Mésologiques
Article
Vingt mille lieux sous la terre…
Une esthétique mésologique nichée au cœur des réseaux racinaires
Marc-Williams Debono
Enfoui sous la terre, un monde foisonnant et interconnecté dont on ne soupçonnait guère l’existence, il y a peu de temps encore. Tout du moins savait-on depuis des millénaires que les réseaux racinaires étaient très étendus et constituaient la partie immergée de l’arborescence majestueuse du chêne ou du baobab… Tout du moins, nos anciens se référaient-ils aux Dieux, au chamanisme ou à l’animisme quant à cette relation intime et parfois spirituelle entre les êtres vivants et leur milieu… Tout du moins savait-on que vivait sous terre une biodiversité essentielle à la richesse des sols et au développement des écosystèmes et de l’agronomie, aujourd’hui menacée par l’Anthropocène… Une terre sur-urbanisée, devenue inquiète, aux abois, catastrophée et sous quasi contrôle industrieux, hormis quelques sursauts éthiques et écologiques permettant aux plus optimistes d’espérer un lent redressement de la planète, et aux autres de prévoir son effondrement.
La Pensée paysagère
traduit en portugais par Camila Gomez Sant'Anna
Conférence d'Augustin Berque sur ce thème (en français) a été enregistrée le 26 août lors du Landscape Brasil, 6th CIAP (Congresso Internacional de Arquitetura da Paisagem).
Parution
Yann NUSSAUME
Entretiens avec A. Berque, A. Picon et P. Madec
Résumé
En réponse aux transformations rapides de la planète et de ses territoires, depuis plusieurs décennies, le géographe Augustin Berque a conceptualisé un redéploiement de la mésologie, à partir de diverses notions : « médiance », « milieu », « mouvance », « trajection », « écoumène »... Familiariser le lecteur à leurs intérêts pour l’architecture est l’ambition de ce livre. Trois dialogues le structurent. Ils peuvent se lire indépendamment, au gré des préoccupations du lecteur. Le premier, entre Augustin Berque et Yann Nussaume, revient sur le développement de la mésologie et questionne l’évolution des milieux par rapport à l’accélération de la mondialisation et du déploiement d’un monde transmoderne ; le deuxième, entre Antoine Picon et Yann Nussaume, propose une analyse du développement de la théorie et de l’histoire de l’architecture au prisme de la notion de milieu ; enfin, le dernier, entre Philippe Madec et Yann Nussaume, questionne l’éthique architecturale sous l’éclairage de la mésologie. Il suggère l’importance d’une frugalité mésologique.
L'auteur
Yann Nussaume, architecte, est professeur à l’Ecole nationale supérieure d’architecture de Paris-La Villette. Il est co-directeur de l’Unité de recherche « Architecture, Milieu, Paysage » Hesam/MC. Il a écrit et co-dirigé la publication de nombreux ouvrages sur les questions architecturales, paysagères dont Tadao Andô et la question du milieu (Le Moniteur, 2000), La mésologie, un autre paradigme pour l’anthropocène (Hermann, 2018), Le Grand Pari(s) d’Alphand. Création et transmission d’un paysage urbain (La Villette, 2018).
L'ouvrage
Collection : Architectures contemporaines
338 pages - 108 x 178 mm
Prix : 19 €
Date de publication : 20.10.2021
ISBN : 979 1 0370 0860 2
Édition brochée.
Aida, ou l’entrelien / Augustin BERQUE
À paraître dans Morena CAMPANI, opuscule d’accompagnement du dvd Aida
Aida, ou l’entrelien
par Augustin BERQUE
Aida s’écrit 間, sinogramme qui nous montre le soleil (日) – autrefois, la lune (月) – dont la lumière passe entre les deux battants d’une porte entr’ouverte (門). Voilà qui serait simple et facilement mémorisable, si ce même sinogramme, qui est lu en chinois xián, jiān ou jiàn, n’avait pas en japonais, selon les cas, de fort nombreuses lectures possibles.
L’attachement à la rizière / Augustin Berque
Extrait de : Augustin BERQUE, Recouvrance. Retour à la terre et cosmicité en Asie orientale, Bastia, éditions Éoliennes, à paraître.
L’attachement à la rizière
Faute de Contrées Occidentales, je me retrouvai donc au début des années soixante-dix à entreprendre une thèse de géographie sur Hokkaidô, où j’avais eu l’heur de trouver un poste de lecteur à Hokudai (l’Université de Hokkaidô, à Sapporo). L’île étant réputée pour ses laitages, je me fis un devoir d’aller d’abord visiter une laiterie, et l’on me conseilla les établissements flambant neufs de la coopérative Yotsuba (« Trèfle à quatre feuilles »), à Otofuke dans le Tokachi, la plaine centrale : l’usine datait à peine de 1967, les machines étaient danoises, et l’on y fabriquait entre autres du kamanberu カマンベル (un camembert d’un goût léger, adapté aux palais japonais). Plus avant dans ma thèse, j’apprendrais que le toponyme Otofuke 音更, dont les sinogrammes ne veulent à peu près rien dire sinon un mystérieux « le son s’avance » (comme on dit « la nuit s’avance »), est en fait un rendu phonétique de l’aïnou otop-ke, lequel, pour sa part, voudrait dire « lieu (ke) chevelu (otop : cheveux) » – mais la thèse est contestée. Quant à Tokachi 十勝, c’est le nom du fleuve principal de ladite plaine. Ici, les sinogrammes signifient superbement « dix victoires », mais ils n’ont pas non plus le moindre rapport avec le sens du toponyme aïnou original, qui semble être « embouchure (puchi) aux bombements (tok) », le fleuve y coulant entre deux collines, voire entre deux seins.
Ainsi va le sens des lieux, en terre colonisée…
crédits image : Zefa
De l’insecte nippon / Augustin BERQUE
D i c t i o n n a i r e c u l t u r e l e t l i t t é r a i r e d e s i n s e c t e s, sous la direction de Bruno CORBARA, Yvan DANIEL et Alain MONTANDON aux éditions Honoré Champion, Paris
De l’insecte nippon
par Augustin BERQUE
Pour ces habitants de l’arc insulaire nippon, les Japonais, l’insecte existe sous le nom de mushi, rendu sémantiquement par le sinogramme 虫 ainsi que, phonétiquement, par les hiraganas むし et les katakanasムシ, sans compter les caractères latins de leurs divers noms scientifiques ; par exemple Graptopsaltria nigrofuscata, communément appelée « cigale-huile », aburazemi (アブラゼミ, transcrit油蟬 ou鳴蜩).
Crédits image : Graptopsaltria nigrofuscata sur un arbre, au Japon (Alpsdake, 2012).
Hasard, contingence et nécessité dans le cours de la nature / Augustin BERQUE
VIIIème symposium du Cercle de Philosophie de la nature 3-5 juin 2021, IPC – Facultés libres de Philosophie et de Psychologie, Paris
Hasard, contingence et nécessité dans le cours de la nature
à propos de la « science naturelle » d’Imanishi
par Augustin BERQUE
I. Les principes de cursivité et de trajection
Au point actuel, l’évolution reste une énigme. La biologie en a éclairé divers mécanismes, mais ceux-ci n’en montrent qu’avec plus d’évidence que son principe reste obscur. Nombre d’auteurs ont souligné que l’orthodoxie régnante, le néo-darwinisme, s’il contribue à expliquer la stabilisation des espèces, ne rend pas compte de leur évolution. En effet, compte tenu du nombre de combinaisons possibles entre les protéines (soit au moins 10 exposant 130), si ne jouait en la matière que le hasard de la mutation suivi nécessairement de la sélection, il y faudrait mathématiquement plus que l’âge du système solaire, comme le notait déjà François Jacob, et même bien plus, immensément plus que l’âge de l’Univers. Cette hypothèse, seule, est donc purement et simplement absurde. Il y a encore autre chose en jeu, mais nous ne savons pas quoi.
Crédits image : Paul Gauguin (1848-1903), Rue à Tahiti, 1891.
Kyoto Smart City Expo - 27 November 2020
Sustainability, Mesology and Overcoming the gap between Eastern and Western ways of thinking
(持続性、風土学と東西思惟の越境)
Message from Augustin BERQUE
I. « Mesology » (Umweltlehre in Uexküll’s sense, fûdogaku in Watsuji’s sense) contains the Greek root meso, which means « middle, between ». The question here is : what is at work between the physical (Galileo’s Earth, which moves) and the phenomenal (Husserl’s Earth, which does not move) ? Both are true, but not on the same plane : Galileo’s Earth is true as a physical reality, Husserl’s Earth is true as a phenomenon (since phenomenally, it is not the Earth, but the sun, the moon and the stars which move around).
II. Onto/logically (logically and ontologically), substance and accidents in metaphysics correspond to subject (S) and predicate (P) in logic, while the logician’s subject (S : what the matter is about) corresponds to the physicist’s object (S : what the observation is about). In principle, then, physical reality is S. Galileo’s Earth is S.
Crédits image : Felix Valloton, Pont sur le Béal, 1922.
Paru dans Terre sauvage n° 387, Avril 2021, numéro spécial Japon, vénérable nature, p. 16-18
Les Japonais et la nature
Entretien avec Augustin Berque Terre sauvage : Les Japonais ont-ils une conception de la nature différente de celle des Européens et des Nord-Américains ? Augustin Berque : « Nature » se dit en japonais shizen, du chinois zìrán 自然, adverbe d’origine taoïste, signifiant « de soi-même ainsi ». À la fin du XIXe siècle, au Japon, le sens de notre substantif « nature » (i.e. le monde objectif, abstraction faite du sujet humain et de l’action humaine) s’est greffé là-dessus , mais la connotation initiale reste prégnante, et cela contribue à expliquer l’ambiguïté des comportements japonais à l’égard de l’environnement. Le premier sinogramme de 自然 est en effet un « soi » où le soi du sujet concerné et celui de la nature peuvent se confondre dans un « cela va de soi » général. Le social et le naturel y sont intimement liés, comme le révèle par ailleurs le terme fûdo 風土, qui signifie milieu, et dans lequel la nature et la culture sont liées par l’histoire. TS : La vision occidentale du monde qui oppose nature et culture existe-t-elle au Japon ?
Aux trois jardins du Tôkaian / A. Berque
Extrait de Augustin Berque, Recouvrance. Retour à la terre et cosmicité en Asie orientale, Bastia, éditions Éoliennes, sous presse.
Aux trois jardins du Tôkaian
(妙心寺東海庵の三庭 Myôshinji Tôkaian no san tei)
Parmi les trois jardins de l’Ermitage des mers orientales (Tôkaian 東海庵), au monastère de l’Esprit transcendant (Myôshinji 妙心寺), à Kyôto, celui que, pour des raisons de format, l’on trouvera ici en troisième position, se trouve en réalité entre les deux autres : on ne peut pas aller du jardin de l’Inconditionné (Mu no niwa 無の庭) au jardin du Conditionné (Tai no niwa 體の庭), ou l’inverse, sans passer obligatoirement par le jardin de la Trajection (Yû no niwa 用の庭). Cette disposition a été voulue lors de leur aménagement.
Crédits image : Jardin du Ryōgen-in (龍源院), Kyoto
Rodrigo Cáceres
This article aims to articulate and develop an immediate consequence of the mesological perspective (Uexküll’s Umweltlehre, Watsuji’s fûdogaku, Berque’s mésologie) concerning the concept of partiality and its correlates of inclusion and exclusion.
Introduction
The mesological perspective is a paradigm or epistemological perspective that attempts to go beyond the dualisms that characterize western modernity in order to recosmize our place within mediance, i.e. the structural moment of our human existence. In other words, its purpose is to reintegrate the unity of the dynamic coupling and concrescence (growing together) of the individual with its surroundings. This mesological horizon appears as a deep criticism of the notion of an ‘objective universe’ of objects ‘in themselves’ which has taken hold of the western imaginary since the scientific revolution. The same development towards abstraction has also taken place from the side of the subject, mainly through Descartes’ res cogitans, the thinking substance which is independent from its milieu. Against these developments towards the abstraction of both subject and object, alienating them from each other, mesology’s aim is to reconcretize or synthesize the unitary character of mediance, where both subject and object are connected and in constant mutual configuration.
crédits image : Andre Derain (1880-1954) "Vue de Donnemarie-en-Montois"
PARUTION / Augustin Berque
Si le mot « mésologie » date de 1848 et désigne l’« étude des milieux », selon son inventeur Charles Robin, il a depuis acquis une autre dimension méthodologique grâce à Augustin Berque, qui, dépassant le dualisme sujet/objet, n’en fait pas une discipline, mais une perspective qui traverse aussi bien les sciences humaines que les sciences de la nature. Sa connaissance des philosophies grecque, allemande, chinoise, japonaise, lui permet d’enrichir considérablement notre connaissance des interactions entre les éléments constitutifs d’un même ensemble, ce que l’écologie vise, pour saisir en quoi des situations semblables ne sont pas identiques. En cela, ses développements autour des notions de « médiance », « trajection », « écoumène », « milieu » constituent une avancée théorique qui trouve dans les articles ici rassemblés la manifestation de leur pertinence. L’auteur nous invite à le suivre dans des réflexions sur le privé, le public, le commun à l’ère de l’Anthropocène dans un urbain généralisé. Sur ce point, l’analyse comparatiste qu’il mène entre Orient et Occident, s’avère lumineuse tant sur le plan des concepts que sur celui du décryptage de situations existentielles qui voient chacun, chacune, tenter d’inscrire son destin dans un lieu qui l’accueille sans aucunement le juger. Là, le lecteur comprend en quoi l’écoumène est bel et bien la possibilité d’habiter la Terre.
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