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Les confessions d'un mercenaire russe

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  • ️Tue Dec 08 2020

 Le mercenaire russe n'aura fait qu'une brève apparition publique. Engagé dans les rangs de la compagnie privée Wagner, Marat Gabidoulline, 54 ans, a cru pouvoir témoigner dans un livre. Il a dû déchanter. La parution de l'ouvrage intitulé On se baigne deux fois dans la même rivière a été annulée. Probablement sur décision du Kremlin. Avant de disparaître des radars, le combattant, se voyant entamer la promotion de son livre, a néanmoins eu le temps de répondre aux questions du site russophone Meduza, basé en Lettonie. La première interview d'un mercenaire russe, publiée sous son vrai nom. Marat raconte son intégration, ses batailles, ses doutes et sa colère.

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Il brise aussi un tabou. Et évoque le rôle d'Evgueni Prigozhin, 59 ans, le propriétaire de Wagner, surnommé le « chef cuisinier de Vladimir Poutine » pour avoir jadis assuré les repas officiels du président russe. Un homme d'affaires également à la tête d'une compagnie de trolls et sanctionné par Washington après ses ingérences dans la campagne présidentielle américaine de 2016.

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Marat Gabidoulline confirme ainsi l'influence de Prigozhin aux commandes de la milice. Un fait toujours démenti par les autorités russes en dépit de la présence croissante de Wagner hors des frontières : en Ukraine, en Syrie, en Libye, en Centrafrique, au Soudan, au Mozambique, à Madagascar. Prigozhin aurait même encouragé Marat à poursuivre l'écriture de son ouvrage.

Image salie

Sans doute ne s'attendait-il pas à ce que son employé expose ses états d'âme. « Tout le monde connaît notre existence et on cache la vérité à notre propre opinion. Est-ce normal ? » interroge le mercenaire. La carrière de Marat, un ancien militaire, démarre chez Wagner en 2015. Il est envoyé en Syrie pour participer à la reconquête des puits de pétrole tenus par l'État islamique. D'emblée on informe les nouveaux venus des dangers de leur mission. « Ça peut très mal finir pour vous. » L'enjeu se révèle crucial pour Prigozhin, qui y voit une future source de revenus. Marat prend part à la bataille de Palmyre et devient rapidement le chef d'une unité de reconnaissance. Il est grièvement blessé en mars 2016. Certes, il remercie Prigozhin d'avoir pris en charge ses soins. Mais son amertume est réelle. Il enrage surtout contre un homme : Dmitri Outkine, un ancien des renseignements militaires (GRU), le patron opérationnel de la compagnie de mercenaires à laquelle il a d'ailleurs donné son surnom, « Wagner ». Il l'accuse d'avoir sali l'image du groupe. Comment ? En couvrant les agissements de quatre membres filmés en 2017, en train de torturer à mort un déserteur syrien puis de le décapiter et d'y mettre le feu. « C'est lui qui leur a demandé de faire ça pour intimider les autres soldats syriens. Il a aussi ordonné de réaliser la vidéo, explique Marat. Tout le monde pense maintenant que les gens de Wagner sont des démons sanguinaires, poursuit-il. Il faut traduire en justice ces quatre sadiques. » Selon Marat, Prigokhin aurait lui-même reconnu des « excès sur le terrain ».

Manque d'armement

Autre déconvenue du mercenaire, la baisse du niveau de professionnalisme de Wagner. Aujourd'hui la moitié des recrues n'ont jamais connu le feu. Et leur formation est insuffisante. Quant aux combattants expérimentés, ils n'ont plus qu'une idée en tête : survivre. « Ils ne pensent plus à la victoire », affirme Marat. « Outkine avait une troupe de gladiateurs, il dirige maintenant une armée d'esclaves. » La conséquence se traduirait par un nombre croissant de victimes. En cause également, le manque d'armement, lié aux négligences du commandement qui rechigne à réclamer de l'argent. Marat se souvient d'un épisode. En 2019, on lui demande d'envoyer des combattants syriens en Libye. Il obéit. Peu de temps après, il reçoit un appel de l'un de ses collègues, basé là-bas. « Est-ce qu'on peut s'en servir comme kamikazes ? » questionne-t-il. Marat tombe des nues. « Comment une personne normale peut-elle demander une chose pareille ? »

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Le mercenaire évoque la conquête de Palmyre, qu'il attribue davantage aux hommes de Wagner qu'à l'armée russe régulière. Une armée qui les pilonne en 2016 par erreur depuis les airs. « Beaucoup des nôtres sont morts ce jour-là », dit-il.

Il pointe aussi un ressentiment chez les généraux russes, agacés par leurs exploits. Marat y voit l'une des raisons pour lesquelles ils auraient commencé à recevoir des armes de moins bonne qualité.

À Découvrir Le Kangourou du jour Répondre En 2019, il rejoint la base aérienne russe de Hmeimim, près de Lattaquié. Il doit prendre en charge les corps des tués appartenant à Wagner. « Il était impossible de les préparer dignement et personne ne les a décorés à titre posthume », regrette-t-il.

Outre son livre, Marat imaginait la sortie d'un film basé sur son histoire. Il disait ne pas craindre les conséquences de ses révélations. « Ce serait stupide de faire physiquement pression sur moi. » Il en a été décidé autrement. Officiellement, Marat a appelé son éditeur pour l'informer qu'il renonçait à la publication de son ouvrage.