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Daniel Rausis explique le Valais aux autres cantons

  • ️Sun Sep 16 2012

Publié16. septembre 2012, 10:47

InterviewDaniel Rausis explique le Valais aux autres cantons

Le Valais se sent incompris. Et il est vrai qu'on ne comprend pas toujours le Valais ailleurs en Suisse. Pourquoi? Enfant de Martigny, l'homme de radio et humoriste livre ses explications: une sorte de «Valais pour les nuls».

Daniel Rausis: «Je crois qu'il y a toujours, au fond du Valaisan, la nostalgie d'une unité qui lui a été donnée de l'extérieur et par un ennemi.»

Daniel Rausis: «Je crois qu'il y a toujours, au fond du Valaisan, la nostalgie d'une unité qui lui a été donnée de l'extérieur et par un ennemi.»

Laurent de Senarclens

Après les résidences secondaires, l'affaire Varone: on dirait les Valaisans convaincus que le reste de la Suisse leur en veut. Qu'est-ce qui se passe dans ce canton?

Quand on lit les journaux, on peut en effet se dire: «Tiens, le Valais semble nerveux, névrosé, paranoïaque…» Mais de quoi parle-t-on? De ce que le Valais vit vraiment? Ou du regard que portent sur lui les médias romands? Quand la presse évoque le Valais, c'est toujours à partir de catégories préexistantes qu'il faut d'abord éclairer. Supposons qu'un Valaisan de 40 ans écrase un Genevois de 80 ans: quel titre va choisir celui qui travaille à la rubrique des Genevois écrasés? «Un quadragénaire écrase un Genevois»? Non, il préférera titrer: «Un Valaisan écrase un octogénaire». Parce que le Valaisan est d'emblée perceptible, comme l'octogénaire. Alors qu'un quadragénaire ou un Genevois, c'est plus difficile à cerner… Le Valaisan que cherchent les médias est donc celui qu'ils connaissent déjà.

Les Valaisans sont-ils si loin de leur image médiatique?

Le Valaisan ne se reconnaît pas trop dans cette image, mais il lui arrive d'y adhérer. Il se déguise ainsi en Valaisan tel que vous l'aimez hors du Valais: un type un peu fruste, roublard, têtu, margoulin… S'il le fait, c'est parce que ces clichés correspondent à des valeurs qui ne sont pas perçues comme immorales par la société; elles collent même assez bien à ce qu'on peut attendre aujourd'hui d'un jeune loup dans une entreprise. Avec des gens comme le président du FC Sion, Christian Constantin, les médias disposent de personnages de commedia dell'arte qui jouent, sans être dupes, le rôle qu'on a envie de leur faire jouer. Le Valaisan est une aubaine pour les journalistes qui ont toujours besoin de scénariser l'actualité et de trouver des «tronches».

Ce personnage n'est pourtant pas tombé du ciel. Il a bien quelques liens avec le Valaisan réel?

Oui, il existe un caractère valaisan et il faut se demander comment il s'est construit historiquement. Je vous rappelle d'abord que le Valais est un pays unique au monde. Si je dis «pays», c'est qu'il a connu une vie indépendante pendant plus de mille ans entre des frontières politiques qui correspondent exactement à ses frontières géographiques, la plupart infranchissables. Le Valais a été longtemps ce pays qu'un concierge pouvait fermer chaque soir d'un seul coup de clé, sur le pont de Saint-Maurice. C'est ce qui rend ce peuple intéressant: on peut l'observer comme un animal de laboratoire dans sa cage, par ailleurs magnifique.

Que s'est-il passé dans cette cage?

Le Valais s'est construit à partir de la commune, donc de la famille, et dans l'ignorance du voisin: c'est pourquoi on y a toujours plus de beaux-frères que d'amis. Aujourd'hui encore, quand je suis sur la rive gauche du Rhône et que je demande le nom des villages d'en face, il arrive que les gens n'en sachent rien. Le Valais a ainsi longtemps vécu d'une culture de subsistance en pratiquant l'endogamie comme moyen de maintenir les biens dans le village. Il s'est construit comme ça, comme une confédération de dizains. Et sans jamais connaître un pouvoir fort, donc décapitable: quand ça va mal, il n'y a pas un type au centre qu'on peut flinguer. La seule fois où un mec a voulu être comte du Valais, il n'a pas eu le temps de dire ouf: on l'a défenestré et on a rasé son château. C'est finalement Napoléon qui a réalisé l'unité du Valais en le transformant en département français et en y installant un préfet qui n'était pas le premier con venu: c'était Rambuteau, qui sera ensuite préfet de Paris, où il installera les chiottes publiques.

Cette histoire continue de peser sur le Valais d'aujourd'hui?

Je crois qu'il y a toujours, au fond du Valaisan, la nostalgie d'une unité qui lui a été donnée de l'extérieur et par un ennemi. Ce qu'on observe aujourd'hui, c'est donc moins un processus de victimisation des Valaisans que leur vieux besoin de désigner un diable qui les unit. Sinon, la guerre civile reprend à la moindre peccadille.

Quels sont ces diables?

Le premier diable que le Valais a désigné, au XIXe siècle, c'est le Rhône. Il fallait le chasser du pays et on l'a endigué pour qu'il en sorte plus vite. Le Valaisan ignore le Rhône comme la mer: il n'y a pas une ville d'où il peut le voir. Après cela, vous allez trouver toutes les variantes possibles du diable extérieur jusqu'à Franz Weber: ceux qui veulent réintroduire le loup, les intellos, «une certaine presse», le peuple suisse… Aujourd'hui, si le Valais a tant besoin de faire comme si la guerre était déclarée avec les autres, c'est parce que son système politique est en train de s'écrouler. Depuis l'époque du Sonderbund, c'est la première fois que les PDC conservateurs vont perdre la majorité au Grand Conseil. Le Valais est dramatiquement proche du moment de basculer dans un nouveau monde. Tous ces diables n'empêchent pas les Valaisans de se déchirer comme l'ont montré les huées contre Pascal Couchepin lors de l'investiture de Christian Varone. Les Valaisans l'ont hué parce qu'il les a déçus. Et parce qu'ils n'ont pas besoin de leaders mais de champions. Quand le PDC de tendance chrétienne sociale Vital Darbellay était élu dans l'Entremont, fief du conservatisme valaisan, c'est parce qu'il était leur champion, mais ils ne suivaient pas une seule de ses consignes de vote. Et quand Pascal Couchepin a été élu triomphalement à Martigny, la ville votait le contraire de ce qu'il aurait voulu qu'elle vote. Le Valaisan aime les champions. Il en a besoin pour combattre le doute qui l'habite toujours de ne pas être au top.

Mais tout cela n'empêche pas d'aimer le Valais…

Il faut l'aimer pour ses frais vallons. Mais aussi parce que les Valaisans sont inépuisables. Aimer, ce n'est pas comprendre. L'amour est au contraire un insondable mystère. Et les Valaisans représentent à cet égard un puits sans fond. C'est comme avec les filles qui nous échappent, on les aime d'autant plus. Le Valaisan, vous pouvez être sûr qu'il vous échappera toujours. Aimez-le, vous ne serez pas déçu!

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