Collection Ethiopiques
- ️Jacques Denis
- ️Thu Apr 06 2006
Depuis bientôt dix ans, la série Ethiopiques dresse un formidable inventaire des musiques de l’ex-empire du Négus. Longtemps réservée aux initiés et spécialistes avertis, cette collection de rééditions auxquelles s’ajoutent quelques productions plus récentes connaît un nouvel engouement depuis que l’un de ses artistes fétiches, Mulatu Astatqé, est devenu le fil conducteur du Broken Flowers, le film de Jim Jarmush sorti en 2005. C’est encore les Ethiopiques qui seront à l’honneur de Banlieues Bleues, lors d’une soirée de clôture dédiée le 7 avril. Une double occasion de revenir sur cette série avec l’homme de l’ombre, le mélomane Francis Falceto, sans qui rien n’aurait été possible.
Interview de Francis Falceto
Depuis bientôt dix ans, la série Ethiopiques dresse un formidable inventaire des musiques de l’ex-empire du Négus. Longtemps réservée aux initiés et spécialistes avertis, cette collection de rééditions auxquelles s’ajoutent quelques productions plus récentes connaît un nouvel engouement depuis que l’un de ses artistes fétiches, Mulatu Astatqé, est devenu le fil conducteur du Broken Flowers, le film de Jim Jarmush sorti en 2005. C’est encore les Ethiopiques qui seront à l’honneur de Banlieues Bleues, lors d’une soirée de clôture dédiée le 7 avril. Une double occasion de revenir sur cette série avec l’homme de l’ombre, le mélomane Francis Falceto, sans qui rien n’aurait été possible.
RFI Musique : Après vingt ans de travail de fond, que vous inspire l'engouement actuel, en partie dû à la bande-son de Broken Flowers, le film de Jarmush ?
Francis Falceto : Je le prends comme il vient. Tout ce qui est de nature à favoriser la promotion et la bonne fin des Ethiopiques me convient. J’ai beau être assez flegmatique vis-à-vis de l’encens médiatique, je dois reconnaître que l’ampleur de l’écho rencontré favorise indéniablement l’existence de la collection. J’ajoute que c’est un réel plaisir pour moi que de pouvoir apporter les coupures de presse aux artistes et aux producteurs éthiopiens concernés. Ils sont ainsi à même de mesurer l’espèce de seconde vie que connaît la musique éthiopienne auprès des Fèrendj (les autres, les étrangers, les non-Éthiopiens).
La reconnaissance valide-t-elle le travail effectué ?
Évidemment non, mais cela vaut encore mieux que l’indifférence ou des mauvaises critiques. Bien avant Jarmush, des gens aussi estimables et variés qu’Elvis Costello (un des tout premiers fans de choc), Patti Smith, John Zorn, le Kronos Quartet, Marc Ribot, Susheela Raman, The EX et quelques autres du même métal, s’étaient prononcés sans mâcher leur enthousiasme. Oui, ce genre de fan-club improbable me réjouit positivement.
Quel a été le facteur déclencheur de la série Ethiopiques ?
Je suis allé pour la première fois en Éthiopie en avril 1985. En juin 1986, Erè Mèla Mèla de Mahmoud Ahmed sortait chez Crammed Discs. Dès 1987, et après deux courts séjours éthiopiens, je me précipitais à Washington chez Amha Eshèté que j’avais repéré comme LE producteur historique incontournable. Je n’avais pas encore l’idée des Ethiopiques, mais je savais que je voulais travailler à la réédition d’une bonne partie du catalogue Amha Records. L’exilé Amha était d’accord sur le principe d’une réédition, mais le projet était suspendu à la chute très attendue de la dictature éthiopienne… Intervenue en 1991. Amha est rentré en Éthiopie l’année suivante et nous avons repris nos discussions et la traque des masters depuis Addis-Abeba. C’est en février 1997 que j’ai pu aller chercher les masters Amha Records chez Columbia à Athènes. Un des plus beaux jours de ma vie. En octobre de la même année, sortaient les deux premiers éthiopiques.
S'il fallait résumer la marque de fabrique éthiopienne…
Principalement les cuivres, pour ce qui est de la musique urbaine. Et un groove absolument singulier en Afrique, qui tient à l’isolationnisme forcené des Éthiopiens de l’époque.
Comment travaillez-vous sur les archives ?
Pour Amha Records, presque essentiellement à partir des masters originaux retrouvés. Pour le catalogue Kaifa Records et les autres labels, à partir de ma collection de vinyles et de collections privées éthiopiennes. Pour tout ce qui est infos et documents photographiques, il s’agit principalement d’interviews d’artistes historiques (traqués dans huit ou neuf pays, compte tenu des exilés, dont beaucoup sont maintenant décédés), et le train-train systématique, têtu et obsessionnel, de tout historien qui se respecte : creuser, observer, essayer de comprendre, poser les bonnes questions, recomposer le puzzle, réinitialiser les mémoires…
L'accès y est-il facile ?
Non, plutôt difficile. Un étranger est au départ toujours suspect aux yeux des Éthiopiens. Cela dit, je ne me plains pas : si, 22 ans plus tard, je retourne toujours là-bas, c’est que non seulement il reste beaucoup à faire mais aussi que j’y compte bon nombre de solides supporters.
Et que reste-t-il dans les cartons à redécouvrir ?
Encore un certain nombre d’artistes des années 60-70 : Ali Birra, Muluqèn Mèllèssè, Ayaléw Mesfin, et quelques autres. Pour les années 40-50, j’ai une idée pour quand la série sera terminée… Mais ça, il ne faut pas le répéter !
Quels sont les prochains volumes à paraître ?
En principe Ali Birra (LE chanteur Oromo), des enregistrements traditionnels inédits et d’autres Alèmayèhu Eshèté vintage. Tout comme pour Mahmoud Ahmed et Tlahoun Gèssèssè… Il y a aussi des enregistrements "ethno" réalisés dans le Sud éthiopien par un jeune étudiant français, Bastien Lagatta, des 78 tours enregistrés sous l’occupation italienne à la fin des années 30... J’ai sous le coude de quoi aller jusqu’à 35 volumes…
La série éthiopiques, de par la diversité des répertoires abordés (des musiques soul urbaines à d'autres plus savantes, des big bands jusqu'aux musiques dites traditionnelles...), est un remarquable antidote à la vision ethno-centrée que suggère l'appellation world music ?
Bien vu. Là-dessus, j’ai beaucoup à déballer. Et je tiens le même discours depuis le début des années 1980, quand j’étais au Confort Moderne de Poitiers.
On a souvent associé cette musique à l'esprit du jazz. Ce lien vous semble-t-il valide ?
Du point de vue du son, oui. Les cuivres y sont sûrement pour quelque chose. Mais ça n’est pas ou rarement du jazz. D’ailleurs, l’expression "ethio-jazz" appartient à et relève strictement de Mulatu Astatqé, seul. A part ce cas d’espèce, aucun musicien éthiopien, et surtout aucun chanteur, ne revendiquera une quelconque appartenance au jazz. Y compris le saxophoniste Gétatchèw Mèkurya, qui n’a aucune culture jazzistique particulière. Ce sont ses fans occidentaux, moi le premier, qui font le rapprochement entre son jeu shellèla et Albert Ayler.
Quelques années après un formidable cabaret éthiopien, les Ethiopiques reviennent à Bobigny pour la soirée de clôture de Banlieues Bleues. Peut-on y voir une espèce de suite ?
Ce sont les hasards de la programmation. Même lieu certes, sauf que cette fois c’est Banlieues Bleues qui invite. Mais on peut évidemment y voir une sorte de suite.
En concert le 7 avril à la MC 93 de Bobigny
Derniers volumes : Vol 20 : Either/Orchestra Live In Addis (Buda/Socadisc)
Vol 21 : Emahoy Tsegué-Maryam Guèbrou Piano Solo (Buda/Socadisc)