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L’école d’art d’Avignon en plein tourment

  • ️Tue Jul 17 2012

Depuis la fin du mois de mai, un mouvement de contestation sévit dans l’Ecole supérieure d’art d’Avignon. Outre une sélection en Master arbitraire et des problèmes de locaux, les étudiants dénoncent de nombreux dysfonctionnements. Au cœur de leurs récriminations, Jean-Marc Ferrari, le directeur d’école, est également accusé de harcèlement par quatre étudiants.

Ils n’auront pas rencontré le président. Les étudiants de l’Ecole supérieure d’art d’Avignon (ESAA), en lutte depuis plus de deux mois, comptaient pourtant sur la visite de François Hollande et d’Aurélie Filippetti, ministre de la Culture, pour attirer l’attention du gouvernement sur leur situation. Problèmes de locaux, personnalité de son directeur – responsable selon certains des nombreux dysfonctionnements de l’école, le dossier est complexe.

L’histoire commence fin mai, lorsque quinze étudiants se voient refuser leur passage en quatrième année à la suite d’une commission qu’ils jugent « illégitime« , comme ils l’expliquent sur leur blog :

« Elle était composée pour l’essentiel de professeurs et d’administrateurs qui ne connaissent en aucune manière notre travail artistique : ce sont aux professeurs de choisir, à ceux qui connaissent les étudiants, leurs travaux. Ce sont eux qui nous suivent depuis trois ans et qui savent de quoi nous sommes capables. Nous avons été jugés en dix minutes, sans avoir la possibilité de montrer notre travail, par des gens qui avaient l’air de s’en moquer. »

Directeur de l’école depuis 1994, Jean-Marc Ferrari  (que nous n’avons pas réussi à contacter) est au cœur des revendications des étudiants, qui demandent son renvoi pur et simple. Il a imaginé un projet d’établissement cohérent avec ses propres recherches, qui tournent autour de l’absence d’objet artistique, mais que les professeurs et les étudiants ne comprennent pas toujours. « On est dans l’école d’une personne : M. Ferrari. Si on ne colle pas, on s’en va…« , résume une élève.

Ecole nomade

Autre motif de colère des étudiants : le prochain déménagement de l’école. Yvon Lambert a accepté de faire donation de sa collection d’art contemporain (estimée à plus de 90 millions d’euros) à l’Etat français à condition qu’elle soit installée dans les locaux actuels de l’école d’art. La Collection Lambert, hébergée dans l’Hôtel de Caumont, devrait donc se déployer dans les locaux mitoyens de l’Hôtel de Montfaucon avant l’été 2015.

« La direction fait le jeu de la mairie d’Avignon, qui a pour priorité de satisfaire les conditions exigées par M. Lambert, dénonce Marc Maire, professeur à l’ESAA. Nous n’avons pas été concertés, et n’avons pas connaissance de ces conditions. »

A partir de la rentrée 2013, l’école sera donc sans domicile fixe pendant un an, probablement relogée dans des bungalows, en attendant de rejoindre la FabricA, un lieu de répétition et d’accueil des compagnies géré par le festival In. La mairie a indiqué « réfléchir à la meilleure solution pour l’école pour cette année de latence« . Une situation que regrette Chantal Lamouroux, élue (PS) d’opposition qui siège au conseil d’administration de l’ESAA : « Je n’ai rien contre les donations Lambert. Mais la mairie d’Avignon n’a pas d’argent pour construire une nouvelle école. Et j’en veux beaucoup au maire d’avoir agi dans l’urgence : cette école méritait un projet ambitieux. »

Pour pallier le problème, Jean-Marc Ferrari a imaginé un concept d’école nomade, très décrié par le corps enseignant et les étudiants. « On s’attendait à un directeur qui se batte pour la survie et la sécurité de l’école« , regrette Marc Maire.

Quatre plaintes pour harcèlement

De nombreux professeurs, étudiants et personnels administratifs décrivent Jean-Marc Ferrari comme quelqu’un d’ »autoritaire » et de « colérique« . Plusieurs professeurs racontent que, face aux protestations des étudiants, Jean-Marc Ferrari s’est défaussé sur la secrétaire pédagogique, l’accusant d’avoir mal organisé la commission de sélection. Cette dernière, sous le choc, a bénéficié d’un arrêt maladie de deux semaines. Avant elle, une certaine Christine avait travaillé sur le même poste, avant de partir en dépression. « Ferrari disait qu’elle était inefficace, en prenant les autres à parti, raconte un enseignant. Elle a subi une pression importante, jusqu’à ce qu’elle perde ses moyens. »

Selon plusieurs sources, de nombreuses plaintes du personnel administratif auraient été étouffées par la mairie. « Du coup, le personnel hésite à se plaindre« , conclut l’enseignant. Officiellement, la mairie n’aurait jamais eu vent de ces doléances.

Mi-juin, quatre étudiants ont décidé de porter plainte pour harcèlement contre Jean-Marc Ferrari. Hélène, 26 ans et en première année d’étude à l’ESAA, raconte ce qu’elle a observé du comportement du directeur. « Au début, on ne le voyait pas comme ça. C’est en compilant les témoignages qu’on se rend compte… Ce sont des petites choses, des actions répétées. Une main posée sur une épaule, un massage de la nuque, une allusion sexuelle, une remarque : « Ah, ces jambes, je les reconnaîtrais entre mille », « Tu devrais te déshabiller, il fait chaud… » C’est un rapport de séduction qui n’a jamais de fin. » Elle-même porte plainte pour harcèlement moral, affirmant avoir reçu des menaces de la part du directeur.

Un dépôt de plainte qui s’est avéré délicat, comme le raconte Laurent, du syndicat Sud Etudiant, qui accompagnait les plaignants ce jour-là.

« Pour la première plaignante, ça s’est très bien passé. Pour la deuxième, les policiers sont devenus très agressifs. Ils ont refusé que j’accompagne mon amie. Ils l’ont traité de menteuse, ils se sont mis à cinq ou six pour l’insulter. De temps en temps, elle m’envoyait un texto : « Ils me hurlent dessus ». On a fini par mettre la pression sur le commissaire, qui a dit à ses subordonnés : « Prenez la plainte, de toute façon ce sont des mythomanes. » Elle est sortie complètement retournée : elle était en larmes, elle a vomi. »

Contacté par les Inrocks, le commissariat d’Avignon n’a pas souhaité commenter les faits.

« Il ne dirige pas l’école, il règne »

« Avant même que n’éclate cette situation, il n’y avait aucun dialogue, aucune concertation avec le corps enseignant« , raconte Marc Maire, qui enseigne depuis 17 ans à l’ESAA. Seule une minorité de professeurs est titularisée, et la plupart des intervenants ne savent qu’au dernier moment si leur contrat sera renouvelé. Difficile dans ces conditions d’instaurer une solidarité entre enseignants, et d’oser s’élever contre la hiérarchie. Un troisième conclut:  « C’est un type sympa, plutôt rigolo, généreux. Mais quand on ne va pas dans son sens, ça dérape. Il ne dirige pas l’école, il règne. »

Véronique Monier, intervenante à l’ESAA depuis quatre ans, tempère la colère de ses collègues. « Pour ma part, je n’ai pas eu à souffrir du directeur. Il faudrait pouvoir profiter de l’orientation philosophique qu’il a donnée à l’école… peut-être qu’il vaudrait mieux qu’il se mette en retrait de l’aspect administratif ? » s’interroge-t-elle. L’enseignante insiste surtout sur la qualité des cursus proposés par l’école – l’une des seules qui forme à la restauration en France, « l’élite des gens qui vont travailler sur le patrimoine national« .

Solution radicale

Didier Herbet, directeur administratif de l’école depuis quelques mois, s’efforce d’apaiser le conflit : « J’ai demandé que les étudiants listent les points de contestation. Il y en a 27, qui touchent à tous les domaines. On est en train de les résoudre, les uns après les autres. Nous discuterons de cette liste en septembre, au prochain conseil d’administration. » Mais pour Marc Maire, la solution doit être plus radicale : « Je pense qu’il faut que ce directeur s’en aille. »

Malgré les efforts des enseignants pour porter devant le dernier conseil d’administration des preuves de dysfonctionnements ou de favoritisme envers certains étudiants, la mairie comme le préfet ont refusé d’évoquer les problèmes d’organisation du directeur, se défaussant sur l’audit dont l’école a fait l’objet fin juin. Mais l’inspecteur ne peut s’intéresser qu’à l’aspect pédagogique du problème, et non à la gestion de M. Ferrari, comme le soulignent Mme Lamouroux et plusieurs professeurs. « C’est complètement verrouillé, les dés au départ sont largement pipés« , conclut Marc Maire.

« Tout le monde fait l’autruche, personne ne prend ses responsabilités« , renchérit l’élue de l’opposition. « Que fait-on pour apaiser la situation ? » avait-elle demandé au préfet. Ce dernier avait tranquillement répondu : « Madame, on attend les vacances« . Mais ni les étudiants, ni les professeurs qui les soutiennent, ne comptent en rester là. Ils donnent rendez-vous en septembre, pour le second round.