Intellectuels: Chirac et son rabatteur
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- ️Thu Sep 06 2001
Elysée 2002. David Douillet ne suffira pas. Le président veut renouer avec les têtes pensantes. Jean de Boishue s'y emploie
Jacques Chirac s'est toujours méfié d'eux, et pourtant... «Les intellectuels français, qui sont volontiers donneurs de leçons, feraient bien d'élargir le champ de leurs connaissances, cela les rendrait plus modestes», confiait, en 1996, le chef de l'Etat à la journaliste Anne Fulda, auteur d'Un président très entouré (Grasset). A l'approche des élections, l'Elysée passe de la critique à la séduction. Jérôme Monod, après sa nomination comme conseiller en juin 2000, s'est rapidement convaincu que les intellectuels ne pourraient pas rester «hors du jeu». A la fin de l'année dernière, il déjeune, sur les conseils d'un ami sous-préfet, avec Jean de Boishue, éphémère secrétaire d'Etat à l'Enseignement supérieur du gouvernement Juppé. Les deux hommes se connaissent pour avoir travaillé, dans les années 1970, avec Olivier Guichard. Ils tombent d'accord: David Douillet ne suffira pas; il serait utile de donner une assise intellectuelle à la bataille de 2002. L'Elysée cherche aujourd'hui un local pour faciliter la tâche de Boishue.
L'affaire n'est pas gagnée d'avance. En 1994, Denis Tillinac avait multiplié les rencontres entre le candidat et des penseurs de tous horizons. Chirac avait alors bénéficié, au sein de l'intelligentsia, d'une réelle estime - vite dissoute. «Le président a beaucoup déçu les intellectuels. Il ne leur a reconnu aucune place dans la société», admet Boishue. Certains, comme Emmanuel Todd, ne sont pas près de s'engager une seconde fois. Sa trahison des clercs n'est pas pardonnée. D'autres hésitent. Les ralliements, objectif politique des manoeuvres actuelles, ne sont pas acquis. D'autant que Lionel Jospin et Jean-Pierre Chevènement entretiennent des contacts réguliers avec ces milieux.
Plus que de Chirac lui-même, l'espoir de reconquête vient de l'évolution du paysage intellectuel ces dix dernières années: la construction européenne suscite des débats différents de ceux du début des années 1990; le dossier corse réveille des interrogations sur l'unité nationale; l'antitotalitarisme s'est transformé en référence persistante. D'Alain-Gérard Slama à Alain Finkielkraut - «Les reconstructeurs de valeurs», comme les appelle Boishue - de Pierre-André Taguieff à Luc Ferry, les lignes se déplacent. «De brillants esprits sont aujourd'hui des conservateurs, dans le bon sens du terme», se réjouit Boishue. Le «bougisme» rencontre un nombre croissant d'adversaires: les intellectuels de droite sont de retour - ce qui ne signifie pas pour autant, loin de là, qu'ils soient devenus chiraquiens.
Jean de Boishue, 58 ans la semaine prochaine, est un personnage iconoclaste de la galaxie RPR, électron libre plutôt que cadre enrégimenté. Cet universitaire dirige depuis trois ans Une certaine idée, une revue publiée «sous l'égide» du mouvement gaulliste, qui compte 3 000 abonnés et accueille des intellectuels au-delà des cercles du parti, traditionnellement restreints. Il permet ainsi à Monod de rencontrer des clercs qui n'auraient pas spontanément trouvé le chemin de l'Elysée. Il reste seulement à les convaincre.