Un énarque sur le terrain
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- ️Thu Nov 13 2008
Le système Marini à Compiègne. Voilà plus de vingt ans que Philippe Marini règne sur Compiègne, brillant intellectuellement, dur avec ses adversaires, très présent auprès de la population... Son système de gouvernement est rodé. Et conçu pour durer encore longtemps.
Publié le 13/11/2008 à 10:27, mis à jour le 23/06/2009 à 17:33

Philippe Marini reçoit Elodie Gossuin, miss France 2001, lors de son passage à Compiègne, le 06 janvier 2001.
L'Express
Philippe Marini serait-il parti pour battre le record de longévité de Jean Legendre? Le maire (CNI, puis UDF) historique de Compiègne avait dominé la ville de tout son charisme durant quarante ans, entre 1947 et 1987. Avant de finalement céder la main à cet ambitieux militant RPR aux certitudes chevillées au corps. Mais Philippe Marini a vite appris à marcher dans ses pas -à se "legendriser", disent certains. Au point qu'à 58 ans, alors qu'il vient d'être triomphalement réélu pour un quatrième mandat (avec 65,73% des suffrages), le sénateur maire de Compiègne -et rapporteur général de la commission des Finances de la Haute Assemblée- peut espérer tenir "sa" ville pendant de longues années encore.
Le viager de Philippe Marini n'aura duré que dix ans. Lorsqu'il débarque, en 1976, à Compiègne, le jeune directeur financier du Commissariat à l'énergie atomique (CEA) est un inconnu. Mais son pedigree impressionne (ENA, inspection des finances...) et Jean Legendre lui confie le poste clef d'adjoint aux finances au lendemain des élections municipales de 1977. Il ne cessera ensuite de tester ses capacités de résistance à l'adversité. "Je veux savoir si les balles vont riper sur l'armure ou traverser le blindage", faisait-il mine de s'inquiéter.
Les premiers contacts entre le nouvel édile de Compiègne et ses administrés ont été assez rudes. "A l'époque, j'étais probablement un peu insupportable, reconnaît l'intéressé. Je considérais que les choses devaient aller vite". Serge Donneux, journaliste au Courrier picard, se souvient: "Tous les dimanches matin, il passait à 11 heures à l'agence, pour discuter de choses et d'autres." Un bon moyen pour tout savoir des cancans compiégnois et soigner ses relations avec les journalistes locaux. "Comme il n'était pas connu, il arrivait en retard dans les manifestations locales pour se faire remarquer. Il s'avançait au premier rang, jouant des coudes, pour être sur la photo", raconte Jean Quette, un correcteur de presse aujourd'hui retraité.
Au fil des années, Jean Legendre se convainc de "l'intelligence supérieure" de son poulain et admire son carnet d'adresses, qui, il en est persuadé, seront bien utiles à Compiègne. Mais Marini doit compter avec ses rivaux. Il lui faudra même remporter une primaire au sein de la majorité municipale pour éliminer le plus coriace, François-Michel Gonnot. "Lui seul a cru que j'allais lui donner la ville. Cela n'a jamais été dans mes intentions", confessa Jean Legendre vers la fin de sa vie. En 1987, donc, Philippe Marini s'assied dans le fauteuil de maire. Cinq ans après, il remplace au Sénat le gaulliste et ancien résistant Amédée Bouquerel, son second parrain en politique. L'affaire aura été rondement menée. "En 1989, je n'ai cependant pas eu la liberté de composer mon équipe, nuance Philippe Marini. Il m'a fallu respecter la règle des trois tiers (UDF, RPR et legendristes). J'étais seulement l'héritier, un gaulliste toléré dans une ville à dominante UDF."
Des accointances à l'extrême droite
Qu'à cela ne tienne. Le nouvel édile a appris de son maître le pragmatisme et la capacité de bousculer les règles. Pour construire le parking Bouvines, Jean Legendre avait rasé -sans permis de démolir- une maison que la Sauvegarde du vieux Compiègne souhaitait conserver. Philippe Marini, lui, reçoit Jean-Marie Le Pen à Compiègne avant la présidentielle de 1988. "Il s'agissait d'un leader national et l'hôtel de ville est la maison de tous. Je me devais de respecter le sens de l'hospitalité, même si je suis hostile à Le Pen comme dirigeant politique", se défend-il aujourd'hui, avant d'admettre que ce n'était sans doute pas une bonne idée. Une "hospitalité" que le maire, catholique pratiquant, a aussi offerte à Mgr Lefebvre ou, en 2001, à Joël Dupuy de Méry. Il a même fait de ce vieux routier de l'extrême droite, connu dans les années 1970 sous le surnom de "sergent Dupuy", son conseiller délégué à la citoyenneté, aux relations avec l'armée et les associations patriotiques.
Magnanime avec les proches du FN -un moyen de séduire l'électorat le plus conservateur de la ville- il l'est beaucoup moins avec ceux qui osent s'opposer à lui. En 2003, il signifie ainsi son congé à son conseiller municipal (Ump) Mathieu Quétel, en lui retirant sa délégation aux nouvelles technologies. Le tort de ce proche de François-Michel Gonnot? Avoir exigé qu'on débaptise la rue Alexis-Carrel, Prix Nobel de médecine 1912, mais aussi défenseur de thèses eugénistes et héraut intellectuel des milieux d'extrême droite... "Il a été déloyal à mon égard en faisant paraître dans la presse une lettre que je n'avais pas encore reçue", justifie Philippe Marini. Le centriste Claude Gouigoux a, pour sa part, préféré claquer la porte en 2001, en dépit du poste d'adjoint qu'on lui proposait: "Je ne supportais plus ses manières politiciennes, sa cour d'obligés ni sa façon 'corse' de procéder. J'ai refusé le 'système Marini', mis en place en 1995 avec un noyau dur aux ordres chargé d'entraîner les autres." En mars dernier, Claude Gouigoux est réapparu sur la liste du MoDem. Mais brièvement, puisque le sénateur maire est parvenu in extremis à torpiller la liste centriste (cf encadré).
Laurence Rossignol, chef de file (PS) de la gauche à Compiègne, n'est pas moins dure lorsqu'elle dénonce "une mise en coupe réglée de l'ensemble des acteurs de la ville". La vice-présidente du conseil régional prend pour exemple le cas de Ré-Agir, l'association d'aide aux victimes dans les procédures judiciaires. "La municipalité lui a refusé une subvention en arguant que ce service existait déjà à la mairie. Cela peut paraître anecdotique, mais c'est révélateur du système Marini: il n'entend pas mettre 1 euro dans une association qu'il ne contrôle pas." En filigrane, la charge de la gauche compiégnoise signe son désarroi. D'élection en élection, elle ne recueille immuablement qu'environ un tiers des voix au premier tour. "La sociologie de la ville permet au candidat de la droite de dépasser sans problème les 55%. Mais l'histoire électorale prouve qu'il n'y a pas de citadelle imprenable", tente de se rassurer Laurence Rossignol, feignant d'oublier que la gauche n'a été qu'une seule fois majoritaire à Compiègne intra-muros, au second tour des législatives de 1981.
Un PS cantonné à un tiers de l'électorat
Philippe Marini n'a cure de ces critiques. Il se sait en position de force. D'autant qu'en trente ans de mandats il a su amender sa nature un peu guindée et bâtir un système à toute épreuve. "J'ai compris qu'il me fallait avoir de la boue à mes souliers", glisse-t-il joliment, heureux de rencontres qu'une vie toute tracée de haut fonctionnaire ou de banquier d'affaires ne lui aurait jamais offertes. Son emploi du temps, millimétré, est immuable. Depuis 1977, il consacre tous ses samedis matin à recevoir des habitants; depuis qu'il a pris les rênes de la mairie, il anime chaque mois une réunion de "libre expression" dans un quartier de la ville. Un lundi par mois, il s'entretient aussi avec ses administrés de 8 h 30 à 11 heures, lors d'un rendez-vous téléphonique traditionnel baptisé "Allô Monsieur le Maire". Chaque samedi après-midi, enfin, il veille à arpenter les rues de Compiègne au bras de son épouse, Monique...
"Je préfère voir un jeune des quartiers ayant un souci d'insertion que de participer à une réunion à la sous-préfecture", assure-t-il. "La plus grosse plage de mon temps est consacrée aux tête-à-tête avec les habitants." L'examen de son agenda l'atteste. On relève ainsi 750 rendez-vous en 1998, 944 en 2001, 1 226 en 2007 et 841 à la date du 8 octobre 2008. Une prouesse! Même le conseiller général socialiste François Ferrieux, n°1 de l'opposition municipale de 1977 à 1995, en convient: le maire est très présent à Compiègne et organise avec maestria ses allers et retours vers Paris. "Le système Marini, c'est sa réactivité, résume l'adjoint (UMP) Eric de Valroger. Il répond toujours avec rapidité et efficacité." Un mode de fonctionnement rendu possible par une forte capacité à déléguer à une poignée de fidèles.
Devenu notable presque malgré lui, Philippe Marini continue de cultiver une différence à laquelle il tient, maniant l'humour avec délectation et aimant désarçonner ses interlocuteurs. "Le formalisme et l'hypocrisie des notables me déplaisent", va-t-il jusqu'à affirmer. Le maire a su se montrer aussi réaliste que son illustre prédécesseur, lorsqu'il s'agit de gérer ses relations avec la gauche. "Même s'il y a eu quelques coups de patte après l'alternance de 2004 au département et à la région, je travaille en bonne intelligence avec Yves Rome et Claude Gewerc, leurs présidents (PS) respectifs", assure-t-il. Parmi les rares coups de canif dans le contrat: la réduction par le conseil général de la subvention accordée au Théâtre impérial. Pour pallier ce manque, Philippe Marini songe à y installer à demeure une compagnie lyrique. Et s'emploie à trouver les appuis nécessaires dans ses relations afin d'y parvenir.
L'espoir défunt d'un ministère
Son fameux carnet d'adresses ne lui a pourtant jamais permis de devenir ministre. Il aurait pu l'être sous Jacques Chirac, en récompense de son soutien de la première heure. Mais rien n'est venu. "Quand je vois la difficulté de la tâche, quand je pense qu'il faut vivre avec un pavé sur la langue, je ne crois pas qu'on puisse parler de récompense", fait-il mine de se consoler aujourd'hui. Rien ne dit, toutefois, que Philippe Marini ait renoncé à cette ambition. Sa candidature récente à la présidence du Sénat, même si elle s'est conclue par un échec, en constitue la meilleure preuve. Après vingt ans de règne à Compiègne et quinze années au Sénat -dont dix comme rapporteur du budget- son ambition est intacte.