Italia 1975 • STATS F1
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Présentation de l'épreuve
Deux semaines avant cette course s'est déroulé un Grand Prix de Suisse à... Dijon-Prenois, remportée par Clay Regazzoni en l'absence de son équipier. Toujours malchanceux, Jean-Pierre Jarier a mené la moitié de l'épreuve au volant de la Shadow DN5 à moteur Cosworth avant d'abandonner...
Cette épreuve pourrait être la dernière à se dérouler à Monza car ce tracé est critiqué par les pilotes pour son manque de sécurité, et ce malgré l'installation de chicanes, qui d'ailleurs peuvent devenir elles-mêmes sources de danger. Ainsi lors du premier tour les pilotes ne passeront pas par la première chicane afin d'éviter un « empilement » général.
En marge du Grand Prix, la Commission sportive internationale dévoile de nouvelles mesures pour améliorer la sécurité à partir de 1976: un arceau de sécurité supplémentaire sera installé sur les voitures afin de protéger les jambes des pilotes, les ailerons seront plus petits, de même que les immenses prises d'air en forme de cheminées. Ces décisions entreront en vigueur lors du GP d'Espagne 1976.
Ce Grand Prix d'Italie a tout pour devenir un triomphe pour l'Idole locale, la Scuderia Ferrari. Niki Lauda est en effet tout proche de son premier titre de champion du monde. Pour retarder son couronnement, son unique rival Carlos Reutemann doit en effet l'emporter sans que l'Autrichien ne marque un seul point. La coupe des constructeurs est porteuse de plus d'enjeux, puisque seuls trois points et demi séparent Ferrari de Brabham-Ford-Cosworth. McLaren a aussi encore une petite chance de conserver ce trophée. Toutefois, la situation est largement favorable à Ferrari car Bernie Ecclestone et son équipe ne s'intéressent plus guère à cette saison. La nouvelle Brabham BT45 à moteur Alfa Romeo vient d'être construite et tous les efforts du team sont tournés vers la saison 1976.
D'autres enjeux peuvent retenir l'attention. Ainsi Ken Tyrrell est fort marri que son équipe soit devancée au championnat par Hesketh qui n'a engagé qu'une seule voiture durant les trois quarts de la saison. Mais Tyrrell est aussi surtout tournée vers l'année suivante, et notamment vers la mise au point d'une voiture révolutionnaire concoctée par Derek Gardner.
Monza voit les premiers tours de roue officiels de l'Hesketh 308C présentée à l'occasion du GP de Grande-Bretagne. Cette voiture a disputé le Grand Prix de Suisse où elle n'a pas brillé. Dans l'ensemble James Hunt la trouve moins rapide que sa devancière. Son équipier Brett Lunger utilise d'ailleurs toujours cet ancien modèle.
Endeuillée par la disparition de Mark Donohue, et aussi absorbée par la construction de sa nouvelle voiture, l'équipe Penske est absente du circuit italien. L'écurie de John Surtees n'est pas présente: l'ancien champion a décidé de mettre un terme à son programme 1975 pour chercher de nouveaux sponsors.
Chez Lotus, Jim Crawford s'installe au volant de la 72F, tandis qu'avec la 72E sur laquelle il a triomphé à Monza les deux années précédentes Ronnie Peterson espère inscrire au moins un point.
Blessé au poignet à Zeltweg, Wilson Fittipaldi n'est pas rétabli et cède le volant de sa Copersucar à Arturo Merzario. Le petit Italien au Stetson blanc n'était pas apparu en F1 depuis quatre mois.
Frank Williams poursuit son activité de loueur de voitures: sa très vieille FW a trouvé son... huitième occupant de l'année en la personne de l'Italien Renzo Zorzi qui s'est fait remarquer avec Lancia en Formule 3.
L'autre Williams est conduite par Jacques Laffite qui vient de s'assurer du titre de champion d'Europe de Formule 2 au volant d'une Martini-BMW de l'écurie Elf. Son patron Hugues de Chaunac vante les mérites du nouvel espoir français: « C'est un pilote bourré de talent et un personnage très attachant, tout à fait hors du commun. C'est certain, il a un très sale caractère, avec une exigence folle, mais il n'hésitera pas à passer une nuit entière avec ses mécaniciens s'il le faut. Et en course, il se « défonce » comme ce n'est pas possible ! Il est tout aussi exigent avec lui-même. Pour lui, une seule chose compte: gagner. En dessous, c'est une contre-performance. » Malheureusement, l'avenir de Laffite en F1 n'est pas assuré car Ken Tyrrell vient de refuser de l'engager pour 1976. Elf compte certes l'associer à la nouvelle écurie que met sur pied Guy Ligier avec Matra. Mais pour l'heure, c'est Jean-Pierre Beltoise qui semble devoir être choisi pour piloter la future monoplace 100 % française.
Les qualifications
Les Ferrari sont encore une fois au-dessus du lot ce week-end-là. Lauda réalise sa huitième pole de la saison, de nouveau en améliorant le record du tracé. Son équipier Regazzoni l'accompagne en première ligne. Fittipaldi confirme le regain de forme des McLaren avec la troisième place, à moins d'une seconde de Lauda. Scheckter complète la deuxième ligne. Suivent Mass et le toujours étonnant Brise qui réalise la meilleure qualification de la Hill. Reutemann est septième devant Hunt. Vainqueur en Autriche, Brambilla est neuvième devant Pace, Peterson et Depailler. Ce dernier n'a pas eu de chance: son moteur a cassé le samedi après-midi, l'empêchant d'améliorer ses chronos.
Les performances de la Shadow-Matra de Jarier sont toujours insuffisantes: le Français est seulement treizième devant son équipier Pryce. Des ennuis d'alimentation frappent le V12 français. L'autre Français Laffite est dix-huitième avec la Williams. L'Italienne Lombardi évite la dernière ligne dans son pays et se classe 24ème. Crawford et Merzario se partagent la dernière ligne.
Wunderink sur l'Ensign N174 et Trimmer sur la Maki ne sont pas qualifiés.
Le Grand Prix
De grosses averses s'abattent sur Monza le dimanche matin, laissant craindre une nouvelle course sur piste humide. Peu avant le départ, l'asphalte est encore un peu trempée, par conséquent la procédure est reportée afin de permettre au peloton de s'élancer en pneus slicks. Malgré le temps incertain, 200 000 spectateurs ont fait le déplacement.
La pression des tifosi est énorme. Très nerveux, Niki Lauda passe la matinée enfermé dans la caravane Fiat en compagnie de son amie Mariella von Reininghaus, de Luca di Montezemolo, de Clay et Maria-Pia Regazzoni. Le jeune Autrichien fait les cent pas. Observant Regazzoni qui compulse tranquillement les journaux, il explose : « C'est plus facile de couvrir des kilomètres sur une Formule 1 que d'écrire tant d'articles... » Puis, il se perd dans une foule de gestes anodins, machinaux, comme nettoyer la visière de son casque. Ce petit rituel lui permet de « faire le vide dans sa tête » et d'atteindre un degré de concentration maximal. Bientôt, au centre de son univers, il se réserve le droit de parler à qui il veut : Montezemolo, Forghieri, Regazzoni... Cette plénitude avant l'épreuve qui, on l'a vu, ne va pas de soi, est l'apanage des grands champions. A cet égard, Lauda se situe dans la lignée des Stewart et des Fittipaldi.
Départ: Il est donné de manière confuse car les pilotes au delà de la quatrième ligne partent une bonne seconde avant ceux qui les précèdent. Brambilla grille son embrayage dans cette mésaventure. Les deux Ferrari conservent l'avantage mais au premier freinage c'est Regazzoni qui est en tête devant Lauda. Suivent Scheckter, Mass, Reutemann et Fittipaldi. Crawford heurte Stommelen. Evans tombe en panne d'allumage et n'ira pas plus loin.
1er tour: Mass déborde Scheckter, puis Lauda dans la Curva Biassono. Cependant Lauda reprend l'avantage sur la McLaren au premier Lesmo. Scheckter repasse devant Mass dans la Parabolica.
Regazzoni mène devant Lauda, Scheckter, Mass, Reutemann, Fittipaldi, Peterson, Hunt, Brise, Depailler et Andretti. Brambilla entre aux stands pour abandonner.
2e: Scheckter tire tout droit à la première chicane et se retrouve dans une échappatoire. Mass, qui le suivait de près, doit faire un écart pour l'éviter, touche le rail extérieur et fausse ainsi une suspension. Mass obstruant la piste, beaucoup de pilotes passent par l'échappatoire. Andretti heurte Brise et les deux voitures partent en tête-à-queue. L'Américain doit sortir de sa voiture. Stuck tamponne Ertl. Peterson entre aux stands en fin de tour: son moteur est en surrégime. Le Suédois met pied à terre.
3e: Les deux Ferrari sont maintenant confortablement en tête, avec quatre secondes d'avance sur un trio composé de Reutemann, Fittipaldi et Hunt. Depailler est sixième suivi par Pace, Pryce, Laffite et Stuck. Mass regagne le stand McLaren pour abandonner.
Amon est au stand Ensign pour faire régler son allumage.
4e: Regazzoni a une seconde d'avance sur Lauda. Pryce prend la septième place à Pace. Stommelen roule à très faible allure, à cause de vibrations consécutives à son choc avec Crawford.
5e: Fittipaldi met la pression sur Reutemann tandis que Hunt est dans le sillage des deux Sud-Américains. Stuck double Laffite.
Brise et Stommelen rentrent au garage Hill et ne repartiront pas tandis que Crawford est au stand Lotus avec un pneu arrière-gauche déchapé. Il repartira dernier. Ertl fait changer une de ses roues.
6e: Scheckter entre au stand Tyrrell pour faire redresser une biellette de direction abîmée dans sa sortie de route.
7e: Cinq secondes séparent les Ferrari du groupe Reutemann. Pace tombe en panne d'accélérateur et doit renoncer.
8e: Depailler rattrape le trio Reutemann-Fittipaldi-Hunt. Laffite tombe en panne de boîte de vitesses et rejoint la liste des abandons.
9e: Regazzoni est bouchonné par Ertl qui lui ferme la porte au nez à la Variante Ascari. Lauda en profite pour revenir juste derrière son équipier.
10e: Regazzoni parvient à se débarrasser d'Ertl. Depailler déborde Hunt.
12e: Relégué à six secondes des Ferrari, Reutemann tente de résister à Fittipaldi qui se fait pressant. Jarier prend la huitième place à Stuck qui entre au stand pour changer un pneu.
14e: Fittipaldi parvient enfin à dépasser Reutemann. Le voici troisième, à sept secondes de Regazzoni et de Lauda. Zorzi est au stand Williams pour un changement de roue.
15e: Depailler est désormais sous la pression de Hunt et de Pryce.
16e: Hunt puis Pryce doublent Depailler.
17e: Stuck renonce: un de ses porte-moyeux est brisé à l'arrière de sa March suite à son choc avec Ertl.
19e: Regazzoni à une seconde d'avance sur Lauda. Fittipaldi est troisième à six secondes. Suit Reutemann à une dizaine de secondes, précédant un trio composé de Hunt, Pryce et Depailler. Jarier est huitième devant Lombardi, Scheckter et Lunger.
20e: Lombardi doit s'arrêter aux stands pour réparer sa tringlerie d'injection.
22e: Les écarts sont stables entre les trois premiers qui sèment le reste du peloton.
24e: Lombardi sort de la piste à Lesmo à cause d'une rupture de freins.
25e: La principale bagarre en piste oppose Hunt à Pryce pour la cinquième place.
27e: Hunt commet une erreur et effectue un petit tête-à-queue. Il se relance rapidement mais entretemps Pryce lui est passé devant.
30e: Regazzoni prend peu à peu de l'avance sur Lauda qui a un problème d'amortisseur. Fittipaldi se rapproche légèrement de l'Autrichien. A plus de vingt secondes du leader évolue Reutemann qui rencontre des problèmes de freins. Pryce est cinquième mais Hunt revient sur lui et le menace. Plus loin on retrouve Depailler, Jarier, Scheckter et Ertl.
32e: Regazzoni a cinq secondes d'avance sur Lauda, lequel ne compte plus que deux secondes de marge sur Fittipaldi. Jarier abandonne à cause d'un problème de pompe à essence sur sa Shadow-Matra. Zorzi est au stand Williams à cause d'un souci technique.
34e: Fittipaldi est maintenant dans les roues de Lauda mais ne trouve pas d'ouverture. Pendant ce temps-là, Hunt a rattrapé Pryce.
35e: Chez Ferrari on s'inquiète pour Lauda et on ne ne veut pas prendre de risque car l'Autrichien est assuré du titre tant que Reutemann n'est pas leader.
37e: Hunt reprend la cinquième place à Pryce.
40e: Regazzoni creuse encore l'écart en tête de l'épreuve. Lauda résiste à Fittipaldi qui pour le moment le guette en demeurant dans son sillage. Reutemann est maintenant relégué à plus de quarante secondes de la tête de course.
42e: Lauda et Fittipaldi réalisent en même temps leurs meilleurs tours. Ertl se trouve désormais entre Hunt et Pryce. Celui-ci est si rapide au volant de son Hesketh privée que Pryce ne parvient pas à le doubler.
43e: Dix secondes d'écart entre Regazzoni et Lauda.
45e: Fittipaldi est désormais juste derrière Lauda. Celui-ci ne va pas chercher à résister outre mesure. Crawford s'arrête au stand Lotus.
46e: Fittipaldi déborde Lauda dans la ligne droite principale et s'impose au premier freinage.
47e: Regazzoni réalise le meilleur tour en course:1'33''1'''.
49e: La course étant désormais jouée, les pilotes de tête relâchent leurs efforts: Fittipaldi est distancé par Regazzoni et lui-même sème Lauda.
51e: Les tifosi sont euphoriques dans les tribunes et s'apprêtent à fêter ce triomphe de Ferrari.
52ème et dernier tour: Sous les vivats de la foule, Clay Regazzoni remporte le Grand Prix d'Italie pour la deuxième fois de sa carrière. Il offre ainsi le titre mondial des constructeurs à son équipe. Fittipaldi finit deuxième à Monza pour la troisième année de suite. Niki Lauda termine troisième et obtient ainsi son premier titre de champion du monde. Reutemann est quatrième après une course difficile. Hunt finit cinquième devant un valeureux Pryce. Depailler, Scheckter, Ertl, Lunger, Merzario, Amon, Crawford et Zorzi rallient aussi l'arrivée.
Les spectateurs envahissent aussitôt la piste, ce qui rend la fin de l'épreuve quelque peu dangereuse. Chez Ferrari, le succès est total avec ces deux titres mondiaux. Luca di Montezemolo est ravi: en deux ans, il a conduit une équipe qui était au fond du trou fin 1973 aux sommets de la Formule 1. C'est aussi la récompense de Mauro Forghieri qui a conçu la 312T, une « merveille » d'après Niki Lauda. Celui-ci remporte donc à 26 ans la couronne mondiale, et rejoint ainsi au palmarès son idole de jeunesse Jochen Rindt. C'est le premier titre des pilotes pour Ferrari depuis celui de John Surtees en 1964. Cette victoire est aussi celle de l'Italie sur la Grande-Bretagne puisque pour la première fois depuis 1968, les championnats échappent au moteur Ford-Cosworth. Loin de l'autodrome, devant son téléviseur, le Commendatore Enzo Ferrari peut être fier de ses hommes.
Après la course
Regazzoni ramène quelques tifosi sur sa voiture. Peu servi par la chance cette année, le Tessinois a sauvé sa saison par ce succès. Sur le podium, les deux pilotes Ferrari font couler le champagne à flots. C'est un tiercé « 100 % Philip Morris » puisque Regazzoni, Fittipaldi et Lauda sont membres du Marlboro Worldchampionship Team. MM. Ronald H. Thomson, président de Philip Morris Europe, et Hugh Cullman, président de Philip Morris International, ne sont d'ailleurs pas loin.
Beau joueur, Emerson Fittipaldi rend un hommage appuyé au nouveau champion et analyse à merveille ses qualités : « Sur le seul style de la conduite, je ne compare pas Niki Lauda à son illustre compatriote Jochen Rindt, mon ancien partenaire. Rindt n'était jamais très expert dans la mise au point de sa machine, mais il « marchait » très fort. Tout comme Ronnie Peterson. Niki ne ressemble pas à Jochen. Il fait très bien la mise au point de sa voiture. Je le connais bien. Il n'a commis aucune erreur tout au long de l'année. Il a piloté avec beaucoup d'intelligence et a su profiter de toutes les chances qui lui ont été offertes. Certains pilotes ne savent justement pas profiter de ces opportunités... »
Aux classements généraux, Lauda et Ferrari ne sont donc plus rattrapables. Les places de dauphins demeurent toutefois convoitées. Chez les pilotes, Fittipaldi est repassé devant Reutemann pour deux points. En ce qui concerne les constructeurs, McLaren a sept points de retard sur Brabham et peut encore espérer obtenir la deuxième position.