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La cryptozoologie passionne, fait rêver,
déçoit, irrite, provoque, fascine... On pourrait
continuer longtemps la liste. Essayons plutôt d'en dresser le
bilan, quarante-deux ans après la parution du livre-culte de
Bernard Heuvelmans, Sur
la piste des bêtes ignorées, qui en a
été le point de départ.
Ce bilan peut paraître mitigé. D'un côté --
ainsi que le démontre Michel Raynal sur ce même site --
de nombreuses et importantes découvertes
zoologiques ont été faites. Beaucoup sont
remarquables par la taille des espèces décrites, ou
leur statut de "reliques", ou leur localisation, certaines, comme le
saola, réunissant ces trois titres de gloire.
D'un autre côté, cependant, les grandes "vedettes" de la
cryptozoologie manquent toujours à l'appel : point de
dinosaure ni de yéti parmi ces découvertes.
Ce qui frappe avant tout dans notre science, c'est la
disproportion entre la masse de témoignages, d'informations,
d'indices (empreintes par exemple) réunie sur certains des
êtres en cause et la rareté, voire l'absence de preuves
tangibles, du moins dans l'optique de la zoologie classique.
Ce qui trouble de même, c'est la répartition
géographique parfois immense que ces espèces semblent
avoir. Ainsi, les lacs où des monstres ont été
signalés s'éparpillent dans tous les continents, et il
en va de même des montagnes ou des forêts où ont
été rencontrés des primates
mystérieux.
Devant une situation aussi paradoxale, des répones très
différentes peuvent être apportées. Mentionnons
sans nous y attarder -- elle a au moins le mérite du
pittoresque -- l'opinion selon laquelle ces êtres seraient des
fantômes, des matérialisations d'énergie, des
hologrammes ambulants ou des entités extra-terrestres (Bord
and Bord 1980). Ce qui "expliquerait", il faut le reconnaître,
l'absence quasi totale de cadavres.
Pour sa part, une école folkloriste ou sociopsychologique
s'efforce de tout ramener à des mythes de l'esprit humain,
véhiculés d'un continent à l'autre au gré
des migrations de populations (Meurger et Gagnon 1982). Une telle
opinion peut contribuer à éclairer certains
éléments du problème. Cependant, elle n'explique
pas les preuves palpables, comme les photographies ou les
échos sonar, et elle est contredite par la précision de
nombreux témoignages.
Arrêtons-nous un instant sur ce problème des
témoignages, qui jouent un si grand rôle en
cryptozoologie. S'il est classique de mettre en doute le
témoignage humain, il convient de rappeler qu'une bonne partie
des sciences biologiques, et notamment l'éthologie, est
fondée sur les témoignages des observateurs,
témoignages que personne ne songe à contester.
Le cas de l'ornithologie de terrain est particulièrement
instructif pour notre propos. Elle repose essentiellement, elle
aussi, sur des témoignages visuels dans lesquels les
instruments optiques (jumelles, télescopes) jouent un
rôle déterminant. Et l'on ne peut être
qu'admiratif devant la précision inouïe (et admise de
tous) atteinte par certaines de ces observations. Un ornithologiste
chevronné parvient à identifier à très
grande distance une espèce que de menus détails
seulement distinguent des espèces parentes -- et cela avec une
certitude que personne, encore une fois, ne remet en cause.
Aussi est-il excessif de dénigrer systématiquement les
témoignages cryptozoologiques, comme il serait
exagéré de les prendre tous pour argent comptant.
Un autre aspect du problème devrait aussi rassurer les
sceptiques. Il n'y a pas d'un côté la zoologie, et de
l'autre, la cryptozoologie. En effet, innombrables sont les
espèces (y compris parmi les mammifères et les oiseaux)
connues par un unique spécimen pieusement conservé dans
un musée, voire par un crâne, une peau, une plume, etc.
Bref, tous les intermédiaires existent entre l'espèce
connue et l'animal cryptozoologique.
Les lacunes de l'inventaire
faunistique sont donc bien immenses et permettent tous les
espoirs. Et même si l'argument de la trop vaste
répartition peut incliner au scepticisme, il ne doit pas
complètement décourager. Par exemple, le requin
à grande gueule (Megachasma pelagios), connu seulement
en 1976 par un spécimen capturé au large d'Hawai, a
été retrouvé depuis dans tout le Pacifique, et
même récemment dans l'Atlantique. A une échelle
moindre, rappelons le cas de la sittelle kabyle (Sitta
ledanti), petit passereau grimpeur découvert la même
année sur le Djebel Babor en Algérie, et
retrouvé par la suite ailleurs dans ce pays.
Pour être objectif, il faut reconnaître que le requin
à grande gueule, la sittelle kabyle ou encore le saola,
s'ils apportent de l'eau au moulin de la cryptozoologie, ne la
confortent pas tout à fait, car ils ne figuraient pas (ou
à peine), avant leur découverte, dans les dossiers ou
les livres des cryptozoologistes. Mais, après tout,
qu'importe. Prévues ou non, les grandes trouvailles
zoologiques peuvent raisonnablement être
espérées. Sauront-elles réveiller la torpeur
d'un public blasé ? Sauront-elles déchaîner
l'enthousiasme des médias ?
Cela aussi, il faut l'espérer. Certes, en France au moins, la
cryptozoologie "marche" mal dans l'édition et dans les
médias. Les livres se vendent peu, les revues
spécialisées n'ont guère de chance d'exister.
Les grands médias qui, voici une dizaine d'années,
accueillaient assez facilement les informations sur les animaux
mystérieux ou les annonces de découvertes zoologiques
sont devenus plus réticents.
Parfois, un événement parvient à faire un
certain bruit : ce fut le cas, voici quelques années, de
l'expédition franco-russe qui partit à la recherche de
l'almasty du Caucase, mais qui n'était pourtant pas des
plus sérieuses...
Il est par contre un domaine où la cryptozoologie fait un malheur : c'est celui de la fiction. Romans et films n'en finissent pas d'exploiter ses thèmes. Tant mieux si un large public découvre la cryptozoologie de cette façon, mais c'est néanmoins insuffisant. Et voici que survient l'Institut Virtuel de Cryptozoologie : puisse-t-il apporter à celle-ci le sang nouveau dont elle avait besoin !
Références citées
BORD, Janet, and Colin BORD
1980 Alien animals. London, Granada.
MEURGER, Michel et Claude GAGNON
1982 Monstres des lacs du Québec - Mythes et troublantes
réalités. Montréal,
Stanké.