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Prométhée polonais - Persée

  • ️Karpinski, Wojciech
  • ️Thu Feb 06 2020

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Wojciech Karpinski

Prométhée polonais

Au cours des XIXe et XXe siècles, la quête d'un idéal de l'émancipation habite la littérature polonaise. Elle est son fil conducteur, la source de sa force, la cause de ses faiblesses. Car lorsqu'une collectivité relativement bien structurée est asservie — je pense aux partages de la Pologne —, lorsqu'elle est empêchée d'exprimer ses aspirations, c'est la littérature qui s'en charge. Ne pouvant le faire dans un pays muselé par la censure, elle le fait en exil. Réfugiés, les trois grands poètes romantiques du XIXe siècle polonais, Mickiewicz, Slowacki et Krasinski, se verront attribuer la fonction de « bardes », de guides de la nation. Norwid viendra les rejoindre plus tard.

Pawel Hertz a magistralement résumé cette situation dans un essai intitulé Penser à Krasinski^ qui date des années soixante du XXe siècle :

La notion de « triade romantique » exprimait notre besoin d'ordre, jamais satisfait au cours du XIXe siècle. Privés d'un Parlement à deux chambres, des pouvoirs législatif et exécutif dûment séparés, de trois états formés comme il se doit, nous n'avions que la littérature en guise de parlement.

Cette fonction, que Pawel Hertz définit avec justesse, impose à la littérature des devoirs et des contraintes.

L'idéal de l'émancipation était tributaire du combat pour l'indépendance nationale. L'art obéissait à la politique. Le regard porté sur l'homme se confondait avec celui porté sur l'histoire. La littérature verra donc les menaces essentiellement du côté des puissances étrangères. Elle drapera la Pologne en Winkelried des nations, voire en leur Christ. Tous les romantiques partagent ce regard messianique, à commencer par le

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