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Les complotistes infiltrés cachaient bien des complots

  • ️Wed Sep 30 2020

Publié30. septembre 2020, 11:06

AnalyseLes complotistes infiltrés cachaient bien des complots

Les reportages de «Heidi.news» nés de l’infiltration d’un journaliste dans les milieux romands qui ont lancé le référendum contre l’application Swiss Covid suscitent la polémique.

Chloé Frammery, professeur de mathématique à Genève, s’est sentie trahie par le journaliste de «Heidi.news». On la voit ici le 21 juillet à Berne, lors du lancement du référendum contre l’application Swiss Covid.

Chloé Frammery, professeur de mathématique à Genève, s’est sentie trahie par le journaliste de «Heidi.news». On la voit ici le 21 juillet à Berne, lors du lancement du référendum contre l’application Swiss Covid.

KEYSTONE/Anthony Anex

Le site d’information «Heidi.news» a mandaté un jeune journaliste, Sami Zaïbi, pour infiltrer les milieux réputés «complotistes» à Genève et Lausanne, notamment autour du juriste et politicien François de Siebenthal. Celui-ci a lancé le référendum contre l’application Swiss Covid, qui devrait aboutir le 8 octobre prochain. Après avoir vu les deux premiers reportages sur cette «complosphère» romande, on s’en doutait bien: des thèses complotistes circulent bel et bien dans ces milieux…

Des méthodes déloyales?

Cette infiltration des milieux anti-swisscovid a suscité des réactions outrées de sympathisants de la cause. La leader genevoise du mouvement, Chloé Frammery, dénonce la rédaction du site pour avoir «usé de méthodes déloyales pour obtenir des informations». Dans une vidéo diffusée sur YouTube, elle dit avoir contacté le journaliste infiltré «pour lui demander s’il arrivait à dormir la nuit après nous avoir trahis de la sorte et il m’a répondu: oui, et j’ai eu un peu de mal à vous trahir avec toute la gentillesse que vous m’avez tous témoignée pendant ces trois mois.» Ayant relevé «dix-sept erreurs» dans les reportages, elle se réserve le droit de déposer une plainte pour calomnie et diffamation.

À la manière d’une religion, le complotisme produit du mystère»

Bertrand Kiefer, directeur de la Revue médicale suisse

Beaucoup d’autres intervenants sur les réseaux sociaux saluent au contraire la démarche de «Heidi.news» de répercuter par exemple le discours édifiant de François de Siebenthal. Celui-ci développe les ressorts d’un complot mondial autour de la pandémie, de la 5G, de l’OMS, de sociétés secrètes et d’une mystérieuse femme d’affaires. Assurément, lui est un complotiste hors catégorie! Toutefois, dans ces milieux, on doit constater une gradation dans l’argumentation. On peut être réceptif au premier postulat, qu’il faut penser par soi-même ou garder un esprit critique envers le discours dominant. On peut aussi s’interroger sur le fait que la pandémie profite à certains secteurs économiques comme les pharmas. Mais où cela se gâte, c’est quand on aborde les grandes articulations du complot mondial. Finalement c’est toujours Donald Trump contre Bill Gates, et derrière tout cela, une caste de pédocriminels nantis qui cherche à soumettre le monde à Satan.

Le directeur de la Revue médicale suisse, Bertrand Keifer, a résumé dans un article récent cette dimension: «Le complotisme ne se contente pas de fabriquer des vérités. À la manière d’une religion, il produit du mystère. (…) Il prétend connaître l’existence cachée de mises en scène au service d’intérêts invisibles.» Cette dynamique du complot est aussi décrite dans un article de Sebastian Deguez sur le site Conspiracywatch.info. Il se demande pourquoi les complotistes manquent à ce point d’imagination: «Le complotisme offre une ouverture extraordinairement vaste sur la manière d’interpréter n’importe quel événement, mais d’un autre côté, il est appliqué dans les faits de façon étonnamment étroite et prévisible».