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Épigraphie grecque et géographie historique du monde hellénique

  • ️Rousset, Denis
  • ️Wed Oct 01 2008

1Les conférences ont été précédées d’une introduction sur les notions de synœcisme et de sympolitie et sur les emplois respectifs de ces deux termes dans les sources anciennes et chez les commentateurs modernes, emplois qui sont loin d’être cohérents. On a d’abord rappelé les synœcismes les plus anciens, dont les témoignages avaient été rassemblés par M. Moggi. Le synœcisme, qui est la constitution d’une nouvelle cité à partir de villages et de communautés dont les noms disparaissent et qui sont toutes sur un pied d’égalité, est l’un des modèles principaux de naissance des cités archaïques et classiques selon les historiens grecs : on peut le définir comme une fusion de villages ou de communautés. On a examiné les différents sens de synoikismos dans les textes, la notion de dioikismos, et la question du déplacement effectif de l’habitat lors d’un synœcisme : on s’est ainsi arrêté sur le cas de Téos et Lébédos en Ionie. On a ensuite étudié les différents emplois de sympoliteia, d’une part comme confédération ethnique reposant sur un double droit de cité, fédéral et local, d’autre part au sens des Modernes, c’est-à-dire de la « synoikistische Sympolitie » d’E. Szanto dans Das griechische Bürgerrecht (1892). Par opposition avec le synœcisme qui est la fusion, caractéristique de la naissance d’une cité, sur un pied d’égalité d’un assez grand nombre de communautés perdant en principe chacune son identité propre, on appellera sympolitie, d’après les conventions parvenues dans les inscriptions, l’union, plus ou moins profonde et durable, de cités, en général en nombre très restreint, auparavant indépendantes, dont l’une a la prépondérance sur une ou plusieurs autres qui se laissent bon gré mal gré englober. Il en résulte que souvent persistent et s’imposent le nom, l’ethnique et tout ou partie des institutions de la principale cité contractante. L’égalité théorique de droit masque à peine une inégalité de fait entre les différentes cités. L’âge d’or de ces sympolities est le ive s. et l’époque hellénistique, et l’on a rappelé le rôle qu’ont joué en faveur des unions entre cités les souverains hellénistiques, en développant le cas d’Alexandrie de Troade et des cités voisines, de façon à montrer l’importance de la documentation numismatique pour le sujet.

2Cette double définition de synœcisme et de sympolitie a été mise à l’épreuve par l’étude des conventions d’époque hellénistique, à commencer par celles de Grèce péninsulaire. On a ainsi examiné la convention entre Stiris et Médéon, Syll.3 647, en commentant la date en rapport avec l’histoire de la confédération phocidienne après 146 av. J.-C., le rapport entre les deux communautés contractantes, les clauses territoriales et leurs implications pour la localisation de Médéon, l’apport des fouilles archéologiques sur l’abandon de la ville peut-être en relation avec son absorption par Stiris. On a d’autre part passé en revue les autres cas de disparition de cités en Phocide par union avec une de leurs voisines, pour montrer la diversité des sources et la méthode pour les exploiter : Lilaia et Érochos, Tronis et Daulis, Plygonion-Phlygonion entre Ambryssos et Delphes.

3On est passé en Locride occidentale pour étudier la convention entre Myania et Hypnia, FD III 4, 352. L’analyse du texte tel qu’il a été déchiffré et publié montre les incertitudes dans la teneur des clauses militaires et économiques. Si la datation vers 191-188 ne fait pas de doute, la nature même de la convention doit être réexaminée à la lumière des remarques de H. H. Schmitt, dans Symposion 1993. Vorträge zur griechischen und hellenistischen Rechtsgeschichte (1994), p. 35-44. Plutôt que d’une convention par laquelle Myania absorbe Hypnia, il s’agit sans doute d’une convention créant sur le modèle de la sympolitie fédérale étolienne une confédération entre les deux communautés, qui continuent à être l’une et l’autre des cités. On a abordé ensuite la Thessalie en examinant d’une part le texte publié par B. Helly, « Accord de sympolitie entre Gomphoi et Thamiai (Ithômé) », Dialectologica Graeca (Madrid, 1993), p. 167-200. Mutilé et d’établissement délicat, ce document n’en constitue pas moins assurément une convention de sympolitie par laquelle Thamiai fut englobée par sa voisine occidentale Gomphoi, avant de l’être plus tard par Métropolis. C’est un nouvel exemple d’une communauté qui était trop faible pour maintenir son indépendance dans les vicissitudes de la région entre Étoliens et Macédoniens, et qui tomba successivement dans l’orbite de chacune de ses deux voisines. On a d’autre part étudié l’arbitrage entre les deux communautés d’Achaïe Phtiotide Mélitaia et Péréa Syll.3 546B, datant probablement de ca 213/2 av. J.-C., qui montre les Étoliens prévenant une scission entre ces deux communautés unies dans une sympolitie que dominait Mélitaia : l’arbitrage perénnise l’union en instituant néanmoins une « séparation de biens » entre les deux communautés, et il protège les droits territoriaux et institutionnels de Péréia. À ce document on a joint le double arbitrage que Cassandreia avait rendu entre plusieurs cités et communautés d’Achaïe Phtiotide autour de Melitaia vers 260-250 (FD III 4, 351), de façon à reconstituer le développement de cette cité au détriment de ses voisines au cours du iiie s. et à définir son emprise territoriale dans la région.

4On a clos le tour de la Grèce péninsulaire par la région où ont été découvertes les deux plus anciennes conventions de sympolitie, l’Arcadie. Après avoir caractérisé les spécificités de la géographie humaine et politique de la région, on a brièvement commenté la convention entre Euaimon et Orchomène (IG V 2, 343) et l’on a étudié en détail la convention entre Hélisson et Mantinée, BCH, 111 (1987), p. 167-190, à la lumière des études dialectologiques et surtout historiques parues depuis l’édition princeps. On a comparé les clauses de ce texte avec celles de la convention Stiris-Médéon, souligné l’apport de la clause sur l’accueil des théores dans une kômè par rapport à la doctrine établie sur l’accueil des théories et le statut des cités, et montré l’intérêt du document pour la question de la cité aujourd’hui appelée « dépendante ». On a tenté de trancher entre les différentes datations proposées pour ce texte en le replaçant dans l’histoire territoriale de l’Arcadie au ive s. et les synœcismes successifs de Mantinée et de Mégalopolis : la datation habituellement reçue, au début du ive s., peut sans doute être abaissée d’un demi-siècle.

5On a ensuite abordé la Grèce insulaire, en y soulignant la relative rareté des documents attestant des sympolities, à l’exception de la Crète. Après avoir présenté l’œuvre des archéologues et des épigraphistes italiens dans les Sporades, on a étudié le décret de Calymna relatif à l’« homopolitie » avec Cos, publié par M. Segre dans les Tituli Calymnii (1952), no XII (Staatsverträge 545). On a rappelé les arguments qui conduisent à dater le texte de 205-200 av. J.-C., examiné le serment replacé dans la série des serments prêtés par les communautés politiques à l’époque hellénistique, et enfin étudié la position des Calymniens par rapport aux Coens : étaient-ils déjà citoyens de Cos au moment même de la reconstitution de l’homopolitie ?

6Passant en Asie mineure, on a dressé un panorama de la documentation disponible sur les sympolities, qui conduit de la Troade à la Lycie, et de l’époque classique à l’époque impériale. On a souligné les interventions des rois dès la fin de l’époque classique en Troade et en Ionie (Téos-Lébédos, Éphèse), l’intérêt de la documentation numismatique qui présente deux ethniques associés l’un à l’autre (e. g. Plarasa et Aphrodisias), souligné la spécificité des sympolities lyciennes connues par l’épigraphie d’époque impériale, et mis en évidence l’intérêt du cas des deux Colophon d’une part, des nombreuses sympolities attestées pour la Carie d’autre part. On a étudié l’inscription relative à l’union entre Latmos et Pidasa, W. Blümel, Epigr. Anat. 29 (1997), 135-142, dans la zone frontière entre la Carie et l’Ionie, après avoir rappelé ce que l’on sait de l’histoire de ces deux cités avant la fin du ive s. av. J.-C. On a commenté l’importance dans le texte de l’homonoia, la création de la tribu Asandris, les rapports financiers entre les deux communautés, le culte de la Tauropole. Pour caractériser ce texte par rapport aux autres conventions d’unions entre cités, on a souligné la réalité du déménagement des Pidaséens à Latmos et la construction de maisons sur la terre publique de Latmos, l’union des corps civiques prévue par les mariages, l’absence d’affichage de l’inscription à Pidasa, la fusion complète des deux communautés par disparition de celle de Pidasa. C’est donc non une simple sympolitie, qualification proposée par A. Bencivenni, mais un véritable synœcisme, comme l’a défini M. Wörrle, que prévoyait le décret de Latmos, à l’instigation d’Asandros de Carie. On a situé le texte dans la documentation déjà disponible sur la carrière de ce dynaste entre 323 et 313, et on s’est interrogé sur la durée de l’union entre les deux communautés, qui a dû être assez courte.

7Le traité de sympolitie entre Milet et Pidasa, Milet I 3. Das Delphinion (1914), no 149, a permis de continuer l’histoire territoriale de la région du Grion et du Latmos. On a commenté le texte, le plus détaillé et le mieux conservé parmi les conventions de sympolitie, en examinant sa datation, en 187 ou 186 av. J.-C., en relation avec l’histoire d’Héraclée du Latmos, les institutions et le calendrier politiques de Milet, la défense de Pidasa (sens de l’expression « kata chôran » l. 17), les mesures permettant l’intégration fiscale progressive des Pidaséens. Si les Pidaséens ont sans doute en partie émigré à Milet déjà au moment de la conclusion de la convention, il n’est pas prévu qu’ils y émigrent tous ; il est certain que le territoire rural de Pidasa, de fait assez éloigné de la ville de Milet, continuera à être exploité par les Pidaséens. Les clauses fiscales permettent de restituer leur économie, dans un cadre géographique qu’éclairent la localisation de la ville et les témoignages des voyageurs anciens. Les Pidaséens reçoivent certes la citoyenneté milésienne, mais ne paraissent pas devoir être répartis dans les subdivisions civiques de Milet. Défendus par les Milésiens en cas de conflit avec une tierce cité, ils perdent d’un point de vue international la personnalité juridique d’une cité indépendante ; mais ils semblent devoir conserver un statut institutionnel propre dans la cité de Milet, comme aussi leurs cultes poliades et leurs domaines sacrés et publics ; on ne mentionne pourtant pas de magistrats qui leur soient propres. On a donc souligné les différences entre le synœcisme entre Latmos et Pidasa, avorté, et la sympolitie entre Milet et Pidasa, qui à terme se solda de fait par la disparition de cette dernière.