Documents médicaux concernant la mort de Napoléon.
- ️Bruno Roy-Henry
Documents médicaux.
Vous trouverez sur cette page:1) L'autopsie - Dr Antommarchi
2) L'exhumation - Dr Guillard
3) Le processus de putréfaction - Prof Chatenet
4) La comparaison des corps décrits - Dr Stéphany
Le Docteur
Antommarchi pratiqua l'intervention le
6 mai 1821, au lendemain de la mort de l'Empereur. Le cadavre
était gisant depuis vingt heures et demie. Je procédai à l'autopsie; j'ouvris
d'abord la poitrine. Voici ce que j'observai de plus remarquable : Les
cartilages costaux sont en grande partie ossifiés. Le sac formé par la plèvre
costale du côté gauche contenait environ un verre d'eau de couleur citrine. Une couche
légère de lymphe coagulable couvrait une partie des faces des plèvres costale
et pulmonaire correspondantes du même côté. Le poumon gauche était légèrement
comprimé par l'épanchement, adhérait par des nombreuses brides aux parties
postérieure et latérale de la poitrine et au péricarde; je le disséquai avec
soin, je trouvai le lobe supérieur parsemé de tubercules et quelques petites
excavations tuberculeuses. Une couche légère de lymphe coagulable couvrait une
partie des faces des plèvres costale et pulmonaire correspondantes de ce côté. Le sac de la
plèvre costale du côté droit renfermait environ deux verres d'eau de couleur
citrine. Le poumon droit était légèrement comprimé par l'épanchement; mais son
parenchyme était en état normal. Les deux poumons étaient généralement
crépitants et d'une couleur naturelle. La membrane plus composée ou muqueuse de
la trachée-artère et des bronches était assez rouge, et enduite d'une assez
grande quantité de pituite épaisse et visqueuse. Plusieurs des ganglions bronchiques et du
médiastin étaient un peu grossis, presque dégénérés, et en suppuration. Le
péricarde était en état normal et contenait environ une once d'eau de couleur
citrine. Le coeur, un peu plus volumineux que le poing du sujet, présentait,
quoique sain, assez de graisse à sa base et à ses sillons. Les ventricules
aortique et pulmonaire et les oreillettes correspondantes étaient en état
normal, mais pâles et tout à fait vides de sang. Les orifices ne présentaient
aucune lésion notable. Les gros vaisseaux artériels et veineux auprès du coeur
étaient vides et généralement en état normal. L'abdomen
présenta ce qui suit : Distension du
péritoine, produite par une grande quantité de gaz. Exsudation
molle, transparente et diffluente, revêtant dans toute leur étendue les deux
parties ordinairement contiguës de la face interne du péritoine. Le grand
épiploon était en état normal. La rate et le
foie durci étaient très volumineux et gorgés de sang; le tissu du foie, d'un
rouge brun, ne présentait, du reste, aucune altération notable de structure.
Une bile extrêmement épaisse et grumeleuse remplissait et distendait la
vésicule biliaire. Le foie, qui était affecté d'hépatite chronique, était uni
intimement par sa race convexe au diaphragme; l'adhérence se prolongeait dans
toute son étendue, elle était forte, celluleuse et ancienne. La face concave du
lobe gauche adhérait immédiatement et fortement à la partie correspondante de
l'estomac, surtout le long de la petite courbure de cet organe, ainsi qu'au
petit épiploon. Dans tous ces points de contact, le lobe était sensiblement
épais, gonflé et durci. L'estomac parut
d'abord dans un état des plus sains; nulle trace d'irritation ou de phlogose,
la membrane péritonéale se présentait sous les meilleures apparences. Mais en
examinant cet organe avec soin, je découvris sur la face antérieure, vers la
petite courbure et à trois travers de doigt du pylore, un léger engorgement
comme squirreux, très peu étendu et exactement circonscrit. L'estomac était
percé de part en part dans le centre de cette petite induration. L'adhérence de
cette partie au lobe gauche du foie en bouchait l'ouverture. Le volume de
l'estomac était plus petit qu'il ne l'est ordinairement. En ouvrant ce viscère
le long de sa grande courbure, je reconnus qu'une partie de sa capacité était
remplie par une quantité considérable de matières faiblement consistantes et
mêlées à beaucoup de glaires très épaisses et d'une couleur analogue à celle du
marc de café; elles répandaient une odeur âcre et infecte. Ces matières
retirées, la membrane plus composée ou muqueuse de l'estomac se trouva dans son
état normal, depuis le petit jusqu'au grand cul-de-sac de ce viscère, en
suivant la grande courbure. Presque tout le reste de la surface interne de cet
organe était occupé par un ulcère cancéreux qui avait son centre à la partie
supérieure, le long de la petite courbure de l'estomac, tandis que les bords
irréguliers, digités et linguiformes de sa circonférence s'étendaient en avant,
en arrière de cette surface intérieure, et depuis l'orifice du cardia jusqu'à
un bon pouce du pylore. L'ouverture, arrondie, taillée obliquement en biseau
aux dépens de la face interne du viscère, avait à peine quatre à cinq lignes de
diamètre en dedans et deux lignes et demie au plus en dehors; son bord
circulaire, dans ce sens, était extrêmement mince, légèrement dentelé, noirâtre,
et seulement formé par la membrane péritonéale de l'estomac. Une surface
ulcéreuse, grisâtre et lisse, formait d'ailleurs les parois de cette espèce de
canal qui aurait établi une communication entre la cavité de l'estomac et celle
de l'abdomen, si l'adhérence avec le foie ne s'y était opposée. L'extrémité
droite de l'estomac, à un pouce de distance du pylore, était environnée d'un
gonflement ou plutôt d'un endurcissement squirreux annulaire, de quelques lignes
de largeur. L'orifice du pylore était dans un état tout à fait normal. Les
bords de l'ulcère présentaient des boursouflements fongueux remarquables dont
la base, dure, épaisse et squirreuse,s'étendait aussi à toute la surface
occupée par cette cruelle maladie. Le petit
épiploon était rétréci, gonflé, extrêmement durci et dégénéré. Les glandes
lymphatiques de ce pli péritonéal, celles qui sont placées le long des
courbures de l'estomac, ainsi que celles qui avoisinent les piliers du
diaphragme, étaient en partie tuméfiées, squirreuses, quelques-unes même en
suppuration. Le tube digestif
était distendu par une grande quantité de gaz. A la surface péritonéale et aux
replis péritonéaux, je remarquai de petites taches et de petites plaques
rouges, d'une nuance très légère, de dimensions variées, éparses et assez
distantes les unes des autres. La membrane plus composée de ce canal paraissait
être dans un état normal. Une matière noirâtre et extrêmement visqueuse
enduisait les gros intestins. Le rein droit
était dans un état normal; celui du côté gauche était déplacé et renversé sur
la colonne lombo-vertébrale ; il était plus long et plus étroit que le premier;
du reste, il paraissait sain. La vessie, vide et très rétrécie, renfermait une
certaine quantité de gravier mêlé avec quelques petits calculs. De nombreuses
plaques rouges étaient éparses sur la membrane plus composée ou muqueuse; les
parois de cet organe étaient en état anormal. Je voulais faire
l'examen du cerveau. L'état de cet organe dans un homme tel que l'Empereur
était du plus haut intérêt; mais on m'arrêta durement: il fallut céder. J'avais terminé
cette triste opération. Je détachai le coeur, l'estomac, et les mis dans un
vase d'argent rempli d'esprit-de-vin. Je réunis ensuite les parties séparées,
les assemblai par une suture, je lavai le corps, et fis place au valet de
chambre ..."
Je, soussigné Guillard, Rémy, Julien, Docteur en Médecine,
Chirurgien major de la frégate La Belle
Poule, métant rendu, dans la nuit du quatorze au quinze octobre mil huit
cent quarante, sur linvitation de Monsieur le Comte de Rohan-Chabot,
Commissaire du Roi, à la vallée du Tombeau, île de Sainte-Hélène, pour assister
à lexhumation des Restes de lEmpereur Napoléon, en ai dressé le présent
procès-verbal. Pendant les premiers travaux il na point été pris de précautions
sanitaires, aucune exhalation méphitique nest sortie des terres que lon
remuait, ni du caveau dont on faisait louverture. Le caveau ayant été ouvert, jy suis descendu: au fond était le
cercueil de lEmpereur; il reposait sur une large dalle, assise elle-même sur
des montants en pierre. Les planches en acajou qui le formaient avanient encore leur couleur et leur dureté, excepté celles du fond qui, garnies de
velours, présentaient un peu daltération dans les couches les plus
superficielles; on ne voyait à lentour aucun corps solide ni liquide; quant aux
parois du caveau elles noffraient pas la plus légère trace de dégradation, çà
et là quelques traces dhumidité. Monsieur le Commissaire du Roi mayant engagé à ouvrir les cercueils
intérieurs, jai dû les soumettre dabord à quelques mesures sanitaires;
immédiatement après, jai procédé à leurs ouvertures: la caisse extérieure
était fermée par de longue vis; il a fallu les couper pour enlever le
couvercle, dessous était une autre caisse en plomb, close de toutes parts, elle
enveloppait une autre caisse en acajou parfaitement intact; venait enfin une
quatrième caisse en fer-blanc dont le couvercle était soudé sur les parois qui
les repliaient en dedans, la soudure a été coupée lentement et le couvercle
enlevé avec précaution: alors jai vu un tissu blanchâtre qui cachait
lintérieur du cercueil et empêchait dapercevoir le corps; cétait du satin
ouaté formant une garniture dans lintérieur de cette caisse. Je lai soulevé
par une extrémité et, le roulant sur lui-même des pieds vers la tête, jai
découvert le corps de Napoléon que jai reconnu aussitôt tant le corps était
bien conservé, tant la tête avait de vérité dans son expression. Quelque chose de blanc qui semblait détaché de la garniture
couvrait, comme dune gaze légère, tout ce que renfermait le cercueil; le crâne
et le front qui adhéraient fortement au satin en étaient surtout enduits, on en
voyait peu sur le bas de la figure, sur les mains, sur les orteils. Le corps de
lEmpereur avait une position aisée, cétait celle quon lui avait donnée en le
plaçant dans le cercueil, les membres
supérieurs étaient allongés, lavant-bras et la main gauche appuyant sur la
cuisse correspondante, les membres inférieurs légèrement fléchis; la tête un peu
élevée reposant sur un coussin, le crâne volumineux, le front haut et large se
présentaient couverts de téguments jaunâtres, durs et très adhérents; tel
paraissait aussi le contour des
orbites dont le bord supérieur était garni de sourcils. Sous les paupières se
dessinaient les globes oculaires, qui avaient perdu peu de chose de leur volume
et de leurs formes; ces paupières complètement fermées, adhéraient aux parties
sous-jacentes et se présentaient dures sous la pression des doigts, quelques
cils se voyaient encore à leur bord libre; les os du nez et les téguments qui
les couvrent étaient bien conservés, le lobe et les ailes seuls avaient
souffert. Les joues étaient bouffies; les téguments de cette partie de la face
se faisaient remarquer par leur toucher doux, souple et leur couleur blanche;
ceux du menton étaient légèrement bleuâtres; cette teinte-là sempruntait à la
barbe qui semblait avoir poussé après la mort; quant au menton lui-même, il
noffrait point daltération et conservait encore ce type propre à la figure de
Napoléon; les lèvres amincies étaient écartées, trois dents incisives,
extrêmement blanches, se voyaient sous la lèvre supérieure qui était un peu
relevée à gauche. Les mains ne laissaient rien à désirer; nulle part la plus
légère altération. Si les articulations avaient perdu leurs mouvements, la peau
semblait avoir conservé cette couleur particulière qui nappartient quà la
vie. Les doigts portaient des ongles longs, adhérents et très blancs. Les
jambes étaient refermées dans des bottes, mais, par suite de la rupture des fils,
les quatre derniers orteils dépassaient de chaque côté. La peau de ces orteils
était blanc mat et garnie dongles. La région antérieure du thorax était
fortement déprimée dans la partie moyenne; les parois du ventre dures et
affaissées. Les membres paraissaient avoir conservé leurs formes sous les
vêtements qui les couvraient; jai pressé le bras gauche, il était dur et avait
diminué de volume; quant aux vêtements, ils présentaient avec leurs couleurs,
ainsi on reconnaissait parfaitement luniforme des chasseurs à cheval de la
vieille garde, au vert foncé de lhabit, au rouge vif des parements; le grand
cordon de la légion dhonneur se dessinait sur le gilet; et la culotte blanche
cachée en partie par le petit chapeau qui reposait sur les cuisses. Les épaulettes,
la plaque étaient noircies; la couronne dor de la croix dofficier de la
légion dhonneur seule avait conservé son éclat; des vases dargent
apparaissaient entre les jambes, un deux surmonté dun aigle, s'élevait entre
les genoux, je le trouvai intact et fermé; comme il existait des adhérences
assez fortes entre ces vases et le parties voisines qui les couvraient un peu,
Monsieur le Commissaire du Roi na pas cru devoir les déplacer pour les
examiner de plus près. Tels sont les seuls détails qui mait permis denregistrer sur les
restes mortels de lEmpereur Napoléon, un examen qui na duré que deux minutes;
ils sont incomplets, sans doute, mais ils suffisent pour constater un état de
conservation plus parfait que je nétais fondé à lattendre, daprès les
circonstances connues de lautopsie et de linhumation. Ce nest point ici le lieu dexaminer les causes nombreuses qui ont
pu arrêter, à ce point, la décomposition des tissus; mais nul doute que
lextrême solidité du tombeau et les soins apportés à la confection et à la
soudure des cercueils métalliques naient contribué puissamment à produire ce
résultat; quoi quil en soit jai dû redouter, pour ces restes, le contact de
lair atmosphérique et , convaincu que le meilleur moyen den assurer la
conservation était de le soustraire à son action destructive, je me suis rendu
avec empressement aux invitations du Commissaire du Roi qui demandait que lon
fermât les cercueils. Jai remis à sa place le satin ouaté après lavoir légèrement enduit
de créosote. Jai fait fermer hermétiquement la caisse en bois et souder avec
le plus grans soin les caisse en métal. Les restes de lEmpereur Napoléon sont aujourdhui dans six
cercueils: 1° un cercueil en fer-blanc. 2° un cercueil en bois dacajou. 3° un cercueil en plomb. 4° un second cercueil en plomb séparé des précédents par de la
sciure et des coins de bois. 5° un cercueil en bois débène. 6° une caisse en bois de chêne qui protège le cercueil en ébène. Fait à lîle de Sainte-Hélène le quinze du mois doctobre mil huit
cent quarante. (Nota: le couvercle du cercueil en
fer-blanc- sil fut reposé- ne put être ressoudé, compte tenu des nombreuses
traces doxydation constatées sur les parois extérieures. Ainsi que le rapporte
Gourgaud :On vit des traces de rouille à la surface (
); le fer-blanc était
oxydé en beaucoup dendroits, il ne pouvait y avoir soudure. Le docteur insista
beaucoup; enfin on demanda au plombier français sil pouvait souder: il
répondit que cétait impossible; même réponse ayant été faite par les ouvriers
anglais, il fut décidé quon ne souderait pas le couvercle de fer-blanc.)
CAS GENERAL
« La putréfaction est un mécanisme de décomposition des tissus et des cellules les composant, sous la dépendance des bactéries et des champignons. Cette décomposition produit des gaz très odorants, infiltrant progressivement tous les organes et gonflant le corps. La peau elle-même se décolle formant des bulles putrides. Elle prend par endroits dabord, puis sur lensemble du corps, une couleur verte qui fonce progressivement pour devenir franchement noire. On voit apparaître, sous la pression des gaz, le dessin des veines sous-cutanées jusque là invisibles.
EXCEPTION A LA REGLE GENERALE
Si la putréfaction ainsi sommairement décrite concerne une majorité de cadavres, la vitesse de décomposition est fonction de nombreux éléments, au premier rang desquels la chaleur ambiante est sans doute le mieux connu. Je ne reviendrai pas sur la conservation de certains corps dans les glaces, ni sur la décomposition rapide des corps en pleine chaleur.
Des facteurs environnementaux
Dans des conditions favorables, Evans constatait jusquà 56% dadipocire.
Des facteurs propres au cadavre ASPECT DE LADIPOCIRE
Pour en avoir examiné plusieurs, le facteur qui me paraît être le plus constant est le caractère adipeux des cadavres. Ladipocire a les caractères suivants :
LES FAITS HISTORIQUES
Les rapports dautopsie font état dune épaisse couche de graisse, de deux pouces et demi, ce qui est très au dessus de la moyenne et correspond à une obésité prononcée. La décomposition était manifeste pour les témoins avant même linhumation (odeurs rapportées par le valet, par Bertrand, altération des plis du visage rapportée par Bertrand, Marchand puis par lEvening Star le 10 juillet 1821).
CONCERNANT LES FACTEURS DENVIRONNEMENT
La chaleur était particulièrement forte dans les heures qui ont suivi le décès (Ali, Statesman, Evening Star, Darroch, relevé de la Royal Navy).
CONCERNANT LINHUMATION ET LEXHUMATION
Le corps a été placé quarante-neuf heures après le décès dans plusieurs cercueils successifs, dont un cercueil en fer-blanc soudé.
ESSAI DINTERPRETATION
Trois hypothèses médicales pourraient expliquer larrêt de la putréfaction :
Mon intime conviction, qui na rien dune démonstration rigoureuse, me fait opter pour la transformation en adipocire. Il est difficile de répondre à votre question sur larrêt de la putréfaction car les mécanismes intimes ne (me) sont pas connus. Je voudrais développer si vous le voulez bien deux arguments dinégale valeur. Docteur Yves Chatenet, médecin légiste,
Expert près de la Cour dappel de Poitiers
La putréfaction est dabord pour une petite part un processus de fermentation des glucides contenus en petite quantité dans lorganisme, produisant du dioxyde de carbone pour lessentiel, puis un processus de dégradation des protéines produisant des gaz azotés beaucoup plus odorants responsables de lodeur si particulière des cadavres.
Les conséquences de la putréfaction sont en général la lyse des tissus mous, commençant par les plus fragiles : les muqueuses, ou les plus exposés : lob des oreilles. Il est habituel de dire que dix ans après le décès les os sont secs.
La cause intime de la putréfaction est le développement des bactéries jusque là freiné par les défenses immunitaires de lorganisme. Il sagit essentiellement de bactéries anaérobies, c'est-à-dire inaptes à vivre au contact de lair, et puisant leur oxygène dans les tissus.
Très rapidement et conjointement, le cadavre exposé à lair libre est agressé par les escouades dinsectes, venus pondre leurs ufs. Les larves qui se développeront ensuite participeront à la détersion de toute matière biologique.
La décomposition des tissus corporels saccompagne de celle des vêtements, qui simprègnent dhumeurs transsudant du corps. Quelques mois après son inhumation le corps baigne dans un jus nauséabond et putride.
Ce qui est moins connu est lexposition à une chaleur sèche et intense, arrêtant le développement des bactéries et micro-organismes et déshydratant le corps. En fin dévolution, le corps est naturellement momifié.
Assez fréquemment sous nos latitudes, lévolution se fait vers ladipocire, par saponification des graisses. Il sagit dun processus de transformations des graisses en « savon » obtenu et réputé être très malodorant.
Daprès Dérobert (professeur de médecine légale), dans son traité de médecine légale de 1974, citant des études menées entre 1946 et 1963, les facteurs dadipocire sont les suivants :
- La durée : la formation dun adipocire est toujours lente.
- Lhumidité ambiante importante.
- Le caveau sec et en bon état.
- Plus dadipocire chez les sujets morts dans les 2e et 3e trimestres de lannée.
- Plus dadipocire si brume et brouillard dans la période de pré-inhumation.
- Sexe féminin plus sujet à ladipocire (62% des femmes et 45% des hommes pour Evans).
- Caractère gras du cadavre.
La peau est relativement intacte, brune, souvent épaisse et « cartonnée », souvent recouverte de champignons superficiels, dont les couleurs vont du noir franc à lorange vif, en passant par des filaments mycéliens du blanc le plus pur.
Au toucher, la résistance de la peau (due à la déshydratation des tissus) est assez ferme. Lincision en est plus difficile. En sous-cutanée, lépaisseur de la paroi graisseuse reste importante, malgré la déshydratation. Labdomen est huileux, ce qui rend difficiles les opérations dautopsie. Les organes internes sont en bon état de conservation mais fortement déshydratés. Contrairement au cadavre putréfié, ladipocire ne relargue que très peu deau, car lhydrolyse des graisses en savon nécessite une grande quantité de liquide.
CONCERNANT LE CORPS DE LEMPEREUR
Il ne semble pas y avoir eu de soins dembaumement daprès Antommarchi lui-même, qui ne fait état que dun simple lavage du corps.
Les mouches sabattaient sur le cadavre (Ali).
Je suis par contre très impressionné par la description précise de Guillard en 1840. Ce « quelque chose de blanc » enduisant sur tout le crâne et le front évoque bien ces filaments mycéliens que lon retrouve fréquemment à lintérieur des cercueils anciens, lorsque la putréfaction na pas été trop intense. Seule la description de la peau des mains « dont la couleur particulière nappartient quà la vie » me surprend un peu. Labsence totale de remaniement de la peau des mains dix-neuf ans plus tard sans être scientifiquement impossible, reste une énigme. 1° Le corps était préalablement à la mort imprégné de substances réputées ralentir la putréfaction comme larsenic. Il est probable que dix-neuf ans plus tard, la putréfaction aurait quand même fait son uvre.
2° Le corps a fait lobjet de soins de conservation à linsu des autorités. Cette hypothèse est compatible avec la description du corps faite en 1840. Il ne pourrait alors sagir que de soins dembaument très importants, nécessitant du temps et du matériel.
Il ne peut sagir dans cette hypothèse dun simple lavage avec des liqueurs.
3° Le corps de Napoléon a subi une transformation en adipocire, avec les facteurs favorisants suivants :
- Corps très gras ;
- Absence doxygène dans un cercueil fermé hermétiquement ;
- Importante chaleur lors de lexhumation ;
- Caveau bien construit.
Le premier est la constatation que nous faisons fréquemment dadipocires partiels qui ne nous renseignent pas plus sur les causes intimes de larrêt de la putréfaction et la nature des frontières à lintérieur même dun corps, mais à le mérite de prouver que la putréfaction nest pas un mécanisme irréversible.
La deuxième est une question. Si lévidence nétait pas évidente ? tous saccordent à dire que la décomposition du corps de lEmpereur était en marche lors de son inhumation. Est-on sûr que les odeurs, laffaissement des traits du visage correspondent à une putréfaction ? On ne voit nulle part décrit daltération de la peau. Pas de bulles putrides, pas de trouble de la coloration. En 48 heures à 37°, la dégradation du corps est habituellement très rapide, et les signes de putréfaction souvent plus marqué que les simples odeurs. Ne pourrait-il pas sagir au contraire dune hydrolyse débutante des graisses, dont on sait que les savons formés sont particulièrement malodorants ? Cette hypothèse aurait au moins lavantage dune certaine continuité dans les processus biochimiques et expliquerait laffaissement précoce des tissus du visage. A lencontre de cette hypothèse, lextrême lenteur habituelle de lhydrolyse des graisses. [
] »
Dr. Stéphany, Médecin-Légiste à Tournai:
Incompatibilité du corps autopsié en 1821 et létat du corps lors de lexhumation de 15 octobre 1840:
Lors de lautopsie réalisée par le docteur Antommarchi le 6 mai 1821, on constate, au niveau abdominal une distention du péritoine produite par une grande quantité de gaz. Un tel phénomène est caractéristique dun commencement des phénomènes habituels de putréfaction .
Il est accepté que dans les premiers temps des phénomènes de putréfaction, la paroi abdominale présente une augmentation de volume sous la poussée des gaz putréfactifs avec coloration verdâtre de la peau au niveau de labdomen.
Ces phénomènes entraînent également une boursouflure de la face, du tronc, et des bourses.
A ce stade également, les yeux font saillie.
Lépiderme se détache du plan sous-jacent et provoque lapparition de phlyctènes ressemblant à des brûlures du deuxième degré.
Une fois ces phénomènes mis en route, le processus continue. Il ne ressort pas du rapport dautopsie du docteur Antommarchi quil ait employé après son autopsie de produits susceptibles davoir stoppé ces phénomènes.
Même si de tels produits avaient été employés, ils nauraient pas permis de faire rétrocéder les phénomènes putréfactifs déjà présents.
En ce qui concerne les phénomènes entourant la mort, il faut également tenir compte de la participation des insectes nécrophages.
Dun point de vue purement académique, il faut retenir lintervention de plusieurs escouades intervenant dans un ordre chronologique: mouches, coléoptères, diptères, acariens, . La première escouade dinsectes nécrophages (mouches) intervient dès la mort sinon durant lagonie. Ces mouches recherchent la sueur, les plaies, . Elles naltèrent pas le cadavre, mais pondent des oeufs qui, en été, laissent naître un larve en une huitaine de jours. Si ponte et naissance de larves il y a eu, on retrouvra sur le cadavre les traces de passage des larves au niveau cutané ainsi que des traces de pupes. Ces pupes ont une taille de 5 à 6 mm, brunâtres, et visibles à loeil nu. Le docteur Antommarchi ne fait pas état de pupes dans son rapport dautopsie.
A la lecture du procès verbal dressé par le chirurgien-major Guillard lors de lexhumation du corps de lEmpereur la nuit du 14 au 15 octobre 1840, cest-à-dire 19 ans après le décès, il ressort quil ny avait plus daltérations extérieures du cadavre tant au niveau de la face quau niveau du tronc.
Retenons également que le docteur Guillard ne fait pas état des stigmates de lautopsie du 6 mai 1821, traces de louverture du corps effectuée. Il est à signaler à ce sujet que lors de lautopsie, il est habituel douvrir le tronc du haut du sternum jusquau pubis et que le corps est ensuite refermé par suture au gros fil. Il est étonnant que le chirurgien major Guillard nait pat noté dans son rapport ces stigmates alors quil fait état de létat de bottes, des ongles, de la dispostion des décorations, Il observe également que: les parois du ventre sont dures et affaissées. Si labdomen a été examiné et sil y avait traces de sutures à ce niveau, elles devraient être notées. Ce rapport dexhumation fait plus penser à un état des lieux quà un examen médico-légal de cadavre, surtout , quà ses dires son examen na duré que deux minutes: il est donc imcomplet, sans doute, mais il est suffisant pour constater un état de conservation le plus parfait que je nétais fondé à attendre daprès les circonstances connues de lautopsie et de linhumation.
Ce pose le problème des processus possibles de la conservation des cadavres:
La décomposition cadavérique peut être en effet ralentie ou inexistante par des processus spontanés ou artificiels:
- la chaleur sèche: elle aboutit à la conservation du corps avec réduction de volume et parcheminement des tissus de la peau. Il faut quelle soit supérieure à 40°C.
- le froid intense et prolongé: un froid à moins de 40°C permet une conservation quasi indéfinie
- la création dadipocire: il sagit de la transformation post mortem des tissus adipeux en savon. Ce processus demande un grand taux dhumidité ( cadavres empilés dans des grottes, dans leau, tombe inondée, ).
- La carbonisation
Il ressort tant de létude des modalités dinhumation de lEmpereur que des constatations du chirurgien- major Guillard quaucun de ces mécanismes ne peut être retenu.
En conclusion létat du cadavre tel quil est décrit par le docteur Guillard en octobre 1840, nest pas la suite logique de létat du corps examiné par le docteur Antommarchi en mai 1821.
En effet, nous navons aucune raison de croire que le phénomène de putréfaction observé en mai 1821 ait été interrompu par des événements artificiels et naturels.
Il faut retenir également que lexamen extérieur dune dépouille mortelle comprend des mesures anthropomorphiques, ne fût ce que sur la taille du corps, ce qui ne semble pas avoir été réalisé.
En ce qui concerne la pilosité (cheveux, poils, barbe, aucune constatation médico-légale ne peut être retenue). Signalons, cependant, que les poils cessent de pousser après la mort.
Docteur Didier Stéphany
Médecin Légiste en Belgique