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La voie d’Aquitaine entre Tolosa (Toulouse, Haute-Garonne) et Carca...

  • ️Passelac, Michel
  • ️Fri Dec 30 2016

1Entre Toulouse et Carcassonne, le tracé de la voie d’Aquitaine ne pose pas de problème particulier pour qui privilégie une démarche archéologique. Le réseau routier et celui des agglomérations montrent en effet une forte stabilité que confirment la toponymie et la présence de bornes milliaires. D’autres sources, comme le Pro Fonteio, l’épigraphie, avec la dédicace du théâtre d’Eburomagus, et la correspondance de Sulpice Sévère et Paulin de Nole complètent ces données. Bien que les fouilles aient été assez rares dans ce secteur, les prospections aériennes et les prospections au sol ont livré d’abondantes données. Sur ce tracé, reconnu sur toute la distance qui sépare les deux cités, il est donc assez aisé de situer les huit stations que nous font connaître la Table de Peutinger et l’Itinéraire de Bordeaux à Jérusalem (tabl. I) et d’observer leurs vestiges au sol. Dans un récent travail, cependant, concernant le segment Sostomagus-Eburomagus, long de dix milles, j’ai montré combien l’archéologie nous livre une réalité plus riche et plus complexe que les sources antiques. Elle précise, en effet, que la distance moyenne entre les sites de bord de route est d’environ deux milles (Passelac 2010, p. 111). Ainsi est posé le problème de la nature et du statut de ces très nombreux sites de bord de route qui s’intercalent entre les stations du cursus publicus. Cette abondance est-elle due à un effet de cumul de sites qui pourraient ne pas être contemporains ? Quelles sont les stations officielles et les stations privées qui offraient leurs services à la multitude de voyageurs, transporteurs et commerçants parcourant cet axe de grande importance ? Dans quel type de lieu les unes et les autres étaient-elles installées ? Ces sites de bord de route ont-ils d’autres vocations que le service des voyageurs ?

Tabl. I – De Toulouse à Carcassonne, stations d’après les Itinéraires et les bornes milliaires

Tabl. I – De Toulouse à Carcassonne, stations d’après les Itinéraires et les bornes milliaires

DAO : M. Passelac (CNRS).

  • 1 Je remercie particulièrement M. Daniel Bonhoure qui participe très activement aux prospections sur (...)

2Nous proposons d’examiner d’abord le segment Baziège–Villefranche-de-Lauragais (Haute-Garonne) en tentant de définir ce qu’était Bad(egia) par une synthèse des observations réalisées sur ce site. Nous argumentons ici une localisation d’Ad Vigesimum étayée par le résultat de prospections récentes. Ensuite, nous nous intéresserons au segment Villefranche-de-Lauragais–Castelnaudary. Il a livré de nouveaux sites de bord de route dont nous analysons l’implantation, la superficie et la chronologie. C’est un des plus nantis, jalonné de sites d’époque républicaine et enrichi de créations du Haut-Empire. Nous reprendrons le segment Castaelnaudary–Bram, en insistant sur l’implantation et la topographie des sites intermédiaires entre la mutatio de Sostomagus et le vicus Eburomagus. Comment peut-on interpréter ces très nombreux sites de bord de route à partir de données apportées le plus souvent par les seules prospections ? Enfin, en comparant la situation de cette partie de la voie d’Aquitaine avec d’autres itinéraires antiques, nous tenterons de déterminer si ce grand nombre d’établissements routiers est lié à la récurrence des prospections sur le long terme, à l’importance économique de ce grand axe reliant Narbonne à Bordeaux ou à d’autres caractéristiques spécifiques de cet axe1.

Le segment Baziège–Villefranche-de-Lauragais

3Cette section de la voie (11 km) n’a pas été l’objet de prospections systématiques visant à rechercher les sites de bord de route. Dès les années 1960, les prospections aériennes de l’abbé Baccrabère ont révélé des traces de l’ouvrage à l’est de Baziège (Baccrabère 1963, p. 63-65, fig. 20), confirmées tout récemment par un diagnostic de l’Inrap. Le tracé antique court ici sur une légère pente à 50 m environ au nord de la RD613. À partir d’un kilomètre à l’ouest de Villenouvelle, elle s’identifie à la RD613 jusqu’à l’intérieur de Villefranche-de-Lauragais. Deux stations y sont mentionnées : Bad(egia) par la Table de Peutinger et Ad Vigesimum par l’Itinéraire de Bordeaux à Jérusalem.

Baziège : Bad(egia) ou Bad(eia)

4Ce lieu est situé sur la voie à 15 milles de Toulouse par la Table de Peutinger. M. Labrousse a souligné la parfaite concordance des distances, en suivant le tracé de l’ancienne RN113 et celui du CD24. La présence d’un milliaire du quinzième mille dans l’église de Baziège, transféré depuis une proche chapelle, scelle cette localisation (Labrousse 1968, p. 338-339, avec bibliographie détaillée). On peut ajouter qu’une borne du quatorzième mille, conservée à Aiguesvives, a été retrouvée sur le CD24, appelé « chemin des Romains », aux limites actuelles des communes de Montgiscard, d’Ayguesvives et de Baziège. Il ne fait donc pas de doute que le tracé de la voie d’Aquitaine passait ici de la rive gauche de l’Hers à sa rive droite et que Bad(egia) était située près du franchissement du cours d’eau. L’étymologie de Bad(egia) associant une racine proche de vadum (« gué » en latin) à un suffixe celtique (Labrousse 1968, p. 338, n. 107) est bien en accord avec cette situation. C’est une des caractéristiques essentielles du site qu’il partage avec un grand nombre d’agglomérations et de stations antiques.

5Pour P. Sillières, la voie devait s’élever au-dessus de cette plaine humide par une construction en agger, complétée à la période moderne par la réalisation de ponceaux. Ainsi était compensé l’atterrissement de cette zone basse près du cours d’eau (Sillières 2006, p. 59).

6L’autre trait remarquable de cette localisation est la convergence sur ce point des deux voies de la vallée de l’Hers, celle de la rive gauche, la principale, et celle de la rive droite, non bornée, pérennisées par le CD24 et la RD12. Quelques observations anciennes paraissent accréditer la présence d’une route ancienne sous le CD24 (Massendari 2006, p. 113), mais celle-ci semblait démentie par les observations de M. Vidal en 1972 (Vidal 1973a, p. 1). Entre Toulouse et le seuil de Naurouze, la voie se situe tantôt à l’emplacement même de la route médiévale et moderne, tantôt à proximité immédiate, tantôt à quelques dizaines de mètres : nous en avons de multiples exemples par les prospections aériennes. Il est donc possible qu’à Baziège un léger décalage existe entre le tracé antique et les routes actuelles. Cela ne modifie en rien la configuration générale du site, qui devait en outre être placé à un carrefour de chemins vers le nord et vers le sud.

7Dans la Carte archéologique de la Haute-Garonne, J. Massendari propose une compilation détaillée des découvertes effectuées depuis le début du xxe s. (Massendari 2006, p. 113-117) qualifiant à plusieurs reprises le site de « station ». La Table de Peutinger, seul itinéraire à mentionner Bad(egia), ne donne cependant aucune indication sur sa fonction ou son statut. Aussi, pour tenter une approche archéologique du site, nous avons localisé toutes les observations disponibles sur le fond cadastral actuel, en indiquant soit l’emplacement précis des fouilles et des sondages lorsqu’il est connu, soit la parcelle cadastrale qui a livré des vestiges (fig. 1). L’analyse de cette cartographie permet de déterminer une aire d’occupation couvrant environ 9 ha. Elle s’étire d’est en ouest sur 350 m, et du nord au sud sur plus de 250 m. Sa partie centrale est traversée par le CD24 (la voie d’Aquitaine) et par la RD6.

Fig. 1 – Cartographie des découvertes sur le site de Bad(egia)

Fig. 1 – Cartographie des découvertes sur le site de Bad(egia)

DAO : M. Passelac (CNRS).

Une agglomération gauloise d’époque tardo-républicaine

8Il est difficile d’établir une cartographie par période compte tenu du petit nombre de fouilles. Il semble cependant que les vestiges antérieurs à la période impériale (iie s. av. J.-C. et trois premiers quarts du ier s. av. J.-C.) se retrouvent sur l’ensemble de cette zone, depuis les abords de l’ancien cimetière jusqu’à la parcelle 387, et des parcelles bordant au nord la RD16 jusqu’aux bords de l’Hers. La tranchée suivie par M. Vidal lors de la création de la station d’épuration en 1972 a montré des niveaux d’occupation continus du bord de l’Hers jusqu’à la RD16 (Vidal 1973a ; 1973b ; 1973c). Elle a permis la fouille de trois puits dont un a conservé son cuvelage en bois (Vidal 1984, p. 103). Leur caractère funéraire doit donner lieu à réinterprétation. D’une part, ces puits ne renfermaient aucun dépôt qu’on peut considérer aujourd’hui comme spécifiquement funéraire, d’autre part leur dispersion et leur position au cœur de la zone occupée leur confèrent plutôt, comme fonction première, l’approvisionnement en eau des habitants. De telles structures sont très fréquentes sur les agglomérations contemporaines du territoire tectosage comme Vieille-Toulouse (Gorgues, Moret 2003) et Eburomagus (Passelac 2013, p. 77 et p. 85) pour s’en tenir à ces deux exemples. Sur toute l’étendue concernée, ce sont principalement les fragments d’amphores italiques, des types gréco-italiques tardifs et Dr. 1A, de céramiques campaniennes A et B, de céramiques communes importées et régionales qui ont été recueillis. Une monnaie d’argent à la croix et un bronze des Longostalètes se rapportent à cette période. Celle-ci pourrait débuter, selon les résultats d’un diagnostic récent effectué dans un terrain contigu au cimetière, dans le deuxième quart ou le milieu du iie s. av. J.-C. (Landou 2001, p. 43). Si cette date mérite d’être confirmée, parce qu’elle repose sur de rares éléments mobiliers recueillis dans une seule fosse, elle semble cohérente avec celle des autres agglomérations de plaine connues sur la même voie entre Toulouse et Carcassonne : Saint-Roch à Toulouse, Elusio et Eburomagus. À cette période, le site pourrait atteindre une superficie plus vaste que les 9 ha mesurés car, au nord du quartier de Margaille, près de la voie ferrée, des vestiges antiques ont été signalés (Baccrabère 1963, p. 16). Un denier de la République romaine y a été recueilli (Ruzzu 2008, p. 34). Nous l’identifions comme un denier « à la plume » (RDN-163-1 in Feugère, Py 2011) émis en 179-170 av. J.-C. S’agit-il des traces ultimes de l’agglomération vers le nord ou de celles d’un établissement installé à sa périphérie ?

L’agglomération gallo-romaine

9Sur une emprise presque identique, l’occupation se poursuit sous Auguste et à la période du Haut-Empire. Les mobiliers caractéristiques sont désormais l’amphore de Tarraconaise Pascual 1, les amphores de Bétique Dr. 20 et Dr. 7-11, les sigillées du sud de la Gaule, les lampes à huile et verreries, les céramiques communes régionales des ier et iie s. apr. J.-C. Un as d’Ampurias à légende latine et trois monnaies impériales appartiennent à cette période (Labrousse 1974, p. 472).

10Les prospections, les sondages et le diagnostic dans la parcelle 294 ont livré en outre des matériaux de construction : moellons, tegulae, briques, briques de suspensura, marbre blanc, marbre blanc bleuté de Saint-Béat (Vidal 1974 ; Landou 2001, p. 44-49). Ils témoignent de la présence, en bordure de la voie, d’un ou de plusieurs bâtiments d’un certain luxe comportant une partie thermale. Des scories de fer recueillies sur le même point signalent la proximité d’une activité de forge (Landou 2001, p. 44-49).

11La période du Bas-Empire semble moins prégnante d’après les mobiliers récoltés. Les travaux anciens ont recensé un antoninien de Claude II et quelques éléments céramiques postérieurs à la fin du iiie s. : fragments de mortiers à lèvre tombante et céramiques grises estampées (Vidal 1974, p. 3-4 ; Labrousse 1976, p. 472). Ces derniers éléments permettent de prolonger jusqu’au ve s. l’occupation en bordure de la voie. Sans doute l’agglomération a-t-elle perdu de son importance au Bas-Empire, mais il est permis de penser que l’exposition plus forte des niveaux tardifs a joué un rôle dans la faible représentation des mobiliers de cette période. La présence de sépultures à inhumation en bordure de la voie dans la parcelle 294, datées entre le viiie s. et le xiie s., la mention du nom saltu Vadegiaco en 844 (Labrousse 1968, p. 338, n. 107) montrent la permanence de l’occupation sur ce site.

12Le lieu mentionné par la Table de Peutinger sous le nom de Bad(egia) est donc celui d’une petite agglomération active dès la première moitié ou le milieu du iie s. av. J.-C. Tout au long de la période romaine, comme à Elusio ou à Eburomagus, elle a très certainement abrité des installations destinées à l’accueil des voyageurs. Les matériaux attribuables à des thermes, relevés en bordure de la voie, peuvent correspondre à des vestiges de ces bâtiments intégrés à l’agglomération. Que l’Itinéraire de Bordeaux à Jérusalem ne la mentionne pas ne signifie pas nécessairement qu’elle n’existait plus au début du ive s. en tant qu’étape sur la voie. Le pèlerin qui a rédigé l’itinéraire n’a pas eu d’intérêt particulier pour ce lieu dénué peut-être de communauté chrétienne. C’est ce que nous inviterait à penser l’interprétation de ce dernier document proposée par P. Herrmann (Herrmann 2007, p. 180).

La Gravette, à Montgaillard-Lauragais : Ad Vigesimum

Les hypothèses concernant Ad Vigesimum

13L’hypothèse traditionnelle, celle des géographes, reprise par M. Labrousse en 1968, situe la mutatio signalée par l’Itinéraire de Bordeaux à Jérusalem au lieu-dit l’Hôpital. Elle se fonde sur la distance mesurée à partir de Toulouse et sur la présence de vestiges, très sommairement décrits, en ce lieu. Elle s’accorde avec le tracé de la voie proposé par G. Baccrabère : à l’Hôpital, au nord du Château fleuri, au nord du Moulin, au nord d’En Pourroutou, sur la base de l’observation de « mortier » considéré comme issu de la voie et de quelques petits sites ayant livré des matériaux et du mobilier : « briques, céramiques ordinaires, fragments d’amphores… » (Baccrabère 1963, p. 66) (fig. 2). Aujourd’hui, la prospection autour de l’Hôpital ne permet pas de reconnaître les traces d’une station routière.

Fig. 2 – La mutatio Ad Vigesimum et les hypothèses sur le tracé de la voie d’Aquitaine à Montgaillard-Lauragais (Haute-Garonne)

Fig. 2 – La mutatio Ad Vigesimum et les hypothèses sur le tracé de la voie d’Aquitaine à Montgaillard-Lauragais (Haute-Garonne)

DAO : M. Passelac (CNRS).

14L’hypothèse de L. Decramer (Decramer 2008, fig. 20) est fondée sur un tracé de la voie intégré à un cadastre dont la reconstitution est purement théorique. Ce tracé passe un peu plus au nord que celui qui a été proposé par G. Baccrabère. La station d’Ad Vicesimum y serait localisée au nord d’En Denys à partir de l’observation de vestiges attribués à la période romaine, mais non décrits. À cet emplacement, nous avons vu surtout les traces d’une tuilerie d’époque médiévale ou moderne, et de rares matériaux gallo-romains distribués sur une toute petite superficie (deux localisations d’environ 100 m2 et 300 m2).

15Nous formulons une troisième proposition, fondée sur un tracé de la voie antique à l’emplacement de la RD813. De Toulouse à Castelnaudary, cette route reprend en effet, le plus souvent, l’assiette de la voie antique. Quand elle s’en éloigne, c’est de quelques dizaines de mètres, comme entre Baziège et Villenouvelle, ou entre Villefranche-de-Lauragais et Avignonet-Lauragais.

Le site de la Gravette

16Nous avions déjà prospecté et signalé une occupation au bord de la RN113, à la Gravette, dans les années 1980. Le site était visible notamment au nord de la route, sur quelques milliers de mètres carrés. Nous avions alors reconnu les vestiges de tombes à inhumation dans des déblais de travaux, au carrefour de la RN113 et de la D97C. Il s’agissait de gros fragments de tegulae et de restes osseux humains, attestant la présence de tombes en bâtière ou en coffre de tegulae. En 2011, une prospection pédestre a permis de préciser l’étendue du site. Elle a été complétée en 2012 et en 2013.

17Les vestiges de cette occupation s’observent de part et d’autre de la route actuelle, sur une aire rectangulaire allongée d’environ 220 m d’est en ouest pour 130 m du nord au sud, soit presque 3 ha (fig. 3). Le terrain montre une faible déclivité du nord vers le sud : de 175 m à 170 m environ. La zone de dispersion des vestiges dépasse très certainement la superficie des bâtiments établis des deux côtés de la voie. Elle traduit la présence d’un établissement d’une importance notable. La disposition par rapport à la route s’avère exactement semblable à celle des stations et agglomérations voisines des Cannelles (Avignonet-Lauragais) et d’Elusio (Montferrand). L’occupation se rapproche, par sa taille, de celle qui a été identifiée comme Fines à l’ouest de Castelnaudary (Passelac 2002 ; 2003).

Fig. 3 – Implantation de la mutatio Ad Vigesimum

Fig. 3 – Implantation de la mutatio Ad Vigesimum

DAO : M. Passelac (CNRS).

18Le mobilier récolté alors et celui qui a été fourni par de nouvelles prospections en 2013 signalent surtout une occupation du Haut-Empire ; cependant, la présence de fragments de tegulae de petit module, ainsi que la présence d’inhumations en coffres de tegulae attestent la poursuite de l’occupation au Bas-Empire.

19Comme tous les sites de la voie d’Aquitaine, la Gravette a fait l’objet de détections électromagnétiques répétées, ce qui nous prive de beaucoup d’informations. Le mobilier récolté associe amphores, céramiques fines, verrerie, des éléments de parure en bronze (bague, amulette phallique) ; d’autres sont liés au harnachement (grelot et boucle). Les scories de fer attestent le travail de forge.

20La disposition du site de part et d’autre de la voie, sa taille et la nature du mobilier recueilli nous conduisent à identifier ce site comme celui d’Ad Vigesimum, proposition déjà formulée par L. de Malafosse en 1908, à la suite de la découverte de « murs romains », mais rejetée par M. Labrousse, à cause d’une distance un peu trop élevée par rapport à Toulouse (Labrousse 1968, p. 339, n. 119). La proposition n’a pas non plus été reprise par J. Massendari dans la Carte archéologique de la Haute-Garonne (Massendari 2006, p. 284). Quant à G. Baccrabère, il avait observé quelques vestiges à l’occasion d’un élargissement de la route mais considéré que ces matériaux étaient déplacés : « nous avons remarqué dans le talus sur le côté nord de la voie, à une profondeur de 1,30 m, des fragments de tegulae avec tessons d’amphores. Ces débris devraient provenir du ruissellement des eaux du coteau » (Baccrabère 1963, p. 51). Malgré la présence dominante de mobilier du Haut-Empire, due à l’érosion du site en aval de la route, plusieurs éléments indiquent une poursuite de l’occupation au Bas-Empire, conforme avec la mention de l’Itinéraire de Bordeaux à Jérusalem.

Le milliaire de Montgaillard-Lauragais

21Sur la colline de Montgaillard, à 1,5 km au nord de la voie, se dresse une borne milliaire surmontée d’une croix en fer. Le monument de marbre, très effacé par un long séjour aux intempéries, a été étudié par M. Labrousse qui a eu le mérite de proposer une lecture de l’inscription et l’attribution de la dédicace à Tétricus (Labrousse 1958, p. 67-78). Connue des épigraphistes depuis 1891, la borne a d’abord résisté à plusieurs tentatives de lecture. Ainsi, en 1894, un estampage effectué par Cartaillac ne permit pas une lecture cohérente de la dédicace et du chiffre des distances : il subsistait seulement le chiffre X. En 1908, L. de Malafosse crut lire XXI. Pour ce qui est de l’indication de la distance, M. Labrousse a retenu la lecture XV, ce qui impliquait un déplacement depuis Baziège, située à 9 km. Cependant, il souligne la mauvaise conservation du monument, son recours à l’abbé Baccrabère et à G. Fouet pour l’aider dans cette lecture, et reproduit finalement XV en pointillés dans sa publication (Labrousse 1958, p. 72). Malgré des tentatives répétées, dans des conditions optimales d’éclairage, nous n’avons pu confirmer cette lecture XV, seul le X étant encore lisible. Il est possible que, depuis les années 1950, l’érosion du marbre ait progressé jusqu’à effacer le V reconnu, peut-être partiellement, par M. Labrousse. Ne peut-on se demander, cependant, si la première barre oblique du V ne pourrait être celle d’un X ? On pourrait restituer alors la lecture XX, et le milliaire aurait seulement été déplacé depuis les abords de la station d’Ad Vigesimum, située au pied de la colline à environ 1,5 km de distance. Cette hypothèse, qui est aussi celle de L. Decramer, aurait le mérite de la simplicité et de la logique géographique et s’accorderait bien avec les avatars des milliaires d’Ayguesvives, de Baziège et de Villenouvelle déplacés seulement sur de courtes distances (Labrousse 1968, p. 339).

Le segment Villefranche-de-Lauragais–Castelnaudary

22Ce segment (23 km) est beaucoup mieux connu, car il a fait l’objet de nombreuses prospections, et des fouilles ont fait connaître le site de l’agglomération d’Elusio. Le tracé de la voie est évident sur toute sa longueur. Il se démarque quelque peu du tracé la RD813 jusqu’à Avignonet. Utilisé jusqu’au xviiie s., il se lit parfaitement sur les photographies aériennes et les plans anciens. À partir de Montferrand, il se confond avec la RD6113. Aux trois stations mentionnées par les Itinéraires, Elusio, Fines et Sostomagus, s’ajoutent sept autres sites de bord de route.

Les Cannelles, à Avignonet-Lauragais

23Ce site a été signalé pour la première fois par G. Baccrabère (Baccrabère 1963, p. 15 ; 1983, p. 7-8), sans précisions sur son importance, sa nature et sa fonction. Il a fait l’objet de prospections au sol et de prospections aériennes dans les années 1980 (Passelac et al. 1987, p. 14). Celles-ci ont permis d’en préciser l’extension et de le situer en bordure même de la voie antique. Les clichés obliques et verticaux montrent bien, comme les documents cadastraux du xixe s., l’emplacement de l’axe routier situé entre deux talus sur un terrain en légère pente de part et d’autre du ruisseau de Favayrol (fig. 4). La route s’est maintenue sur cette assiette jusqu’au xviiie s. avant de se décaler un peu vers le sud à l’emplacement de la RD813.

Fig. 4 – Le site des Cannelles, à Avignonet-Lauragais

Fig. 4 – Le site des Cannelles, à Avignonet-Lauragais

Trace de l’assiette de la voie antique entre deux talus arasés.

Cliché : M. Passelac (CNRS).

24L’implantation du site permet de l’interpréter comme une station routière, inconnue des Itinéraires, en bordure de la voie d’Aquitaine. Nos prospections, réitérées jusqu’en 2013, permettent de délimiter une zone d’occupation longue de 230 m immédiatement en bordure de la voie, pour une profondeur de 70 m environ. Ainsi, la superficie occupée est estimée à 1,5 ha (fig. 5). Malgré la présence de nombreux matériaux de construction, moellons, tuiles, mortier, béton de tuileau, aucun bâtiment n’est apparu à l’occasion des prospections aériennes à l’exception d’un temple de plan gréco-romain. Sans doute, les labours ont disloqué les substructions des autres bâtiments, dont les matériaux apparaissent en surface, et seules les fondations de ce lieu de culte, certainement mieux construites et plus profondes, se révèlent dans les cultures.

Fig. 5 – Implantation du site des Cannelles

Fig. 5 – Implantation du site des Cannelles

DAO : M. Passelac (CNRS).

25Le temple présente un plan rectangulaire avec vestibule à deux colonnes in antis. Il est disposé parallèlement à la voie, à environ 20 m au nord de celle-ci, et son entrée est exposée à l’est. Il était sans doute séparé de la route par un espace non construit, bas-côté, place ou enclos sacré. Le redressement sommaire de la photographie aérienne permet d’approcher ses dimensions : 9 m à 10 m de longueur pour une largeur de 6 m à 7 m (fig. 6). En surface, aucun élément particulier d’architecture ou de décoration n’a été observé.

26La présence de restes d’une amphore africaine en bordure de la voie à la limite est du site pourrait correspondre à l’empla­cement d’une tombe à inhumation.

Fig. 6 – Le temple des Cannelles

Fig. 6 – Le temple des Cannelles

DAO : M. Passelac (CNRS).

27Pillé depuis de nombreuses années par les possesseurs de détecteurs de métaux, le site a livré, selon des informations recueillies, plusieurs centaines de monnaies et d’objets métalliques, notamment des fibules, une jambe en bronze terminée par une sandale ailée appartenant à une statue miniature de Mercure. Les monnaies prélevées sur le terrain vont du iie s. av. J.-C. à l’Antiquité tardive : monnaies à la croix des Tectosages, bronzes des Longostalètes, deniers et quinaires, as de la République romaine, monnaies du Haut-Empire, bronzes du Bas-Empire, solidus de Valentinien II (Loriot 2011-2012, pl. 35, no 33), jusqu’à une silique de Constantin III, émission d’Arles, 408-411 (Berdeaux-Le Brazidec, Hollard 2011, p. 46). Le site aurait livré en outre des phalères de harnachement. À l’occasion de la prospection de surface faite en 2013, nous avons recueilli un dupondius de Nîmes du type I, un antoninien de Claude II, et un nummus au revers des deux victoires. Parmi le mobilier métallique, on remarque avec un intérêt particulier la présence d’un fer de pilum à pointe de section carrée d’un type attesté à la période républicaine à Numance (Feugère 2002b, fig. 69).

28Le mobilier céramique montre la présence soutenue d’amphores, notamment des importations italiques Dr. 1A et Dr. 1B, des amphores de Tarraconaise Pascual 1. Pour la période impériale, la vaisselle fine du ier s. et du iie s. tient une large place. Elle provient des ateliers de Montans et de la Graufesenque. La verrerie est bien représentée.

29Des scories de fer attestent des activités de forge. De nombreux restes, coulures, rognures, lingots, témoignent du travail du plomb.

30Une deuxième composante du site se situe à 250 m au nord - nord-est. Le creusement d’un fossé a fait apparaître anciennement des niveaux d’occupation et a recoupé des murs antiques, sur une distance de 50 m environ, dans le sens est-ouest. La prospection de surface a reconnu des matériaux de construction sur une superficie minimale de 2 000 m2. On y a recueilli un tesson de céramique DSP grise, témoignage de l’activité de ce secteur, dont la fonction reste à préciser, au ve s. apr. J.-C.

31La datation du site implique, comme à Baziège et à Montferrand, l’existence du tracé de la voie sur ce point dès le iie s. av. J.-C. Sa superficie permet de l’identifier à une station, peut-être établie à l’origine par des militaires, ainsi que pourrait le faire penser une partie du mobilier. Plusieurs bâtiments pouvaient prendre place sur ce terrain en légère pente au-dessus de l’axe, ainsi que plus haut sur le coteau. La station offrait en outre aux voyageurs la possibilité de faire leurs dévotions dans un temple probablement dédié à Mercure. Le nombre important des monnaies et des fibules recueillies peut être mis en relation avec l’occupation et la fréquentation certainement très animée des lieux, mais aussi, probablement, avec l’accomplissement de pratiques cultuelles.

La Tuilerie, à Avignonet-Lauragais

32Le site de la Tuilerie occupe une superficie d’environ 2 500 m2, à 170 m au nord-est de la ferme de la Tuilerie. Il s’étend sur une légère pente, à 50 m au nord du tracé de l’ancienne voie d’Aquitaine, et domine la vallée du Marès, ainsi que le couloir du Lauragais. Ce site est à distinguer de celui qui a été nommé La Tuilerie par G. Baccrabère (Baccrabère 1983, p. 8 et n. 51), et correspond au lieu-dit Trésaurier.

33En surface, le site de la Tuilerie se remarque par la présence assez peu dense de moellons, de fragments de tegulae et de céramiques, parmi lesquelles un Dr. 29 de la Graufesenque. On y a recueilli une main en marbre (fig. 7). L’objet, assez mutilé par les travaux agricoles, mesure 195 mm de long pour 110 mm de large. Il appartenait à une statue grandeur nature, celle d’un togatus. Le matériau est un marbre à grain assez grossier, de couleur brun clair. La main n’est pas cassée au niveau du poignet, mais elle se termine en arrondi et devait s’insérer dans une statue sculptée dans un autre matériau : pierre locale ou bois. Sa face inférieure est brute de sculpture. Cet objet assez remarquable peut être attribué à une sculpture représentant un défunt. La localisation du site, en bordure de la voie d’Aquitaine, sur une position topographique dominante, se prête en effet parfaitement à la construction d’un mausolée, sans doute celui du propriétaire d’un domaine voisin.

34Cette découverte n’est pas très surprenante dans un environnement où plusieurs éléments de sculptures ont été anciennement mis au jour, près de Grandval, malheureusement sans localisation précise. Un couvercle d’urne funéraire en marbre portant une représentation de l’Amour endormi tenant un lézard est aujourd’hui conservé au musée Saint-Raymond de Toulouse (Massendari 2006, p. 111). Cet élément provient-il de la même nécropole rurale liée à un riche domaine ? Ce site de bord de route à vocation funéraire est situé à 450 m à peine de la station suivante : Trésaurier.

Fig. 7 – Main de togatus en marbre de la Tuilerie à Avignonet-Lauragais

Fig. 7 – Main de togatus en marbre de la Tuilerie à Avignonet-Lauragais

Cliché et DAO : M. Passelac (CNRS).

Trésaurier, à Avignonet-Lauragais

35Signalé par G. Baccrabère sous le nom de la Tuilerie (voir ci-dessus), il se situe immédiatement en bordure sud de la voie d’Aquitaine, dont le tracé longe ici le pied d’un talus massif. Les matériaux repérés en surface ainsi que des blocs de bordure marqués par une flèche (fig. 8) confirment la présence de l’axe antique. L’établissement est localisé à proximité du franchissement de la rivière du Marès et au carrefour d’un chemin empruntant sa vallée vers le nord. Le proche toponyme Pompeyris évoque la présence d’un pont de pierre, mais aucun vestige n’en atteste formellement l’existence dans l’Antiquité.

Fig. 8 – Le site de Trésaurier, à Avignonet-Lauragais, au carrefour de la voie d’Aquitaine et de la route du Marès

Fig. 8 – Le site de Trésaurier, à Avignonet-Lauragais, au carrefour de la voie d’Aquitaine et de la route du Marès

DAO : M. Passelac (CNRS).

36Des matériaux, moellons et tegulae, des céramiques et restes divers se retrouvent sur une aire d’environ 5 000 m2 formant un rectangle de 110 m × 45 m, allongé le long de la voie. La superficie effectivement bâtie ne peut être déterminée, aucune image aérienne du site n’ayant été obtenue. Il n’est donc pas possible de préciser si cette emprise correspond à un seul bâtiment allongé en bordure de la voie ou, plus vraisemblablement, à plusieurs constructions ayant une disposition perpendiculaire à celle-ci. Une deuxième occupation, plus petite celle-ci (environ 800 m2), correspond à un bâtiment établi en bordure du chemin de la vallée du Marès. Le site principal étant placé au pied d’une pente et la voie bordée par un haut talus, on peut se demander si d’autres bâtiments n’étaient pas localisés au nord de la route. Les forts atterrissements ayant constitué ce talus pourraient en oblitérer l’existence. Il conviendrait dans ce cas de porter à 2,5 ha au moins la superficie totale du site.

37En 2013, les prospections ont notablement augmenté le volume des restes contribuant à dater le fonctionnement de l’établissement. Ils appartiennent surtout au Haut-Empire : céramiques communes, céramiques sigillées de Montans et de la Graufesenque des ier s. et iie s. apr. J.-C., parois fines, amphores de Tarraconaise et de Bétique. Le site fournit encore de la verrerie, des objets en bronze (phalères, arc de fibule pseudo Tène II…), des lingots et déchets de plomb. Ce mobilier, qui comporte beaucoup de céramiques fines, évoque la fonction de restauration dévolue aux sites de bord de route. Les phalères signalent le passage de cavaliers et d’attelages. De même, les scories de fer attestent la présence d’une forge, équipement habituel dans ce genre d’établissement. On restera prudent sur la durée de l’occupation, sûrement attestée jusqu’au iiie s. Les labours ont pu, en effet, détruire depuis longtemps les niveaux supérieurs, et les prélèvements de monnaies par les prospecteurs clandestins nous privent de l’argument numismatique pour connaître d’éventuelles occupations plus récentes.

38On retiendra la situation remarquable de cette station, au débouché de la vallée du Marès, voie de pénétration vers le nord, et au franchissement du ruisseau du Marès. Le site voisin de la Tuilerie, établi en situation dominante, 450 m plus à l’ouest, avait très certainement une fonction funéraire. Ce secteur de la voie d’Aquitaine s’avère particulièrement riche. La statuette de Mercure signalée par A. Du Mège au xixe s. (Massendari 2006, p. 111) pourrait provenir de ce site. On doit y voir la forte relation qui unissait les domaines voisins à la grande voie de passage.

Montferrand : Elesiodunum-Elusio

39Ce site est mentionné dès l’époque républicaine comme un poste établi par M. Fonteius pour le prélèvement de la taxe sur le transport des amphores de vin sortant de la Narbonnaise. La restitution Elesiodunum à partir du manuscrit très altéré du Pro Fonteio est admise, car elle correspond à la nature et à la localisation du site (Labrousse 1968, p. 139-140 ; Bats 1986, p. 411-412 ; Passelac 2013, p. 76-77). Un oppidum ancien verrouille d’abord le passage près du seuil de Naurouze. Il occupe une position stratégique au départ d’une route vers les pays ruthènes. Dès le iie s. av. J.-C., l’occupation s’établit sur le piémont de la hauteur de part et d’autre de la voie de Narbonne à Toulouse. C’est là que, vers 70 av. J.-C., C. Annius encaisse les taxes pour le compte de M. Fonteius (Cicéron, Pro Fonteio, IX, 19). L’archéologie retrouve les traces de cette première agglomération de plaine. Elle s’étire sur environ 15 ha, avec une zone dense de 7 ha (Passelac 2005, p. 26-32).

40À l’époque impériale, l’agglomération routière occupe les mêmes lieux et se développe sur une vingtaine d’hectares. Elle n’est pas mentionnée, malgré son importance, par la Table de Peutinger. En revanche, elle figure dans l’Itinéraire de Bordeaux à Jérusalem comme la mansio Elusione, à 8 milles de la mutatio Ad Vigesimum et à la même distance de celle de Sostomagus. Ce nom ainsi que celui qui figure dans la correspondance de Paulin de Nole à Sulpice Sévère (Epistulae, 1, 11) permettent de retenir, pour l’époque impériale, le nom d’Elusio. Il correspond mieux à la topographie et à la fonction de la nouvelle agglomération (Passelac 2002, p. 151-152).

41Très partiellement fouillé, ce site est surtout connu par ses basiliques paléochrétiennes contiguës, près desquelles ont été mis au jour les vestiges d’un petit établissement thermal. En bordure de voie, les sondages de J. Audy ont permis de relever, au début des années 1960, le plan d’un bâtiment à deux nefs interprété alors comme une basilique judiciaire (Audy 1961, p. 108). Ce sont les prospections aériennes qui ont donné une image de la topographie de l’ensemble du site, en révélant l’existence d’un sanctuaire gallo-romain dominant la route. Elles ont aussi livré les plans de deux autres bâtiments de bord de voie. En même temps était précisément localisé le bâtiment à deux nefs dont on ne possédait que le plan (Passelac 2002, p. 157-159) (fig. 9). Les trois bâtiments de bord de voie ne sont évidemment pas les seuls de cette agglomération qui en comptait beaucoup d’autres au nord et au sud de l’axe. Ce sont certainement les trois mieux conservés et les plus proches de la surface que les survols de 1986 ont révélés. Nous les décrivons ici car, par leur plan et leurs dimensions, ils nous paraissent correspondre aux fonctions d’accueil des voyageurs, des équipages, et de stockage, auxquelles cette agglomération entièrement tournée vers la route devait satisfaire. Les travaux d’élargissement de la RN113 en 1995 ont permis d’effectuer des observations sur leurs parties antérieures, d’enregistrer précisément leur implantation et leur position dans la stratigraphie.

Fig. 9 – Deux bâtiments au nord-ouest de l’agglomération d’Elusio, à Montferrand

Fig. 9 – Deux bâtiments au nord-ouest de l’agglomération d’Elusio, à Montferrand

La voie antique est située sous la RD6113, en avant des constructions.

Cliché : M. Passelac (CNRS), J.‑P. Cazes.

42D’est en ouest, le premier bâtiment offre un plan compact, rectangulaire (fig. 10). Il possédait une façade donnant sur la voie dont il était très probablement séparé par un portique. Il présente un plan assez complexe, inscrit dans un bloc rectangulaire d’environ 30 m en bordure de voie sur quelque 25 m en profondeur. Une quinzaine d’espaces de tailles très diverses y apparaissent. La plupart d’entre eux sont étirés perpendiculairement à la voie. Certains peuvent correspondre à des cours ou à des entrepôts, comme celui qui mesure environ 12 m × 8 m. D’autres possèdent des sols bétonnés. Un égout maçonné courait contre la façade ouest. Le bâtiment est solidement construit en moellons de grès de moyen appareil. Le plan ne présente pas les caractéristiques habituelles des lieux d’accueil, organisés autour d’une cour. Mais la taille du bâtiment est supérieure à celle d’une maison ordinaire de vicus, et de grands espaces sont aménagés. Aussi peut-on se demander s’il ne pourrait pas s’agir d’une auberge offrant la possibilité d’y garer des attelages.

Fig. 10 – Essai de redressement de photographies obliques de trois bâtiments au nord-ouest de l’agglomération d’Elusio, à Montferrand

Fig. 10 – Essai de redressement de photographies obliques de trois bâtiments au nord-ouest de l’agglomération d’Elusio, à Montferrand

DAO : M. Passelac (CNRS).

43Le second bâtiment est celui qui avait été sondé par J. Audy. Son plan s’inscrit dans un rectangle de 25 m de long au moins, car la façade n’était pas conservée (fig. 11). Sa largeur est de 18 m selon nous (dimension extérieure au niveau des élévations). Les murs extérieurs reposent sur une fondation allant de 1,15 m à 1,30 m de largeur. Ils sont larges de 0,70 m selon J. Audy, bâtis en moellons de grès en assises de 0,15 m à 0,20 m de hauteur. À l’avant, trois pièces occupent la largeur : deux, larges de 4 m, sont disposées symétriquement de part et d’autre d’une pièce centrale plus grande, large de 7,10 m. Les deux pièces latérales possédaient un sol de terre battue. Dans la pièce centrale, nous avons observé un béton de chaux maigre sur un hérisson de petits moellons à 0,50 m sous le sol actuel. Aucun élément ne permet de confirmer la présence d’un dallage de marbre restitué par J. Audy. À l’arrière, l’espace est divisé en deux nefs d’égale largeur : 7 m pour 18,5 m de long. Deux chapiteaux toscans ont été trouvés par J. Audy. L’un d’eux présente une mortaise destinée à recevoir un élément de charpente probablement perpendiculaire à la poutre principale (Passelac 2002, fig. 16). L’emplacement initial de ces chapiteaux ne peut être déterminé car ils ont été déplacés. Ils pourraient appartenir à des piliers destinés à soutenir la charpente des deux nefs. Leur largeur de 7 m présente, en effet, une portée importante pouvant justifier l’utilisation de tels supports.

Fig. 11 – Stratigraphie relevée à l’avant du bâtiment ouest, en bordure de la voie

Fig. 11 – Stratigraphie relevée à l’avant du bâtiment ouest, en bordure de la voie

Relevé et DAO : M. Passelac (CNRS).

44J. Audy a observé les traces d’un « foyer de fondeur » qu’il considère postérieur à la période de fonctionnement initiale du bâtiment. Cette activité semble récurrente à cet emplacement, car nous avons observé pour notre part des traces d’activité de forge sous la pièce ouest et à l’extérieur du mur est, à des niveaux inférieurs au sol du bâtiment.

45Par la puissance de ses fondations et la largeur de ses murs, ce bâtiment s’éloigne nettement de la construction domestique. S’agit-il d’un équipement collectif, d’un lieu de stockage ou d’un atelier ? Sa situation en bordure de voie indique clairement une fonction liée à l’économie routière. L’organisation générale s’apparente au plan standardisé des granges gallo-romaines. Cependant, il ne s’inscrit pas dans une enveloppe carrée et, avec ses deux nefs allongées, il présente des capacités de stockage supérieures. L’agglomération routière de Dampierre-Fontenelle apporte des éléments de comparaison. À côté de bâtiments dotés d’une cour, plusieurs constructions à partie postérieure allongée divisée en deux ou trois nefs sont disposées perpendicu­lairement à la voie (Bénard 1994, p. 142 et fig. 49). À Ambrussum, un bâtiment tardif possède un plan allongé à division interne, mais il est disposé parallèlement à la voie (Fiches 2003a, p. 55 et fig. 3). Faute d’éléments plus précis sur la fonction de cette vaste construction, il est difficile de trancher entre diverses hypothèses : entrepôt, écurie ou étable, atelier pour la réparation des véhicules, car l’activité de forge s’est maintenue dans les lieux ou à proximité immédiate.

46Le troisième bâtiment vu en prospection aérienne est en retrait d’une dizaine de mètres par rapport à l’alignement des autres constructions. Il est séparé du second par un ambitus. Il se compose de quatre pièces alignées au sud, trois contiguës à l’est, et une quatrième à l’ouest, séparée des précédentes par un espace qui est sans doute une entrée charretière (fig. 10). Cette partie antérieure se développe sur une largeur d’environ 26 m. La partie la plus à l’est est assez peu lisible. Il peut s’agir des traces d’un état antérieur, ou d’une partie contemporaine ayant fait l’objet de récupérations de matériaux. Cependant, on distingue bien une pièce qui flanque à l’est le long et vaste espace occupant la partie postérieure du bâtiment. Ce dernier se développe vers le nord et mesure environ 26 m sur 14 m. Nous l’interprétons aujourd’hui comme une cour, car on ne distingue aucune trace de piliers. Il est possible que la partie antérieure du bâtiment ait comporté un étage, mais seule une fouille permettrait peut-être de mettre au jour les indices de son existence.

47Le mur ouest de la cour a été observé lors du creusement d’une tranchée pour l’installation d’un réseau d’irrigation : il était arasé à 0,30 m sous la surface de la parcelle et a été observé jusqu’à 1,20 m de profondeur. Contre ce mur s’appuyait, du côté extérieur, un épais dépôt de limon très riche en charbons de bois, en connexion avec un foyer aménagé. La dernière surface de celui-ci était faite de fragments de tegulae. Au-dessous, il présentait une superposition de deux niveaux de terre indurée par le feu séparés par une couche cendreuse. Une tegula posée de chant limitait cette structure à l’ouest. Le dépôt de limon constituant la vidange de ce foyer a livré un ensemble de mobilier à dater du ive s.

48En 1995, on a pu relever des structures et stratigraphies à l’avant du bâtiment. Les vestiges d’effondrement d’une toiture, peut-être celle d’un portique, avec traces d’incendie, surmontaient plusieurs couches de sols aménagés. L’un d’eux était installé sur un hérisson de petits moellons de molasse. À la base, un dé de pierre posé sur sa fondation constitue le témoignage d’un portique appartenant à un premier état (fig. 11).

49Le plan de ce bâtiment est très proche d’un modèle fréquemment rencontré dans les agglomérations et stations routières. À l’avant, un portique s’ouvre sur le bas-côté de la voie. Une série de pièces alignées précèdent une vaste cour où l’on pénètre par une entrée cochère. Cette organisation générale caractérise les bâtiments C et D du relais routier d’Ambrussum même si, dans le détail, la disposition des pièces diffère (Fiches 2007, p. 30). Certaines constructions de l’agglomération de Dampierre-et-Flée, en Côte-d’Or, sont très proches de ce bâtiment tant par leur organisation que par leurs dimensions (Bénard 1994, fig. 49, bâtiments 1 à 6). Les variantes portent sur le nombre de pièces, l’adjonction de pièces ou de bains sur les côtés, la division de la cour, sa couverture ou la présence d’entrepôts. On peut évoquer surtout le relais routier de Vanesia, sur la route de Toulouse à Bordeaux, dont la disposition générale est très proche. Dans ce dernier cas, le bâtiment de la mutatio est isolé en pleine campagne ; aussi devait-il disposer de tous les équipements nécessaires au confort de voyageurs, comme un secteur thermal (Colleoni 2012). On doit supposer qu’Elusio, comme l’agglomération de la Grande Mouille à Dampierre-et-Flée, qui est de taille à peu près comparable, comportait toute une série de constructions de ce type qui n’apparaissent ici que très partiellement en prospection aérienne à cause des conditions de révélation. Le rapprochement entre les deux sites se fonde également sur la disposition générale du bâti qui voit ces constructions alignées perpendiculairement à la voie et séparées par des ambiti. Dampierre-et-Flée, comme Elusio, comportait une série de bâtiments de chaque côté de la route, sur plus de 300 m de longueur. Aussi faut-il considérer ce site, non pas comme une station, mais comme une agglomération routière (Provost 2009, p. 218). Nous avons retenu la même dénomination pour Elusio, qui devait compter parmi ses équipements à la fois une station du cursus publicus, comme l’indique le terme de mansio de l’Itinéraire de Bordeaux à Jérusalem, et, à côté des maisons ordinaires, plusieurs établissements privés accueillant les voyageurs, les transporteurs et leurs véhicules. Près des basiliques, des petits thermes, sans doute publics, offraient leur confort aux voyageurs. Cependant, en l’absence de fouilles, il n’est pas possible d’avoir de certitude absolue sur la fonction de chacun des bâtiments dont le plan est connu en bordure de la voie.

50Le site de Cantarrane est situé à 500 m à l’ouest de l’agglomération et à 250 m en retrait de la voie. Nous l’avons interprété comme une villa (Passelac 2014). Son plan, révélé par la prospection aérienne, trouve en effet des parallèles dans de nombreux établissements ruraux organisés autour d’une grande cour. Le toponyme Magrignac (domaine de Macrinus) semble bien conforter cette interprétation, comme la disposition générale avec une partie résidentielle faisant face à l’entrée et une probable aile thermale à l’est (fig. 12). De plus, il ne se situe pas à l’entrée de l’agglomération d’Elusio, mais en est bien éloigné. Ce vaste établissement peut être néanmoins comparé à des constructions de superficie voisine (environ 1 ha) formant une sorte d’enceinte à l’intérieur de laquelle étaient accueillis en sécurité voyageurs et équipages : ainsi la mansio d’Alba Docilia ou celle d’Augst en Suisse (Chevallier 1997, fig. 187 et 188). Le site de Saint-Ariès, en Provence (commune de Ventavon, Hautes-Alpes) serait à réinterpréter dans ce sens selon P. Leveau. Celui de la Bégüe (Hautes-Alpes), dans la vallée du Buëch, pourrait également correspondre, non pas à une villa, mais à une station à cause de la proximité de la route et de la disproportion de la cour par rapport aux bâtiments (Leveau 2002b, p. 67-70). À Cantarrane, la difficulté à discerner des parties clairement dévolues à l’exploitation agricole peut orienter vers une telle interprétation, mais seuls les résultats d’une fouille permettraient de préciser avec certitude la fonction de cet établissement construit au début de la période impériale et certainement occupé jusqu’au Bas-Empire. Sans y voir nécessairement la mansio d’Elusio, on peut imaginer aisément, en raison de sa proximité avec la voie, que cette villa a pu assurer de façon occasionnelle ou régulière l’hébergement de voyageurs, en même temps que les auberges de l’agglomération.

Fig. 12 – Site de Cantarrane, à 500 m l’ouest d’Elusio, villa ou mansio ?

Fig. 12 – Site de Cantarrane, à 500 m l’ouest d’Elusio, villa ou mansio ?

Redressement de photographie aérienne oblique.

D’après Passelac 2014, fig. 6.

En Jalade, à Labastide-d’Anjou

51À Labastide-d’Anjou, la voie franchit le ruisseau du Fresquel dont le cours est ici assez encaissé. Le toponyme médiéval Saint-Jacques de Pont Labeg est situé près de ce franchissement. J.-P. Cazes le rapproche de Labège (Haute-Garonne) et invite à y voir la trace d’un pont de pierre (lapideus) au passage du cours d’eau (Cazes 1998, p. 216). Le site ecclésial est placé immédia­tement à l’est du ruisseau, dans une zone peu accessible à la prospection. Nos recherches ont cependant relevé en deux points des traces d’occupation de la période républicaine et du Haut-Empire (Ournac et al. 2009, p. 307) dont une en bordure même de la voie, au sud de celle-ci. Située à 250 m à l’est du Fresquel, elle paraît être en limite d’un site plus proche du ruisseau. La présence de céramiques du haut Moyen Âge et la proximité du site ecclésial permettent de supposer une occupation de longue durée. La localisation du site dans une zone en grande partie construite ne permet pas d’en préciser l’étendue à la période antique et en particulier de déterminer si l’occupation se retrouve des deux côtés de l’axe routier. Il reste que l’implantation de cet établissement en bordure de voie et près du franchissement du cours d’eau le désigne comme ayant, à la période romaine, une fonction en liaison étroite avec l’axe routier. Il est distant d’à peine 3,5 km d’Elusio et de 1,8 km d’un nouveau site de bord de voie localisé sur la commune de Mas-Saintes-Puelles.

En Calvet, à Mas-Saintes-Puelles

52L’établissement est principalement situé sur la bordure sud de la voie antique, perpétuée par la RD6113. À la suite d’un labour profond, des restes de matériaux de construction ont été repérés, en 1988, par J.-P. Cazes. Ils étaient dispersés sur une superficie d’environ 5 000 m2, étirée sur 100 m approximativement le long de la route et sur quelque 50 m en profondeur. À l’intérieur de cette zone, une prospection de surface nous a permis de relever des indices plus précis et de recueillir du mobilier. Une forte concentration de matériaux se remarquait sur une largeur de 40 m et une profondeur de 50 m. Les restes d’un sol aménagé formé de galets, graviers et tuileau dessinaient une pièce de 4 m × 10 m bordée par un fossé, à environ 5 m au sud du fossé de la route actuelle. Dans ce dernier était visible un niveau constitué de fragments de tegulae et d’imbrices, de moellons et de mortier, à 1,05 m sous la surface du champ. À l’arrière, à 40 m de la route, des matériaux, moellons et tuiles, formaient une aire carrée de 10 m × 10 m correspondant à un autre bâtiment. Au nord de la route, des vestiges plus rares ont été observés dans un terrain beaucoup moins lisible.

53Le mobilier recueilli, céramiques sigillées du sud de la Gaule, céramiques communes, fragments d’amphores, as de Néron au revers Victoria Avgusti, est essentiellement daté du Haut-Empire. Cependant, un petit bronze de la seconde moitié du ive s., qui semble une imitation au revers type fel temp reparatio, des céramiques communes et un tesson de sigillée claire D décoré permettent de constater la durée de l’occupation de ce site du ier s. apr. J.-C. jusqu’au ve s. Nous ne possédons pas d’indice précis pour déterminer la fonction de l’établissement, mais sa localisation montre qu’il est en rapport très étroit avec l’axe routier. Nous l’interprétons comme une petite station associée peut-être à un fanum. La structure carrée de 10 m de côté pourrait correspondre à un tel édifice, ce qui expliquerait l’insistance des chercheurs de mobilier métallique sur ce point.

As Pesquiès, à Ricaud  et  Rastel, à Mas-Saintes-Puelles

54Le site s’étend des deux côtés de la RD6113 qui perpétue ici le tracé de la voie antique et sépare les deux communes (fig. 13). Jusqu’à Castelnaudary, la voie romaine suit une ligne de crête marquant le sommet de l’interfluve Fresquel-Tréboul. La configuration de ce tracé permet d’avancer que la voie romaine emprunte bien ici l’assiette d’une route très ancienne.

Fig. 13 – Implantation des sites d’As Pesquiès, à Ricaud, et de Rastel, à Mas-Saintes-Puelles

Fig. 13 – Implantation des sites d’As Pesquiès, à Ricaud, et de Rastel, à Mas-Saintes-Puelles

DAO : M. Passelac (CNRS).

55Signalé pour la première fois en 2002 (Passelac 2002, p. 172 et fig. 1), le site a été à nouveau prospecté depuis lors. Moellons, tegulae, imbrices témoignent de la présence de structures bâties, mais la destruction par les labours est certainement ancienne et radicale, car nous n’y avons relevé qu’assez peu de mobilier. Les matériaux de construction sont disséminés sur une plus grande superficie au nord de la voie, environ 1,5 ha. À 200 m au nord de la route, soit à 100 m de l’établissement, sourd une source pérenne qui alimente aujourd’hui un fossé, et probablement, autrefois, des mares ou des viviers comme l’indique le nom du lieu (occitan pesquier, mare ; pesquiera, vivier). Au sud, l’occupation était plus restreinte, car les matériaux se retrouvent sur environ 5 000 m2.

56Le mobilier recueilli en surface indique surtout une oc­cupation du Haut-Empire : céramique sigillée du sud de la Gaule, de formes Drag. 29, Drag. 30, Drag. 36 et Drag. 37, fragments d’amphores de Tarraconaise et de Bétique. Cependant, des fragments de tegulae de faible épaisseur témoignent de la présence de bâtiments plus tardifs.

57Tout récemment, lors d’une prospection de vérification, nous avons reconnu une autre implantation en bordure nord de la route, face aux bâtiments des Pesquiès, soit à 400 m environ à l’est de la précédente. Le terrain étant mis en culture, nous n’avons pu en déterminer l’extension précise, mais les premiers éléments mobiliers recueillis marquent une occupation de longue durée : amphore de Tarraconaise, céramique sigillée Drag. 36, céramique commune à pâte claire, fragment de tegula de petit module.

Couffoulentis – Le Capitoul, à Castelnaudary : Fines

58Nous renvoyons, pour ce lieu signalé par la Table de Peutinger, à notre étude parue dans Les Agglomérations gallo-romaines en Languedoc-Roussillon (Passelac 2002, p. 171-175). Rappelons que les prospections au sol ont déterminé un site d’environ 5 ha, localisé des deux côtés de la RD6113 qui représente le tracé de la voie antique (fig. 14). Cette superficie nous a fait considérer le site comme une petite agglomération routière établie au ier s. av. J.-C., antérieurement à Auguste, et occupée surtout au Haut-Empire. Cette chronologie correspond assez bien à l’histoire de la frontière entre les cités de Toulouse et de Carcassonne, qui aurait disparu à l’époque de Dioclétien (Labrousse 1968, p. 323-325, Gayraud 1981, p. 514). Cependant, elle repose seulement sur des prospections et celles-ci n’ont livré aucun mobilier numismatique. La proximité du site avec l’emplacement théorique de cette frontière, à 19 milles à l’est de Bad(egia), soit à 34 milles de Toulouse, nous a fait proposer son identification avec Fines. Depuis, nous n’avons pas recueilli d’informations supplémentaires. Malgré les vaines recherches de R. Sablayrolles pour localiser la frontière par la quête de toponymes significatifs ou de traces cadastrales parlantes (Sablayrolles 2002, p. 314-322), on peut considérer que les abords des Pesquiès sur la commune de Ricaud conviennent bien à son emplacement. D’abord, ce lieu correspond à la distance inscrite sur la Table de Peutinger. Ensuite, à cet endroit, la voie occupe une crête en un point remarquable d’où la vue se porte aussi bien vers la Montagne Noire que vers les Pyrénées. C’est, à 207 m, une position haute idéale pour installer une borne délimitant des territoires. Pour appuyer cette localisation, nous soulignerons que la limite des communes de Castelnaudary et de Ricaud, de Castelnaudary et de Mas-Saintes-Puelles marque cet endroit et repose certainement sur des divisions territoriales plus anciennes. Enfin, plusieurs occupations encadrent cet emplacement (fig. 15) et se retrouvent bien, par conséquent, ad fines : la petite agglomération objet de cette notice, le site de As Pesquiès-Le Rastel et un nouvel établissement que nous venons de repérer tout récemment en bordure nord de voie, au sud du bâtiment des Pesquiès.

Fig. 14 – Site de la station de Fines, à Castelnaudary

Fig. 14 – Site de la station de Fines, à Castelnaudary

D’après Passelac 2002, fig. 2.

Fig. 15 – Abords de la limite entre les cités de Toulouse et de Carcassonne au Haut-Empire

Fig. 15 – Abords de la limite entre les cités de Toulouse et de Carcassonne au Haut-Empire

DAO : M. Passelac (CNRS).

Castelnaudary : Sostomagus

59La mutatio Sostomago, mentionnée par l’Itinéraire de Bordeaux à Jérusalem, n’a pas été précisément localisée. Elle porte encore, au Bas-Empire, le nom celtique de l’ancien oppidum établi sur la colline du Pech ; aussi peut-on supposer qu’elle n’en était pas très éloignée. L’hypothèse la plus partagée invite à la voir près du grand bassin du canal du Midi qui est bien situé à la distance de dix milles d’Eburomagus indiquée par l’Itinéraire. (Labrousse 1968, p. 341 et n. 137 ; Griffe 1974, p. 32). Quelques rares vestiges antiques ont été observés non loin de cette localisation, lors de fouilles effectuées dans le bâtiment du présidial (Cazes 1998, p. 150) et près du petit bassin (Passelac 2002, fig. 2, point 27). Cependant, l’imprécision de ces distances a été souvent relevée, et l’on constate par ailleurs que les stations du cursus publicus sont le plus souvent établies à l’intérieur d’agglomérations. On peut donc se demander aujourd’hui si ce relais mentionné au Bas-Empire, mais certainement créé plus anciennement, n’était pas situé dans la partie basse de l’agglomération gauloise qui semble s’être déplacée, comme Ambrussum, au plus près de la voie antique au Haut-Empire (Passelac 2002, p. 178-179) (fig. 16). Dans l’état actuel des recherches, le tracé de la voie à Castelnaudary même reste à préciser, dans une emprise d’une largeur relativement restreinte. Le relief de Castelnaudary apparaît comme un point de rupture dans le tracé de la voie. Dans la direction de Toulouse, on l’a vu, il s’agit d’un tracé suivant la crête de l’interfluve Fresquel-Tréboul. Celui-ci reprend, de Castelnaudary jusqu’à Montferrand et au-delà, le tracé d’une route protohistorique. Dans la direction de Bram, au contraire, il s’agit d’un tracé de plaine constitué de longs segments rectilignes, plus caractéristiques du travail des ingénieurs romains (Passelac 2010, p. 108-110). À partir de l’entrée est de Castelnaudary, la voie a dû suivre le relief pour passer au pied de l’ancien oppidum. Ainsi, la localisation précise et définitive du relais de Sostomagus reste soumise à la découverte de restes de la voie antique permettant d’établir précisément son tracé, et de vestiges dont la datation s’étende jusqu’au Bas-Empire.

Fig. 16 – L’agglomération protohistorique de Sostomagus, à Castelnaudary et son quartier bas

Fig. 16 – L’agglomération protohistorique de Sostomagus, à Castelnaudary et son quartier bas

Hypothèses de tracés de la voie d’Aquitaine.

DAO : M. Passelac (CNRS).

Le segment Sostomagus-Eburomagus

60Immédiatement à l’est de la ville de Castelnaudary, le tracé de la voie antique a bien été établi par photo-interprétation, prospection aérienne et prospection au sol (15 km). Ici, il correspond sur une courte distance au CD33 qu’il rejoint ensuite près du Mûrier, à la limite des communes de Mireval-Lauragais et de Saint-Martin-Lalande (en dernier lieu, Passelac 2010, p. 104-107 et fig. 1 à 9). Nous complèterons ici plus particulièrement les informations sur les sites de bord de route rapidement évoqués dans cette étude.

Saint-Bénazet, à Castelnaudary

61À l’est de Saint-Bénazet, deux occupations antiques séparées par une légère éminence sont localisées en bordure immédiate de la voie antique. Les vestiges se distribuent sur deux aires rectangulaires étirées le long de la voie et mesurant respectivement 1 200 m2 et 2 100 m2 (fig. 17). Chacun de ces points peut correspondre à plusieurs bâtiments, notamment celui qui est situé à l’ouest. Le site oriental livre du mobilier du ier s. av. J.-C. (céramique campanienne, amphore italique) et du Haut-Empire (céramique sigillée notamment et verrerie). Le second est occupé pendant toute la période romaine. Leur localisation dans une étroite bande de terrain délimitée par la voie et le ruisseau du Tréboul et leur alignement en bordure même de l’axe excluent toute fonction comme centre domanial et indiquent clairement leur vocation routière (Passelac 2010, p. 111 et fig. 10).

Fig. 17 – Le site de Saint-Bénazet, à Castelnaudary en bordure de la voie

Fig. 17 – Le site de Saint-Bénazet, à Castelnaudary en bordure de la voie

DAO : M. Passelac (CNRS).

Saint-Jean-La Rivière, à Pexiora

62À 1 km à l’ouest de Pexiora, la surveillance de l’élargissement du CD33 nous a permis de repérer et de fouiller avant destruction cinq sépultures à incinération disposées sur une vingtaine de mètres en bordure de la voie antique. Mobilier et offrandes les datent de la seconde moitié du ier s. apr. J.-C. (Ournac et al. 2009, p. 417-418). La prospection des abords a montré que ces tombes étaient très proches d’une occupation établie de part et d’autre de la voie antique. Les matériaux de construction et mobiliers s’étendent, au sud de l’axe, sur environ 4 000 m2 (fig. 18). Au nord de la route, des vestiges ont été observés lors de la création de la carrière du centre équestre de la Rivierette, sur environ 1 500 m2, mais elle devait être plus étendue vers l’est et vers l’ouest où elle est masquée par un chemin et une zone arborée. L’établissement est situé à une cinquantaine de mètres à l’ouest d’une hauteur, appelée Pech Donnat, qui recèle des vestiges médiévaux. Ce mamelon constituait un point remarquable sur l’itinéraire. Sur le terrain, on observe des matériaux de construction : tegulae et imbrices, moellons de grès et de calcaire blanc, marbre blanc. Le mobilier recueilli, céramiques communes et sigillée, fragments d’amphores et de mortier centro-italique, date l’occupation du début du ier s. jusqu’au Bas-Empire. Dans ce secteur, la voie antique était légèrement décalée vers le nord par rapport à la route actuelle ainsi que le montrent la position des tombes et la présence de matériaux de recharges dans le fossé nord du CD33. Cet établissement situé en bord de voie, de part et d’autre de l’axe antique, est à l’évidence dédié au service du trafic le parcourant.

Fig. 18 – Le site de la Rivière et Saint-Jean, à Pexiora et sa nécropole à crémation

Fig. 18 – Le site de la Rivière et Saint-Jean, à Pexiora et sa nécropole à crémation

DAO : M. Passelac (CNRS).

La Coumay–Midi de Mézeran, à Pexiora

63Nous avons repéré par prospection au sol, dans les années 1980, des vestiges d’occupation relativement importants (au total 1,8 ha), immédiatement à l’est du franchissement du ruisseau de Mézeran par la voie antique (Passelac 1983, p. 46). Le site est placé dans une cuvette très humide, souvent inondée, au pied d’un mamelon qui le domine d’une dizaine de mètres. Ces deux caractéristiques topographiques marquent son emplacement (fig. 19).

Fig. 19 – Le site de la Coumay et de Midi de Mézeran, à Pexiora

Fig. 19 – Le site de la Coumay et de Midi de Mézeran, à Pexiora

DAO : M. Passelac (CNRS).

64Sur cet établissement de bord de voie, au nord et au sud de l’axe, le mobilier atteste une occupation du ier s. av. J.-C. et du Haut-Empire : amphore italique, amphore de Tarraconaise, amphore gauloise, céramique sigillée du sud de la Gaule, céramiques communes des ier s. et iie s. Nous n’avons pas d’informations par les monnaies car le site a été pillé pendant des décennies. Aussi, nous ne savons pas si cette occupation se prolonge au Bas-Empire. Sur la hauteur, à 150 m au sud - sud-est, nous avons relevé la présence, issue d’une probable fosse, de fragments d’amphores Dr. 1A et Dr. 1B, et d’un vase balustre à bandes peintes sur engobe blanc. D’autres structures se lisent sur les photographies aériennes de ce mamelon.

65Ici encore, la disposition des vestiges de part et d’autre de la voie, au franchissement d’un cours d’eau, et la superficie concernée nous ont amené à identifier le site comme un établissement à vocation routière (Ournac et al. 2009, p. 417 ; Passelac 2010, p. 110).

Malataverne, à Bram

66Il s’agit d’un site de bord de voie très mal connu. Repéré lors de prospections anciennes (Passelac 1983, p. 57 et fig. 7) immédiatement en bordure de la voie, au nord de celle-ci, il est placé à 3,4 km à l’ouest d’Eburomagus. Il n’a pas été l’objet de nouvelles prospections. La présence de tuiles, moellons, mobilier céramique dont des tessons de sigillée sud-gauloise indique l’existence sur ce lieu d’un ou plusieurs bâtiments actifs au Haut-Empire. On notera le toponyme Malataverne, qui désigne aujourd’hui la ferme placée sur une légère hauteur à 500 m au nord. Si son ancienneté était vérifiée, il pourrait nous donner une indication précieuse sur la fonction de cet établissement. H.-C. Guille signale la découverte de plusieurs amphores à Malataverne et y voit une auberge à l’époque romaine (Guille 1837, p. 48)

Bram : Eburomagus

67Au terme de ce segment, si l’on vient de Toulouse, Bram constitue la dernière station. Eburomagus est mentionnée par la Table de Peutinger à quatorze milles de Carcassonne. L’Itinéraire de Bordeaux à Jérusalem la situe à dix milles de Sostomagus sous le nom de Vicus Hebromago et à six milles de la station de Ad Cedros en venant de Carcassonne. Le site a fait l’objet de nombreuses recherches de terrain depuis 1969. Une notice résume les principaux acquis (Passelac 2002, p. 183-200), complétée par une documentation plus détaillée (notice de M. Passelac in Ournac et al. 2009, p. 159-201). Depuis, de nouvelles découvertes sont intervenues.

68Eburomagus, dont la première occupation en tant qu’agglomération peut être située dans la première moitié du iie s. av. J.-C., se développe jusqu’au iie s. apr. J.-C. pour atteindre une superficie d’environ 50 ha. La forme de cet habitat groupé est caracté­risée par un étirement le long des deux axes qui s’y croisent, le principal étant la voie d’Aquitaine. La dédicace d’un théâtre antique nous apprend qu’elle était alors dotée d’une administration locale dirigée par trois magistri vici, et comportait un ensemble monumental consacré à Apollon et probablement au culte impérial (Gayraud 1970, p. 105-114 ; Passelac 1970 p. 89-90 ; Passelac 2002, p. 184-185). L’agglomération vivait surtout de l’artisanat et du commerce. À l’époque augustéenne, plusieurs ateliers de potiers y produisent des céramiques de toutes catégories à l’aspect italien qui étaient vendues de la Méditerranée à l’Atlantique. Les forgerons y sont nombreux, et l’on a mis en évidence des activités de boucherie et de mégisserie.

69La station officielle n’est pas nommée par les Itinéraires. Si elle a existé, elle devait se trouver à l’intérieur de l’agglo­mération, car, à ses abords immédiats, on ne connaît pas d’établissement du type mansio. Un mur de clôture a bien été identifié à l’entrée est du vicus, perpendiculaire à la voie, doté de contreforts. Il a été suivi sur 80 m. Mais on ignore la dimension, le contenu et la fonction de l’aire enclose. Il est certain qu’elle est postérieure aux ateliers de potiers d’époque augustéenne fouillés à cet emplacement, et probablement à une nécropole installée dans les mêmes lieux aux ier s. et iie s. apr. J.-C.

70Le site antique étant recouvert par l’agglomération actuelle, il n’a jamais été possible de pratiquer des fouilles étendues. Les explorations faites en 1985 avenue E. Léotard et de 1993 à 1997 rue Marceau ont concerné des quartiers artisanaux et commerciaux où les maisons ou échoppes sont de petite taille et de plan très simple, à deux espaces (Passelac 2002, p. 192 et fig. 7-9). Dans cette grande agglomération, outre le lieu d’hébergement du cursus publicus, non mentionné, de nombreux établissements privés devaient être destinés à l’accueil des voyageurs et à leur service. La présence de larges bas-côtés permettait le stationnement des véhicules. L’atelier de forge décelé en 1985 au bord de la voie était fortement tourné vers des activités en liaison avec celle-ci : fabrication de bandages de roues, d’hipposandales et de clous de chaussures. Les réparations de véhicules devaient également y être pratiquées (Passelac 1998).

71Seule une construction dont le plan est difficile à restituer, considérée comme une possible domus, pourrait avoir une organisation et une qualité architecturale pouvant la destiner à l’hébergement. Elle a été partiellement fouillée en 2000 par E. Llopis et G. Loison, de l’Inrap, lors de la réfection de l’avenue Charles-de-Gaulle (Llopis, Loison 2000, fig. 10). Située près du carrefour entre la voie d’Aquitaine et l’axe nord-sud, donc au centre de l’agglomération, elle présente une architecture soli­dement maçonnée, avec une pièce mosaïquée de deux pavements successifs, séparée, par un couloir, d’une grande pièce au sol en béton de tuileau. Une des hypothèses de restitution la verrait organisée autour d’une cour intérieure (Ournac et al. 2009, p. 190, et fig. 94). Quelle que soit la solution que l’on retienne, aucune indication précise ne permet l’identification assurée d’un établissement d’accueil à cet emplacement. Mais non loin de là, rue du Donjon, a été reconnu un pavement d’opus signinum avec emblêma mosaïqué, probable pavement d’un vaste caldarium de thermes dont on ignore le statut et dont les dimensions orientent vers le public (Passelac, Sanchez 2015).

Stations du cursus publicus et autres sites de bord de route

Confrontation Itinéraires-archéologie

72Sur les trois segments que nous venons de décrire, pour un total d’environ 48 km, les sources écrites mentionnent six stations. L’archéologie ajoute au moins dix sites de bord de route d’une importance significative. Ceux-ci étaient à l’évidence plus nombreux encore. Rappelons que le segment Baziège – Villefranche-de-Lauragais a été assez peu prospecté. De Villefranche à Avignonet, d’autres vestiges que ceux que nous avons décrits méritent une approche plus complète. Entre Sostomagus et Eburomagus, on a aussi mis en évidence, non loin de la voie, des vestiges dont la relation avec la route est moins évidente ou dont la petite superficie rend difficile toute interprétation. Ainsi, une occupation de la période républicaine immédiatement à l’est de Pexiora, au lieu-dit Christol, qui est tangente à la voie et se développe en profondeur ; des vestiges sur de toutes petites superficies – quelques dizaines de mètre carrés – peuvent correspondre à des installations ponctuelles comme des puits. Entre Bad(egia) et les Cannelles, l’espacement moyen entre les sites est de 6,5 km, assez proche de l’espacement généralement observé entre les stations (8 km à 10 km). Mais sur les deux segments les mieux connus, la distance moyenne entre sites est respectivement de 2,74 km et 3,14 km, soit environ deux milles, avec un minimum de 1,7 km et un maximum de 4,5 km. La prospection nous donne donc une image beaucoup plus complète des sites établis immédiatement en bordure de la grande voie et dont on peut soupçonner qu’ils ont un lien très fort avec les activités suscitées par cet axe.

73Cette fréquence des sites de bord de route est très supérieure à celle qui a été observée sur d’autres itinéraires, comme ceux qui ont été étudiés par M. Corbiau dans la Gaule septentrionale (Corbiau 2011). Ainsi, sur la voie de Reims à Cologne, l’espacement moyen des relais est de plus de 30 km. Sur la voie de Reims à Trèves, 16 km séparent les sites, et, sur celle de Metz à Tongres, la distance moyenne est d’un peu plus de 9 km. Bien sûr, ces chiffres sont très relatifs, car ces voies sont inégalement connues, et ces moyennes masquent des réalités bien diverses. On retrouve sur certaines de ces routes des établissements très rapprochés, comme sur la voie d’Aquitaine. Ainsi, sur la voie Reims-Bavay, l’espacement moyen entre deux sites est d’environ 9 km et une série de cinq sites sont séparés par des distances allant de 1,5 km à 5 km (Corbiau 2011, p. 101 et tabl. III). Le tableau de la via Augusta entre Semproniana et Tarragona égrène de nombreux établissements s’intercalant entre les stations, à des distances variant entre 1 km et 9 km (Estrada Garriga 1997, tabl. III). Cependant, il n’est pas précisé si ces sites sont placés immédiatement en bord de route. Dans la moyenne vallée de l’Hérault, sur le faisceau de voies reliant Cessero à Luteva, la situation est proche de celle qui a été observée sur la voie d’Aquitaine entre Elusio et Sostomagus. Entre Peyre-Plantade et Soumaltre, sur 8,5 km, trois sites s’intercalent au Haut-Empire, à des distances de 1,7 km, 0,6 km, 2,6 km et 2,9 km (Pomarèdes, Thernot 2003, fig. 1). Ces occupations témoignent de l’importance de l’attraction de la voie sur l’économie locale. Les fouilles extensives effectuées sur plusieurs de ces sites ont le mérite de mettre en lumière la pluralité des activités et des fonctions, ainsi que leur évolution dans le temps (Pomarèdes, Thernot 2003, p. 118-120).

Les types d’établissements et leurs fonctions

Les relais officiels

74Si l’on considère les stations mentionnées par les Itinéraires de Bad(egia) à Eburomagus, on retiendra que, sur six, cinq étaient situées dans des agglomérations : Bad(egia), Elusio, Fines, probablement Sostomagus, et Eburomagus. Deux de ces stations qui sont celles du cursus publicus sont mentionnées par leur seul nom : Bad(egia) et Fines. L’Itinéraire de Bordeaux à Jérusalem précise la fonction des autres : Ad Vigesimum était une mutatio, Elusio possédait une mansio, Sostomagus était une mutatio, Eburomagus un vicus (tabl. I). Si l’on prolonge jusqu’à Carcassonne, au-delà de Bram, Cedros était une mutatio et Carcaso, ancien oppidum devenu cité de droit latin, est qualifié de castellum par l’Itinéraire. Cette situation est proche de ce que l’on observe dans le sud de l’Hispanie où 70 % des relais sont dans les agglomérations (Sillières 1990, p. 21).

75Sur la voie d’Aquitaine, ces agglomérations sont le plus souvent anciennes (quatre sur six) pour les segments étudiés. Deux sont des sites de hauteur qui ont leur origine au premier âge du Fer (Sostomagus et Elesiodunum). Deux autres existent au moins au milieu du iie s. av. J.-C. Dans la moyenne vallée de l’Èbre, sur la voie de Italia in Hispanias et Ab Asturica Terracone, les mansiones localisées ont un espacement de 15 milles et se trouvent pour la plupart à l’emplacement d’agglomérations préromaines (Ariño et al. 1997, p. 258).

76Ici, la taille de ces agglomérations (de 5 ha à 50 ha) (tabl. II) et leur origine sont diverses : ancien oppidum possédant un quartier bas (Sostomagus, Elusio), agglomération de plaine ouverte (Eburomagus), petite agglomération routière récente développée près d’une frontière de cités (Fines). Une autre station, Ad Vigesimum, est une mutatio créée en rase campagne, proba­blement en même temps que le cursus publicus, pour régulariser l’espacement des étapes. Dans l’organisation des stations officielles, la mutatio serait un simple relais dont l’étymologie souligne la fonction dédiée au changement de chevaux des messagers ; la mansio un établissement public où pouvaient s’arrêter, pour passer la nuit, les autorités et agents de l’État. La réalité était évidemment plus complexe, car une mutatio pouvait offrir aussi un hébergement confortable, comme à Vanesia. À une mutatio pouvaient s’agréger des établissements privés et, d’autre part, les agglomérations où se trouvait un relais étaient capables d’offrir de nombreux services à l’ensemble des voyageurs, surtout celles qui étaient d’une certaine importance. La mansio peut prendre des formes diverses. S. Crogiez rappelle au début de son étude (Crogiez 1990a, p. 391) qu’on distingue trois types de mansiones :

  • un type « éclaté » comportant « plusieurs bâtiments séparés de fonction différente, regroupés sur un côté de la voie et entourés assez fréquemment d’une enceinte » ;
  • un type « village rue » où les bâtiments sont disposés des deux côtés de la voie. Dans ce cas, il est difficile d’identifier le relais au sein des constructions ;
  • un type « urbain » consiste en un bâtiment unique situé à l’entrée des villes et des camps. Il possède une cour intérieure, des thermes et borde immédiatement la voie. Ce type est le mieux attesté en Italie, et se trouve souvent près d’un habitat plus ancien.

Tabl. II – Taille des sites de bord de route, stations et agglomérations

Nom du site Sup. (ha) Type de site
La Tuilerie 0,25 bord de voie, funéraire
Saint-Bénazet 0,33 bord de voie
En Calvet 0,5 bord de voie, fanum ?
Trésaurier 0,6 bord de voie
La Rivière-Saint-Jean 1 bord de voie
Les Cannelles 1,5 bord de voie, fanum
Les Pesquiès-Rastel 2 bord de voie
La Coumay-Mézeran 2 bord de voie
Ad Vigesimum 2,8 mutatio
Fines 5 petite agglomération, station non précisée
Sostomagus 8 agglomération, mutatio
Bad(egia) 9 agglomération, station non précisée
Elusio 20 agglomération, mansio
Eburomagus 50 vicus

M. Passelac (CNRS).

77La mansio d’Elusio peut être classée dans l’un ou l’autre des deux derniers types à titre d’hypothèse en attendant que des fouilles apportent des éléments décisifs.

Les sites de bord de route

78Nombre de sites de bord de route autres que ceux qui figurent sur les Itinéraires sont de plus petite taille et la plupart du temps disposés des deux côtés de l’axe (tabl. III). Cette disposition montre, d’une part, qu’ils étaient installés dans des propriétés différentes, car la route devait constituer une limite foncière importante. D’autre part, leur position, immédiatement en bordure de la voie, indique une relation étroite avec l’axe, où nous sommes tentés de voir le signe d’une fonction de service. Cette disposition ne rappelle-t-elle pas celle de nos actuelles aires de service autoroutières s’adressant aux deux sens de circulation ? Sans doute, les fouilles de sites de bord de route sur la voie Cessero-Luteva ont montré un bel exemple de la pluralité des activités de certains de ces sites et leurs variations dans le temps. Soumaltre et la Quintarié associent productions agricoles, production céramique et accueil des voyageurs (Pomarèdes, Thernot 2003, p. 118). Dans l’ouest de la Gaule Belgique, de nombreuses opérations d’archéologie préventive ont également constaté une grande diversité d’établissements, certains possédant les caractéristiques de stations routières, d’autres clairement tournés vers des activités productives, agricoles ou artisanales. Aussi, P. Querel nous met-il en garde : « ne pas céder à la facilité d’attribuer systématiquement une fonction routière à tout site de bord de route » (Querel et al. 2008, p. 116).

Tabl. III – Les sites de Bad(egia) à Eburomagus. Tailles, espacements, disposition, particularités et datations

Nom du site Sup. (ha) Dist. (km) Dispo./voie Particularité Datation
Bad(egia) 9 2 côtés ruisseau, carrefour iie av.-ve apr. J.-C.
Ad Vigesimum 2,8 7 2 côtés milliaire HE-BE
Les Cannelles 1,5 6 1 côté deux pôles, fanum iie av.-ve apr. J.-C.
La Tuilerie 0,25 3 1 côté hauteur HE
Trésaurier 0,6 0,5 1 côté ruisseau, carrefour HE-BE
Elusio 20 3,8 2 côtés pied oppidum iie av.-ve apr. J.-C.
En Jalade NC 3,5 1 côté ? ruisseau ier av. J.-C.-HE
En Calvet 0,5 1,8 2 côtés fanum ? HE-BE
As Pesquiès-Rastel 2 2 2 côtés source, près limite HE-BE
Fines 5 1,7 2 côtés près limite HE
Sostomagus 8 2,9 NC pied oppidum iie av. J.-C.-BE
Saint-Bénazet 0,33 3 1 côté ruisseau HE-BE
La Rivière-Saint-Jean 1 4,5 2 côtés ruisseau HE-BE
La Coumay-Mézeran 2 2,7 2 côtés ruisseau iie av. J.-C.-HE
Malataverne NC 2 1 côté NC
Eburomagus 50 3,4 2 côtés ruisseau, carrefour iie av.-ve apr. J.-C.

M. Passelac (CNRS).

79Comme dans ces deux régions, la voie d’Aquitaine a dû évidemment susciter l’installation opportuniste d’établissements divers parmi lesquels les tabernae deversoriae connues notamment par un conseil de Varron : « si ager secundum viam et opportunus viatoribus locus, aedificandae tabernae deversoriae » (Économie rurale, I, 2, 13, cité par P. Sillières 1990, p. 802). L’économie agricole a ainsi profité du passage de nombreux voyageurs et transporteurs qui empruntaient cette artère vitale, et des facilités offertes par la voie pour l’écoulement des productions.

80Cependant, il n’est pas certain que les sites productifs étaient situés en bordure même de voie. Les villae connues se trouvent à distance de l’axe. Celui-ci devait délimiter sur un côté leur domaine. Les petits sites de bord de route n’ont pas livré à la prospection de signes évidents de telles activités. Dans la zone à l’est de Castelnaudary où la vinification se fait selon des pratiques méditerranéennes, nous n’observons pas sur ces sites de vestiges de chais à dolia. De même, l’activité céramique, bien présente aux abords du vicus de Bram, n’a laissé aucune trace sur les sites de bord de route prospectés. Si l’on ne peut exclure totalement une pluriactivité dans ces établissements, leur disposition par rapport à la route, la nature des mobiliers recueillis et la récurrence des déchets de forge nous invitent à y voir des sites principalement dédiés au service de la voie : cauponae, stabula, tabernae. Relevant de l’économie privée, ils complétaient les services offerts par les stations du cursus publicus. Car cette voie est d’une importance économique exceptionnelle. Reliant Narbonne à Bordeaux elle n’est pas, dans les segments décrits, doublée par une voie d’eau. Ainsi, tous les transports, y compris les pondéreux, devaient emprunter cette voie terrestre pour approvisionner Toulouse et l’Aquitaine en denrées méditerranéennes, Narbonne et, au-delà, l’Italie en productions locales (Sillières 2006, p. 59). Elle était donc parcourue par un trafic intense, le plus souvent très lent, qui devait nécessiter des haltes fréquentes pour l’abreuvement des attelages et des hommes !

81Il n’est donc pas surprenant que six de ces sites de bord de route soient établis au franchissement d’un ruisseau. S’agissant de cours d’eau de très petit débit, la raison de cette proximité n’est pas d’offrir un hébergement en cas de crue, mais plutôt de profiter de l’eau courante pour l’abreuvement des animaux. Un autre est proche d’une source, la plupart pouvaient posséder des puits.

Esquisse chronologique

82De Carcassonne à Toulouse, la voie relie, au centre du couloir Aude-Garonne, des sites implantés dès la Protohistoire (fig. 20). Ainsi Carcaso, Sostomagus et Elesiodunum-Elusio, habitats de hauteur implantés dès le premier âge du Fer. Il n’est pas douteux que dans son schéma général elle emprunte un tracé pré-romain. Cela apparaît clairement, comme nous l’avons précisé, entre Sostomagus et Elesiodunum où la route prend l’aspect d’un chemin de crête et s’adapte à la topographie en une série de lignes brisées et de courbes. Cette appropriation de routes anciennes est majoritaire en Gaule et dans bien des lieux de l’Empire, comme en Hispania Citerior dans la moyenne vallée de l’Èbre (Ariño et al. 1997, p. 257).

Fig. 20 – Carte des stations et sites de bord de voie entre Bad(egia) et Eburomagus

Fig. 20 – Carte des stations et sites de bord de voie entre Bad(egia) et Eburomagus

Fond de carte : H. Bohbot (CNRS) ; DAO : M. Passelac (CNRS).

83D’autres sites au nom celtique, Eburomagus, Bad(egia), sont actifs au iie s. av. J.-C., bien antérieurement à la fondation de Narbonne. Ils sont en outre établis sur des carrefours de routes. Les premiers relais de la voie d’Aquitaine semblent donc d’abord installés dans des sites indigènes anciens, ou de création plus récente. On peut aisément imaginer la présence dans ces lieux de détachements militaires destinés à contrôler les populations et cet axe vital au moment de la création de la Provincia. Cette présence est hautement probable à Elesiodunum-Elusio en raison de sa situation stratégique verrouillant le passage vers Toulouse. Elle y est attestée en outre vers la fin du ier s. av. J.-C. par la découverte de balles de frondes inscrites (Passelac 2005). D’autres indices attestent la présence militaire. Sur le tracé, près de Louisayne (Avignonet-Lauragais), nous avons recueilli un fragment de tegula ou de brique surcuite portant l’empreinte d’une chaussure à clous. Indique-t-elle l’origine des constructeurs de l’ouvrage ? Le site des Cannelles a livré par ailleurs de nombreuses monnaies romaines d’époque républicaine ainsi qu’un fer de pilum de la même période. Aussi peut-on se demander s’il ne s’agit pas à l’origine d’un site militaire, camp ou praesidium.

84La réfection de la voie par Auguste, terminée en 14 av. J.-C. ainsi qu’en témoigne le milliaire de Saint-Couat-d’Aude, doit s’accompagner de l’établissement de nouvelles stations du cursus publicus. C’est à cette période que la mutatio Ad Vigesimum a été créée entre Bad(egia) et Elusio.

85À la même période, et dans les années qui suivent, fleurissent de nombreux sites de bord de route, attirés par la dynamique économique engendrée par un axe routier aussi fréquenté (Sanchez dir. 2008). Ces établissements privés se maintiennent pour la moitié au moins jusqu’au Bas-Empire. On peut y voir le signe de leur utilité et de leur réussite (tabl. III). Pour ceux qui n’ont pas livré de témoins d’une occupation tardive, nous ne conclurons pas nécessairement à un abandon durant le Haut-Empire. Nous touchons ici aux limites de la prospection, qui nous privent des mobiliers céramiques des niveaux les plus tardifs, détruits depuis longtemps par l’agriculture, et des mobiliers métalliques, emportés par les adeptes de la détection.

86Passé le ve s., nous n’observons plus de signes de vie sur les sites de bord de route.

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87Certaines des stations signalées par les Itinéraires sont difficiles à connaître, car situées dans des agglomérations aujourd’hui occupées : Bad(egia), Sostomagus, Eburomagus. Celles qui sont situées en zone agricole ont livré des données par la prospection aérienne et la prospection au sol, qui permettent de les localiser, de déterminer leur superficie, leur disposition par rapport à la voie. Ainsi peut-on être assuré aujourd’hui de l’emplacement d’Ad Vigesimum. Les activités étaient évidemment multiples dans les agglomérations, Eburomagus en témoigne. Cependant, certaines d’entre elles, comme la forge, semblent parti­culièrement en rapport avec le trafic routier : travail de ferrage des animaux, construction et réparation de véhicules, fourniture et réparation de pièces de harnachement. Elusio a livré des plans de bâtiments que l’on voit volontiers en rapport étroit avec l’économie routière. Une possible auberge, un grand local à deux nefs dont la fonction reste à préciser, une maison à cour qui semble bien être destinée à l’accueil de voyageurs. Cependant, faute de fouilles, la prudence doit être de mise, comme dans l’identification du site voisin de Cantarrane.

88Les prospections ont aussi montré l’existence de nombreux sites de bord de route anonymes. Ceux-ci présentent une taille plus modeste et sont établis en rase campagne, le plus souvent près d’un bon approvisionnement en eau : ruisseau ou source. Fréquemment établis des deux côtés de la voie, ils offraient certainement des services et des produits qui s’adressaient aux deux sens de circulation. Nous n’y avons pas recueilli de témoignages d’activités agricoles ou artisanales particulières, à l’exception de déchets de forge. Le mobilier rencontré, souvent riche en vaisselle céramique et de verre, invite à y voir des auberges et stations (cauponae, tabernae deversoriae, stabula) proposant une halte pour les hommes et les animaux et des possibilités d’entretien des véhicules. Signes de l’attraction que la voie a inévitablement exercée sur l’économie locale, on pourrait y voir dans bien des cas des stations, privées celles-ci, au sens de nos stations-service actuelles.

89Les distances très rapprochées entre ces sites témoignent de l’intensité du trafic parcourant cette voie terrestre. Elle n’est doublée, entre Carcassonne et Toulouse, d’aucune voie d’eau. La voie d’Aquitaine de Toulouse à Bordeaux, les voies des vallées du Rhône et de la Saône, soulagées par le transport fluvial dont P. Sillières souligne l’importance (Sillières 2002, p. 328-332), la voie Domitienne et la via Augusta doublées par le transport maritime ne nécessitaient sans doute pas une infrastructure aussi dense.

90Celle-ci commence à se mettre en place très tôt, dès le milieu du iie s. av. J.-C., sous l’effet du commerce méditerranéen près de sites indigènes et de nouvelles agglomérations contrôlés par l’armée. À la même époque, les Cannelles serait une station militaire dont la vocation routière est confirmée ensuite par la construction d’un temple probablement dédié à Mercure. La même divinité est honorée dans le secteur de l’auberge de Trésaurier.

91Entre Eburomagus et Bad(egia), stations de l’État et stations privées offraient, tous les deux milles environ, les multiples services que pouvaient attendre messagers et officiels, voyageurs, et surtout marchands et transporteurs parcourant la voie vers l’Aquitaine.