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Ces submersibles qui ont plongé dans le Léman - Le Temps

  • ️Fri Jun 10 2011

Publié le 10 juin 2011 à 00:37.

L’aventure a commencé un jour de 1953 en Méditerranée. Le savant suisse Auguste Piccard, grand inventeur de ballons et de sous-marins, devise tranquillement avec son fils Jacques quand lui vient une nouvelle idée. Les aciers modernes permettent de créer des cabines plus légères que l’eau mais assez solides pour supporter de fortes pressions, remarque-t-il. Après avoir mis au point le «bathyscaphe» conçu pour atteindre les plus grandes profondeurs, il imagine de les utiliser pour fabriquer un engin destiné aux profondeurs moyennes, un véhicule qu’il conviendrait d’appeler «mésoscaphe».

L’occasion de passer de l’idée aux actes se présente huit ans plus tard. Les organisateurs de l’Exposition nationale de 1964 sont en quête d’une «attraction qui puisse constituer le clou de la manifestation, tout en faisant honneur à l’esprit d’initiative des ingénieurs et de l’industrie» helvétiques. Logiquement sollicitée, la famille Piccard se souvient de son mésoscaphe et propose d’en construire un exemplaire capable de transporter une quarantaine de passagers et de représenter le premier submersible touristique du monde.

Le projet est accepté avec enthousiasme. Auguste Piccard décédant en 1962, c’est à son fils que revient la tâche de mener l’entreprise à bien. S’il ne dispose pas de diplôme d’ingénieur, Jacques a toutes les compétences nécessaires pour y arriver. D’autant qu’il peut compter sur d’excellents spécialistes, dont certains ont construit le Trieste, le célèbre sous-marin avec lequel il vient de battre tous les records de plongée en descendant au fond de la fosse la plus profonde du monde, à moins 10 916 mètres.

Le sous-marin, baptisé Auguste-Piccard, sort bientôt des ateliers Giovanola à Monthey pour être mis à l’eau le 27 février 1964, au Bouveret. Dans l’euphorie, la Gazette de Lausanne qualifie le village valaisan de «cap Canaveral de la Suisse». Une polémique soudaine sur la sécurité du submersible retardera son entrée en fonction. Mais ce ne sera là qu’une malheureuse péripétie. Le but essentiel est atteint: l’engin rencontre un énorme succès populaire, qui le conduit à transporter en quelques mois 33 000 personnes au cours de 1100 plongées. Et ce sans connaître la moindre avarie.

Le F.-A. Forel

Le mésoscaphe ayant été vendu à l’étranger après l’Exposition nationale, Jacques Piccard se met en tête de doter le Léman d’un nouveau sous-marin, à but scientifique cette fois. Il y parvient en lançant un submersible beaucoup plus petit, à trois places, baptisé le F.-A. Forel, du nom d’un savant vaudois pionnier de la limnologie (la science des lacs).

L’engin, conçu pour transporter trois personnes (un pilote et deux passagers), est équipé de deux gros hublots, d’un bras articulé, d’instruments de prises de vue et d’un système de prélèvement d’eau. Il répond à l’inquiétude – à l’époque révolutionnaire – de son concepteur pour l’environnement et à son désir d’examiner de près l’impact de la société industrielle sur les lacs.

Mis à l’eau au Bouveret en 1979, le F.-A. Forel finit par accomplir toutes sortes de tâches en Suisse, en Italie et en Autriche. S’il réalise comme prévu de nombreuses observations scientifiques, il se livre parallèlement à des travaux industriels sur des infrastructures immergées (prises d’eau, câbles, gazoducs) et procède à des recherches de corps. Sa principale activité finit cependant par être didactique. Sur les 3600 plongées qu’il effectue au cours de ses 26 années de carrière, 2000 consistent à initier des visiteurs, essentiellement des écoliers, aux réalités lacustres. Interrogé sur les dangers encourus lors de plongées en sous-marin, Jacques Piccard les relativise en connaisseur. «Vous savez, affirme-t-il, le moment le plus dangereux de la plongée est celui où vous prenez votre voiture pour vous rendre au port.»

Des échanges avec Moscou

Au début des années 1980, le fils d’Auguste Piccard jouit d’une grande renommée comme concepteur de sous-marins. Il a alors de nombreux échanges avec le Département des submersibles habités de l’Institut océanographique P.P. Shirshov de l’Académie des sciences à Moscou. Les Soviétiques cherchent alors à se doter de petits submersibles capables de mener des recherches scientifiques et se montrent intéressés par ses connaissances.

Jacques Piccard espère un moment jouer un rôle majeur dans le projet, avant d’y renoncer. Les sous-marins en question, les futurs Mir, sont finalement produits en Finlande sous l’expertise des Soviétiques. L’histoire continuera cependant. Certains liens personnels tissés à cette occasion perdureront jusqu’au décès de l’océanographe en 2008. Et les Russes débarqués fin mai sur les bords du Léman ont souligné leur émotion de se retrouver sur les terres, et bientôt dans les eaux, de leur réputé collègue.