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La Rochelle : les importateurs dénoncent le trafic de bois exotique

  • ️frédéric zabalza
  • ️Wed Jan 09 2013

Le ton monte chez les importateurs de bois exotique, réunis demain à Nantes, qui dénoncent les agissements de quelques « brebis galeuses ».

Une voiture avance doucement sur le quai de Chef-de-Baie, au port de commerce de La Rochelle, louvoyant entre d'immenses troncs entassés sur le bitume, dépouilles de ces géants des forêts d'Afrique destinées à être transformées en meubles, en charpente, en lames de terrasse et autres ponts de voiliers. Chaque bille est frappée du sceau - du marteau, disent les spécialistes - de l'importateur, à côté des initiales de l'entreprise exportatrice. Jean-Jacques Boutrot s'arrête devant l'une d'elles. « Tout ça, c'est du bois illégal. »

Le patron rochelais de la Compagnie atlantique des bois & dérivés (CABD) retient péniblement les premiers mots qui lui viennent aux lèvres à la vue de ces grumes exotiques, voisines de celles de sa société. « Il en arrive régulièrement sur le quai, je crois même qu'il n'y en a jamais eu autant ! » peste celui qui revendique quarante années d'ancienneté dans l'importation du bois, mais qui, aujourd'hui, « en a marre de se taire ».

Pas de gendarmes

« Nous avons fait beaucoup d'efforts ces dernières années pour une bonne gouvernance des forêts. Nous avons élaboré une charte, adhéré à nombre de certifications internationales (1), nous nous sommes engagés à ne plus être hors des clous au niveau de la protection de l'environnement. Malheureusement, des importateurs français ne respectent pas ces engagements. Les gens de la profession sont très énervés, mais nous ne sommes pas des gendarmes, ce n'est pas à nous d'agir. D'un autre côté, si on reste pieds et poings liés, on n'a plus qu'à pointer au chômage. »

Si la filière se sent à ce point impuissante, c'est que les responsabilités et les enjeux dépassent le cadre étroit des frontières françaises. Ainsi, la République du Congo, un des premiers producteurs africains de bois en grumes, soucieuse de respecter un accord passé avec l'Union européenne - et financé par elle -, a décidé en mai 2012 de suspendre l'exportation de 13 sociétés, chinoises pour la plupart. Or, 10 d'entre elles auraient continué à exporter pour plus de 100 000 mètres cubes de bois entre juin et août 2012. Ce dont s'est inquiété le ministre de l'Économie forestière et du développement durable du Congo en personne, Henri Djombo, dans un courrier adressé à l'Union européenne, en novembre 2012. « En outre, ajoutait-il, il semblerait que la production de Taman [l'une des sociétés chinoises] ait anormalement augmenté entre juillet et septembre 2012, passant d'environ 1 500 arbres abattus à plus de 7 000 en l'espace d'un mois, faisant planer de fortes suspicions sur l'origine des grumes exportées. »

Et le ministre congolais de renvoyer la balle aux importateurs européens, qui « seront désormais tenus pour responsables de l'origine légale des produits qu'ils importent dans l'UE. » Sébastien Levenez, président du Commerce du bois (LCB), la fédération nationale, a réagi aussitôt. « Des questions se posent sur les conditions de mise en œuvre de ce régime de quotas si l'on en juge par les arrivées récentes et importantes de grumes au port de La Rochelle, envoyées par des sociétés concernées par l'arrêté du 10 mai 2012 leur interdisant d'exporter pour le restant de l'année. […] Étant entendu qu'une partie de ces bois sera mise en marché après le 3 mars 2013, quel statut devons-nous leur accorder ? Ont-ils bénéficié de dérogations particulières, auquel cas leur introduction sur le marché est tout à fait normale ? »

Pour l'instant, la réponse du ministre congolais se fait attendre. Reste que des importateurs français peu scrupuleux, pourtant signataires de la charte LCB, ont acheté ces arbres à l'origine douteuse, telles ces billes déchargées encore récemment sur le quai de Chef-de-Baie, où figure le nom de la société Taman.

Un tournant en mars 2013

« Les écarts de conduite de certains confrères, une minorité, font du mal au métier, quand d'autres font beaucoup d'efforts », déplore Pierre Piquet, qui dirige l'entreprise Abex, présente à Nantes et à La Rochelle. « Il y a des brebis galeuses », confirme Laurent Angot, patron d'Angot Bois à La Rochelle.

Une nouvelle réglementation pourrait cependant marquer un tournant dans le commerce international du bois. À partir du 3 mars 2013, l'Union européenne appliquera le plan d'action Flegt (Forest Law Enforcement, Governance and Trade), destiné à bannir le bois illégal. « C'est un accord entre États, dont la mise en place sera un peu longue. En attendant, l'Union européenne nous demande d'être plus responsables et de vérifier nous-mêmes l'origine et la traçabilité du bois, sous le contrôle de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF). J'espère en tout cas qu'à partir de mars 2013, ce qui est arrivé avec le Congo n'arrivera plus », souligne Laurent Angot.

(1) La charte LCB (Le Commerce du bois), les certifications PEFC (Programme for the Endorsement of Forest Certification) et FSC (Forest Stewardship Council). (2) Nous n'avons pas réussi à joindre l'association rochelaise qui a importé ces grumes.