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Oriana Fallaci, les colères du mal

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  • ️Fri Jun 14 2002

Chronique. Le MRAP a déposé une demande d'interdiction du livre d'Oriana Fallaci, La rage et l'orgueil, le qualifiant de «brûlot islamophobe». Histoire d'une polémique.

Qui est Oriana Fallaci ? Née en 1930, auteur de onze livres, en particulier les best-sellers Un homme, consacré à son compagnon, le résistant grec Alekos Panagoulis, assassiné en 1976, et Inchallah, sur la guerre au Liban, traduite en trente langues, l?Italienne Oriana Fallaci est reporter dans tous les coins chauds du monde. Elle interviewe les plus grands - Khomeiny, Indira Gandhi, Golda Meir, Lech Walesa, Deng Xiaoping... Une sorte d?icône pour étudiants en journalisme. Passionnée par son métier, «la» Fallacci accepte difficilement d?être contestée et devient, selon ses dires, «hystérique» quand elle ne travaille pas. Installée aux Etats-Unis, elle est chargée de cours dans les universités de Yale, Harvard et Columbia. Agée de 72 ans, elle vit depuis six ans pratiquement cloîtrée dans son appartement de Manhattan à New York, refuse toutes les demandes d?interviews. Quand ont lieu les attentats du 11 septembre? L'histoire du livre. Oriana Fallaci, en colère, sort alors de son silence et accorde un très long entretien au quotidien italien Corriere della serra. L'article fait grand bruit, les éditeurs s'y intéressent... Publié en Italie sous forme de livre (éd. Rizzoli), il se vend à 1 million d?exemplaires. La rage et l?orgueil paraît en France aux éditions Plon le 15 mai, dans une traduction étroitement surveillée par l'auteur. Son tirage est pour le moment de 45 000 exemplaires. D?autres maisons d?édition françaises étaient sur les rangs, mais se sont montrées moins rapides que Plon, qui aurait bénéficié en outre de sa notoriété d?éditeur de documents. La polémique. Oriana Fallaci raconte ce qu?elle a ressenti le jour des attentats et parle longuement de son attachement aux Etats-Unis. Des pages magnifiques et poignantes sont également consacrées à l?exécution de trois femmes à Kaboul, à l?emprisonnement du petit coiffeur Bashir*, ou à la destruction des Bouddhas de Bamyan. Moment d?anthologie que celui du Dalaï-Lama revêtant un tee-shirt marqué d?un Popeye ! Oriana Fallaci s?en prend aux extrémistes de tous les pays, demandant au lecteur citoyen de sortir de sa léthargie : «Vous ne vous rendez pas compte que les Oussama ben Laden se jugent autorisés à vous tuer, vous et vos enfants, parce que vous buvez du vin et de la bière, parce que vous ne portez pas la barbe longue ou le tchador, parce que vous allez au théâtre et au cinéma, que vous écoutez de la musique et de la chansonnette [?]» On comprend le cri de rage passionnel, aux allures de sermon, que la journaliste adresse au lecteur, d?autant mieux lorsque l?on sait qu?elle a assisté aux pires scènes de barbarie que le fanatisme puisse engendrer en Iran, au Bangladesh, au Pakistan. Son discours et son style violent et sans concession sont souvent intelligents, brillants et séduisants. Des qualités qu'Oriana Fallaci met malheureusement au service d'une cause haïssable. Ainsi, lorsqu'elle s?interroge sur ce qu'il y a derrière l?autre culture : «Eh bien, je cherche et je ne trouve que Mahomet avec son Coran, Averroès avec ses mérites d?érudit et le poète Omar Khayyâm». Ou qu'elle proclame la supériorité de la civilisation occidentale, rendant un véritable hommage aux sciences et arts occidentaux : «Si je suis vivante aujourd?hui, c?est bien grâce à notre science, et non à celle de Mahomet». Pour elle, une croisade à l?envers a été lancée contre l?Occident, et celui-ci doit se défendre. Emportée par la colère et la paranoïa, cédant à la généralisation, elle assène que chaque Arabe serait le soldat d?une croisade barbare lancée contre la civilisation occidentale : «Pauvre Bush, obligé en l?occurrence d?avoir à la bonne les 24 millions d?Américains musulmans pour les convaincre de cracher ce qu?ils savent sur les éventuels parents ou amis, proches ou lointains, d?Oussama ben Laden» Ses propos sur l?Europe et l?immigration sont de même nature. Ainsi, elle écrit qu'ils «sont trop malins trop organisé, ces travailleurs étrangers. Et en plus ils font trop d?enfants. Les Italiens ne font plus d?enfants, les imbéciles. Les autres Européens, à peu près pareil. Les fils d?Allah, au contraire, se multiplient comme les rats [?]» Evoquant les Somaliens qui s?étaient installés piazza del Duomo, à Florence, afin qu?on leur renouvelle leurs passeports, elle stigmatise : «les dégoûtantes traces d?urine qui profanaient les marbres du Baptistère. (parbleu ! ils ont la giclée bien longue, ces fils d?Allah ! [?]» Pas rancunier, car elle ne le ménage vraiment pas dans La rage et l?orgueil, Silvio Berlusconi vient de proposer à Oriana Fallaci d?être candidate aux élections municipales de 2004 pour la ville de Florence? * A Téhéran en 1980, Bashir, "coiffeur pour dames", est fermé par le gouvernement en tant que "lieu de perdition et de péché". Lors d'un reportage, la journaliste finit par convaincre Bashir de la laisser entrer afin qu'elle puisse se laver les cheveux... De retour à Téhéran huit mois plus tard, elle apprend que le coiffeur a été dénoncé et est toujours en prison.