine un an plus tard, le 15 novembre 1559, elle meurt elle aussi et le pouvoir retombe sur les épaules de Jean 11, âgé de 19 ans, «le roi de Hongrie élu». Mais Ferdinand a de nouveau conclu l’armistice avec les Turcs et, en ce qui concerne les Szapolyai, la seule plate-forme qu’il accepte de négocier est leur renoncement au trône. La situation commence à évoluer en 1561 lorsque Menyhért Balassa passe aux côtés des Habsbourg et que sa volte-face entraîne avec lui toute la noblesse des territoires riverains de la Tisza. L’armée, qui a reçu l’ordre de les mettre à la raison, subit une grave défaite à Hadad, le 4 mars 1562. Pendant ce temps, les Sicules se sont eux aussi révoltés et, quoique l’armée du souverain les ait battus, de toutes ces guerres, la Hongrie des Szapolyai est sortie amoindrie: des territoires d’au-delà de la Tisza, il ne reste que Bihar et Máramaros.

Les contre-attaques répétées des années suivantes n’apportèrent que peu de résultats en 1564-1565 (prise de Szatmár et de Nagybánya) mais Lazarus Schwendi reprit les deux villes au cours du printemps de 1565. Jean II, sous l’effet des échecs, se montre prêt à signer un traité avec le fils de Ferdinand, Maximilien Ier (paix de Szatmár), selon lequel, en échange de son abdication, son pouvoir sur la Transylvanie lui serait reconnu, mais cette fois, les Turcs viennent à son aide. Le 29 juin 1566, à Zimony, le jeune Szapolyai accompagné des représentants des trois «nations», rend les honneurs à Soliman qui arrive à la tête de son armée. Soliman l’assure de sa haute bienveillance, puis prend Szigetvár, la clef de la Transdanubie, où il meurt pendant le siège. Pendant ce temps, Pertev pacha, second vizir, prend Gyula, Jenő et Világos: l’enclave Habsbourg au sud de la Haute-Tisza cesse d’exister. Peu après, Maximilien {f-253.} Ier (1564-1576) signe hâtivement la paix avec les Turcs à Andrinople, le 17 février 1568.

Cette fois-ci, l’empereur-roi a intégré «l’autre» Hongrie dans le nouveau traité de paix avec les Turcs. On peut donc arrêter «la guerre des châteaux» qui agite la région entre Kassa et Szatmár. Ce qu’ István Báthori de Somlyó, l’ambassadeur de Jean II, avait vainement tenté d’obtenir au prix d’efforts de plusieurs années, de voyages et de séjours en prison à Prague, Gáspár Bekes, le nouveau favori du jeune Szapolyai, en est gratifié au bout de quelques mois c’est le 16 août 1570, à Spire, que voit le jour l’accord stipulant le renoncement de Jean II au titre de roi de Hongrie et l’acceptation du simple titre de «Jean, prince de Transylvanie et des parties de la Hongrie» (Fürst/princeps) sans oublier la clause qui prescrit, dans l’hypothèse où sa famille n’aurait pas de descendance, que son pays, en tant que partie de la Couronne de Hongrie, reviendrait au roi de Hongrie de toujours. Maximilien fait aussitôt ratifier ces points, mais non Jean II qui meurt quelques jours plus tard (le 14 mars 1571) sans laisser d’héritier au pays, et léguant seulement une situation juridique incertaine aux Ordres de sa Principauté.

Encore sous l’effet des succès turcs, la Diète de Gyulafehérvár du 8 septembre 1567 jura solennellement «sur Dieu le Père, que … du moment que, par la volonté de Dieu Tout Puissant, notre Bienveillant Seigneur est parti sans laisser d’héritier, de notre volonté unie et non par esprit de parti, nous élirons un prince».* C’est donc finalement cette deuxième solution qui sera choisie: le 25 mai 1571, «coupant court à toute autre discussion et paroles», ils choisissent pour leur seigneur István (Etienne) Báthori de Somlyó, heureux général des «guerres des châteaux».

Báthori est né en 1533 comme fils du voïvode de Transylvanie. Il a beaucoup voyagé: dans son enfance, il a été page à la cour de Vienne et, en 1549 il a passé un temps à la célèbre université de Padoue. C’est au milieu des années 1550 qu’il est revenu en Transylvanie. En 1556, c’est lui qui a salué au nom des Ordres la reine Isabelle revenue au pays. En 1559, il a reçu sa première mission importante: la reine le nomme commandant de Várad et il devient ainsi, en même temps, maître du comitat de Bihar, de première importance stratégique. En outre, à cette époque, il est déjà le plus grand propriétaire terrien du pays des Szapolyai.

Son élection en 1571 comportait bien des risques, dont il était parfaitement conscient. C’est la raison pour laquelle il renonce aux titres bien sonnants de ses prédécesseurs: il se contente du simple titre de a voïvode» des anciens gouverneurs royaux de Transylvanie et, qui plus est, il prête en secret serment de fidélité à Maximilien Ier, reconnaissant ainsi l’appartenance de son voïvodat à la Hongrie. Dans le même temps, la Porte considère comme un droit la nomination du successeur des Szapolyai, et il est vrai que l’athnamé amené par le chaouch Amhat à l’élection de Gyulafehérvár portait lui aussi sur le nom de Báthori: «Voïvode de Transylvanie Etienne Báthori … Depuis longtemps le pays transylvain est sous ma protection, … c’est un de mes pays parmi les autres … Ainsi, pour ta fidélité envers ma personne et de par mon autorité, je te donne le pays transylvain.»*

Il fallait donc continuer à jouer de l’équilibre entre les deux grandes puissances. Au début, la menace venait du côté de la cour royale: quoique Maximilieu, {f-254.} tirant les leçons des malheurs de son père, se refusât à intervenir directement dans les affaires de la Transylvanie, il laissa cependant ses officiers de la Haute-Hongrie soutenir Gáspár Bekes, aspirant au trône, dans l’organisation d’une révolte contre le voïvode.

La première tentative de Bekes se solda par un échec et il dut lui-même s’enfuir de Transylvanie en 1573. Puis, au cours de l’été de 1575, il prit la tête d’une armée mise sur pied en Haute-Hongrie, et partit pour la conquête du pays. Dans le dos de Báthori, les Sicules s’étaient également révoltés. Il sortit cependant victorieux de la bataille décisive (le 10 juillet 1575, à Kerelőszentpál). Le prétendant au trône s’enfuit et, parmi ses partisans qui sont faits prisonniers, quatre aristocrates furent pendus sur le champs de bataille, sept autres (ainsi que trois douzaines de Sicules) sont plus tard exécutés sur jugement du voïvode.

La nouvelle de la victoire est tellement retentissante que, dès le moment où Henri de Valois, devenu roi de Pologne, s’est enfui pour retourner en France où le trône l’attend (Henri III, 1574-1589), la noblesse polonaise, le 15 décembre 1575, élit Báthori roi de Pologne. Son rival était l’empereur Maximilien lui-même, mais le conflit, qui menaçait d’être grave, s’est résolu avec sa mort subite (le 12 octobre 1576). Comme Maximilien avait déjà été prudent face à Báthori, son successeur, Rodolphe Ier (1576-1608), ne voulait pas non plus entrer en conflit avec le souverain de la grande et puissante Pologne pour la question de la possession de la Transylvanie et de quelques comitats hongrois.

Pendant que la menace venant de l’Ouest s’apaisait, la pression turque, elle, ne cessait d’augmenter. Bien que Selim II (1566-1575) ait reconnu, dès 1572, le droit de succession des Báthori, cela ne l’empêchait guère de faire pression sur la Transylvanie en menaçant de reconnaître Gáspâr Bekes. Mourad III (1575-1595) augmenta, aussitôt après son avènement, le tribut de la Transylvanie (de 10 000 à 15 000 florins d’or annuels). Les «cadeaux» donnés aux vizirs et aux pachas ont également augmenté et un candidat au trône, soutenu par les Turcs, était tenu prêt à Constantinople. (Il s’agissait de Pál Márkházi, un noble de Transylvanie; le système de chantage étant le même qu’on employait envers les princes roumains.)

Néanmoins, Báthori, dont les domaines familiaux se trouvaient dans la région à l’est de la Tisza, rattachée à la Transylvanie, connaissait bien les obligations humiliantes et à double tranchant du monde turc: «les Turcs n’admettront pas n’importe qui comme maître de la Transylvanie. Votre Majesté aurait intérêt à soutenir dans cette province un homme médiateur qui pourrait rendre service de manière … qu’avec le temps, la Transylvanie soit rattachée à la Hongrie», avait-il conseillé en 1567, à un des hommes de confiance de Ferdinand. Il n’a plus d’illusions. La phrase suivante est également de lui: «L’armée de l’Empereur turc ne cueillera pas des fraises pour les mettre dans le panier d’autrui». Il versait donc le tribut augmenté, payait des pots de vin aux notables turcs et interdisait à ses gardes-frontières d’attaquer les provinces soumises aux Turcs; il poursuivit le voïvode Bogdan qui fuyait les Turcs, etc.*

Le fait d’avoir occupé le trône de Cracovie a-t-il changé son attitude? Il faut noter que la deuxième moitié du XVIe siècle est une époque de grande {f-255.} prospérité pour la Pologne que l’exportation du blé vers l’ouest a enrichie et rendue forte. Toutefois, la faiblesse du système politique hérité du passé a empêché ce pays de devenir une grande puissance d’Europe orientale. Mais Báthori, lui, venait d’un pays où le pouvoir central avait réussi à passer outre les intérêts des Ordres.

Le roi Etienne continuait à se considérer comme hongrois et ses sujets s’étaient même fâchés contre lui lorsqu’ il lui avait une fois échappé, en 1577, que Dieu ne l’avait pas créé pour les Polonais, mais pour les Hongrois. Aussi la question turque ne cessait-elle de le préoccuper. Cependant, la situation européenne dans son ensemble n’était pas favorable à ses projets. Après la glorieuse victoire des chrétiens à Lépante (le 7 octobre 1571), les Turcs recouvrèrent leurs forces, et Venise, abandonnée par ses alliés, dut, dès 1573, signer la paix avec le Sultan. En France, le massacre de la Sainte-Barthélémy (le 24 août 1572) fit élargir la guerre civile, mais l’Empire germanique ne parvint cependant pas à exploiter la situation, car les Habsbourg, contestés par les protestants ainsi que par les forces antiimpériales de l’Empire, n’étaient réellement maîtres que dans les provinces héréditaires et dans les pays de la couronne de Bohême.

Il n’y avait guère que la Cour papale où survécut l’idée de combattre les Turcs. Cependant le Pape Grégoire XIII, dans la dispute pour le trône de Cracovie, soutenait Maximilien et c’était seulement en 1577 que les relations avaient été renouées avec la Pologne. Laureo, le nonce du Pape, arrive alors à la cour de Báthori avec le plan d’une coalition contre les Turcs puis, en 1574 c’est le tour du nonce Caligari avec une proposition identique, mais le projet d’une ligue anti-turque ne prendra jamais corps.

En 1581 et 1582, c’est le roi Etienne lui-même qui formule l’idée d’une alliance des chrétiens d’Europe de l’Est contre les Turcs. Cependant les alliés potentiels – l’Espagne de Philippe II et même Venise – sont incapables de la moindre coopération. Báthori change donc soudain de visées et, au printemps 1584, il fait une toute autre demande au Saint-Siège: il sollicite de l’aide pour partir à la conquête de la Russie. S’il y réussissait, il tournerait les forces des Russes et même celles des peuples du Caucase contre les Turcs. La proposition, transmise à Rome par l’intermédiaire du jésuite Antonio Possevino, est repoussée par la Curie Romaine. C’est à ce moment que meurt l’héritier du trône français et que désormais le titre du «roi très chrétien» revient au roi de Navarre, le protestant Henri de Bourbon, situation qui inquiète le Pape et l’empêche de s’occuper de l’Europe orientale. Báthori, cette fois-ci, insiste: il envoie à Rome son cousin, le cardinal András Báthori, mais n’obtient pas gain de cause: Sixte V promet seulement une aide insignifiante de 25 000 ducats par an et les négociations s’arrêtent d’elles-mêmes. Nous sommes déjà en été 1586 et, le 12 décembre de cette année, le roi Etienne meurt à Grodno, sans qu’il ait pu réaliser quoi que ce soit de ses plans grandioses.

Pratiquement chaque grand souverain d’Europe, au cours des 150 années écoulées, avait rêvé, négocié des ligues contre les Turcs, des croisades. Quant à Etienne Báthori, il est resté, face aux Turcs, aussi prudent qu’à l’époque où il n’était que voïvode de Transylvanie. Pour sauvegarder la paix, il a même fait exécuter des Cosaques maraudeurs et fait décapiter deux voïvodes de Moldavie chassés par le Sultan, mais qui se préparaient à y retourner: Ioan Potcoavă et Iancu Sasul. Il avait pour cela de bonnes raisons: les Ordres polonais exigeaient la sauvegarde de la paix avec les Turcs dont il s’était même porté garant lors de son serment d’avènement, les «pacta convents». Les Polonais {f-256.} craignaient la puissance du Sultan et l’animosité des pays avec lesquels ils avaient des frontières communes: la Prusse, la Russie et les Habsbourg.

Ceci étant, le roi, pas plus que quiconque, ne pouvait s’opposer à la volonté des Ordres. Son souci de renforcer le pouvoir royal eut d’ailleurs pour résultat d’anéantir sa popularité du début. Jan Zamoyski, son secrétaire personnel, issu de la petite noblesse qu’il finit par élever au poste de chancelier, était haï de la presque totalité du peuple; ses anciens fidèles partisans, les frères Zborowski, se révoltèrent contre lui et, lorsqu’il punit l’infidélité à la manière des Transylvains, en faisant brandir la hache du bourreau, tout le pays le réprouva. Des entraves à mettre à ses projets, les voisins de la Pologne s’en chargèrent. La ville de Danzig lui refusa le rituel hommage vassalique et la guerre entreprise pour la dompter (1576-1577) se termina par un succès éphémère. Il est vrai qu’il vainquit par trois fois le tsar russe Ivan IV (le Terrible), entre 1579 et 1581, mais sans jamais réussir à vraiment l’affaiblir. C’est peut-être cet intermède qui poussa Báthori à faire des plans liant les questions turque et russe, plans qui connurent, dans les milieux de la noblesse lituanienne, une certaine popularité – venue, hélas, trop tard.

L’idée de chasser les Turcs était sans aucun doute présente dans l’esprit du roi Etienne, mais son expérience d’homme politique prudent l’empêchait de dilapider ses forces dans la réalisation d’une entreprise qui s’avérait, tant du point de vue de la politique intérieure qu’extérieure ou militaire, des plus périlleuses. Il essaya tout d’abord d’en créer les conditions, mais tout fut interrompu par sa mort prématurée. Si les Polonais le pleurèrent par la suite, comme un de leurs plus grands rois, il ne sut, en réalité, aider en rien la cause hongroise.

La question turque, il l’avait sans aucun doute amenée avec lui de Transylvanie et elle le préoccupa tout au long des dix années de son règne en Pologne. Il est vrai qu’ «à la maison», il confia la direction des affaires courantes, d’abord à son frère aîné Christophe puis, après sa mort (1581), à Sigismond, le fils de ce dernier, leur laissant le titre de voïvode, tandis que lui se faisait appeler prince. La décision dans des questions plus importantes lui était naturellement réservée: à Cracovie, il mit sur pied une chancellerie de Transylvanie, qui lui permettait de contrôler et de diriger les activités de ses voïvodes. Il gardait la haute main dans toute affaire extérieure de la Transylvanie.

L’Empereur Maximilien, puis Rodolphe, tentèrent d’appliquer le traité de Spire, tandis que lui exigeait du roi de Hongrie le retour de ses domaines perdus entre 1564 et 1567. Aucune des deux parties ne voulait la guerre mais il fallut cependant attendre jusqu’en 1585 pour qu’un accord soit signé (c’est à cette occasion que le prince récupera la mine d’or de Nagybánya). Entretemps, Báthori (qui, par le trône de Pologne, était devenu un souverain indépendant) reprend l’idée, exprimée dès le temps des Szapolyai, de la réunification de la Hongrie à partir de l’Est. A un moment où Rodolphe était déjà atteint par une maladie grave, Báthori ne cessa de répéter, au cours de ses pourparlers avec Caligari, le nonce du Pape, que si les Turcs le permettaient, les Hongrois feraient de lui leur roi sans coup férir. Il est vrai qu’il avait des partisans en Hongrie, et leur correspondance n’est pas exempte d’allusions à cette idée. Par contre, rien n’est fait pour mener ce projet à bien. L’idée de l’union du pays à partir de la Transylvanie avec le consentement des Turcs devait se maintenir comme un héritage à l’intention des princes qui lui succéderont sur le trône de Transylvanie: Gabriel Bethlen, Georges Ier Rákóczi et Eméric Thököly, dont la politique ne peut être comprise qu’à la lumière de cette tradition.